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» un bruissement impétueux, les édifices entre lesquels il marchait, dépassant leur faite, fléchissaient alors sous le vent et se recourbaient sur » nos têtes. Nous marchions sur une terre de feu, » sous un ciel de fen, entre deux murailles de » feu! Une chaleur pénétrante brûlait nos yeux » qu'il fallait cependant tenir ouverts et fixés sur » le danger. Un air dévorant, des cendres étin» celantes, des flammes détachées embrasaient »notre respiration, courte, sèche, haletante, et déjà presque suffoquée par la fumée. Nos mains brûlaient en cherchant à garantir notre figure » d'une chaleur insupportable, et en repoussant » les flammèches qui couvraient à chaque instant » et pénétraient nos vêtemens.

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» Dans cette inexprimable détresse, et quand » une course rapide paraissait notre seul moyen » de salut, notre guide, incertain et troublé, » s'arrêta. Là se serait peut-être terminée notre » vie aventureuse, si des pillards du premier corps » n'avaient point reconnu l'empereur au milieu » de ces tourbillons de flammes; ils accoururent » et le guidèrent vers les décombres fumans d'un » quartier réduit en cendres dès le matin '. »

Napoléon se rendit dans sa nouvelle demeure, à l'abri de cet incendie qui, commencé dans la nuit du 14 au 15 septembre, s'était ranimé dès la

Histoire de Napoléon et de la grande armée, par M. de Ségur, tome II, page 57.

nuit suivante, et, dans les journées des 16, 17 et 18, avait atteint son plus haut degré de violence, enfin qui se ralentit le 19 et cessa le 20 de ce mois. Alors Napoléon rentra au Kremlin'; il s'aperçut, en rentrant dans Moscou, qu'il n'avait conquis que des cendres. Le roi Murat, ennemi du repos, à la tête de ses escadrons, bataillait hors des murs. Il eut, le 29 septembre, un engagement de cavalerie avec les troupes du général russe Kutusof, vers Czerikovo, engagement qui faillit à devenir très-funeste au corps d'armée commandé par Sébastiani.

Cependant Napoléon qui avait adressé une lettre à l'empereur Alexandre, ne recevait point de réponse et s'en impatientait; il espérait toujours. En attendant il organisait, dans Moscou en ruine, des administrations, des municipalités; il donnait des ordres pour s'y approvisionner pendant l'hiver. Il parlait d'y établir un théâtre et d'y mander les premiers acteurs de Paris. Voyant qu'il ne recevait aucune réponse d'Alexandre, il forme le projet de marcher avec son armée sur Pétersbourg. On lui en fait voir les dangers. Il se décide à envoyer

On sait que M. le comte Rostopchin est l'auteur de l'incendie de Moscou; qu'il conçut et organisa ce projet dans l'intention de délivrer son pays des troupes françaises. On a vu que les Russes brûlaient les villes qu'ils leur abandonnaient; ils avaient incendié Wilna, Smolensk, Wiasma, Gjatz. Que dirait-on d'un propriétaire quí, pour éloigner des hôtes incommodes, mettrait lui-même le feu à sa maison?

- ÉTAT DES AFFAIRES A MOSCOU. 489 le général Lauriston dans cette capitale, afin d'engager Alexandre à faire la paix. On demande un sauf-conduit pour cet envoyé, et un armistice. Kutusof accorde l'armistice, refuse le sauf-conduit, sous prétexte que ses pouvoirs ne l'y autorisent pas, et il offre de faire porter la lettre de Napoléon, pour Alexandre, par le général Volkonsky.

Les Russes caressaient, semblaient admirer et porter aux nues les généraux français. Murat se laissa prendre à ce piége; les Cosaques le nommaient leur roi; et malgré l'enthousiasme que ces ennemis semblaient montrer pour les Français, malgré l'armistice, chaque jour ils attaquaient les Français, et même un Cosaque tira sur Murat, au moment où il se montrait aux avant-postes. Enfin, du côté de Winkovo, ils attaquèrent le corps d'armée de ce prince, surprirent et culbutèrent sa première ligne, coupèrent sa retraite, lui prirent douze canons, vingt caissons, trente fourgons, lui tuèrent deux généraux. Murat, dans cette affaire, fut blessé et perdit trois à quatre mille hommes.

Napoléon, accoutumé à la prospérité, aux succès, à la supériorité, éprouvait la douleur d'une situation entièrement opposée. Il voyait sa répu tation d'infaillibilité perdue, son amour-propre cruellement blessé, sa fierté humiliée; son état d'abaissement l'irritait : il révoquait en doute tous les rapports qui le lui rappelaient; il cherchait à tromper ceux qui l'entouraient, et à se faire illu

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sion à lui-même; il ne pouvait croire à son adversité, et il restait dans une indécision qui lui faisait perdre un temps précieux que ses ennemis mettaient à profit. Il cherchait des distractions en faisant, avec de grands travaux, enlever à Moscou l'énorme croix de la tour du grand-Yvan, dans le dessein de la faire placer sur la cime du dóme des Invalides.

Dans la lutte qui s'éleva entre son orgueil et sa situation dégradée, on l'entendit s'écrier: « Quelles effrayantes suites de guerre périlleuse dateront de » mon premier pas rétrograde! Qu'on ne blame » donc plus mon inaction. Eh! ne sais-je pas que, » militairement parlant, Moscou ne vaut rien! » Mais Moscou n'est point une position militaire; » c'est une position politique. On m'y croit géné » ral, quand j'y suis empereur. Puis il s'écrie, qu'en politique, il ne faut jamais reculer, ne ja» mais revenir sur ses pas; se bien garder de con» venir d'une erreur, que cela déconsidère; que lorsqu'on s'est trompé, il faut persévérer, que » cela donne raison '. »

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Il fut pourtant obligé de se soumettre à l'impérieuse nécessité; il fallut qu'il renonçât à ses plans, qu'il revint sur ses pas, et donnât aux nations une preuve évidente de son erreur.

Le plus terrible des ennemis qu'avait à redou

'Histoire de Napoléon et de la grande armée, par M. de Ségur, tome II, page 93

ter l'armée française s'avançait: c'était l'hiver, si rigoureux, si meurtrier dans ces climats. Déjà les premières neiges avaient couvert le sol. Cette sinistre apparition décida Napoléon, et termina ses longues et fatales irrésolutions. Le 19 octobre, il partit de Moscou, et se dirigea avec son armée vers Kalouga. Cette armée, pendant le séjour de Moscou, s'était accrue de dix mille hommes. Quatre-vingt-dix mille combattans et vingt mille malades et blessés étaient entrés dans cette capitale de la Moscovie; il en sortit plus de cent mille, et il n'y restait que douze cents malades.

Il me faut esquisser cette retraite fameuse dont M. de Ségur, avec un talent très-distingué, a eu le courage de composer un tableau si détaillé, si

déchirant.

L'armée française, engourdie par le repos, chargée de pillage, embarrassée par les voitures, les caissons, l'artillerie, marchait lentement, lorsque le 24, près de Malo-Jaroslavetz, les Russes l'attaquèrent et lui livrèrent un combat très-vif. Le général Delzons s'avançant pour encourager ses soldats, frappé par une balle au front, tomba mort. Son frère désolé se jeta sur son corps, et voulant le tirer de la mêlée, fut à son tour mortellement atteint par une seconde balle; tous deux expirèrent ensemble. Cette affaire fut très-acharnée; les Français perdirent sept généraux et quatre mille hommes, tués ou blessés. La perte des Russes fut bien plus considérable : la ville fut brûlée.

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