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mandé par le capitaine Maitland; la corvette qui l'accompagnait s'appelait le Mirmidon; elle était sous les ordres du capitaine Gambier.

M. de Las Cases remit au capitaine du Bellerophon la lettre dont le général Bertrand l'avait chargé. Nous lui fimes connaître ce qu'il ignorait encore, c'est-à-dire que, par une suite d'événemens qui avaient eu lieu après la bataille de Waterloo, l'empereur avait abdiqué, et était venu à Rochefort avec le projet de passer en Amérique. Nous lui dîmes que le gouvernement provisoire de France avait demandé pour lui des passe-ports au général en chef de l'armée anglaise, qui en ayait référé à Londres, d'où ils avaient dû être envoyés à la croisière établie devant Rochefort.

M. de Las Cases observa à M. Maitland que l'empereur, ayant tout-à-fait cessé sa carrière politique, désirait partir paisiblement sans être contrarié par aucune opposition provenant des croisières anglaises; que c'était la seule cause qui lui faisait attacher du prix aux passe-ports; qu'il désirait prévenir tout engagement entre les frégates françaises et les bâtimens qu'elles pourraient rencontrer.

Il lui observa que, dans le cas où les frégates feraient difficulté, l'empereur renoncerait aux commodités qu'il y trouvait, et effectuerait son départ sur des bâtimens américains, qui étaient prêts à sortir de la Gironde, ou sur des vaisseaux de commerce français.

M. Maitland répondit en français à M. de Las Cases dans ces termes-ci: "J'ignore tout-à-fait les détails dont vous me "donnez connaissance; je ne savais que le gain de la ba"taille de Waterloo. Je ne puis par conséquent répondre à "la demande qui fait l'objet de votre message; mais si vous "voulez attendre quelques instans, j'en saurai peut-être "davantage, car je vois une corvette qui manœuvre pour ❝m'aborder. Elle me fait le signal qu'elle vient d'Angle

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terre, et qu'elle a des lettres pour moi; je vais manœuvrer "de mon côté pour faciliter les approches; pendant ce "temps là, nous allons déjeuner."

Le capitaine de corvette arriva à bord du Bellerophon pendant que nous étions à table, et remit au capitaine Maitland toutes les dépêches dont il était chargé pour lui. Cette corvette s'appelait la Falmouth; elle venait effectivement d'Angleterre et avait passé par la baie de Quiberon, où elle avait aussi remis des dépêches à l'amiral Otham, qui y commandait.

Le capitaine Maitland lut ses dépêches et nous dit: "Il "n'y a pas un mot de ce que vous êtes venus m'apprendre; "je vois même qu'au moment du départ de ce bâtiment on ignorait en Angleterre tout ce que vous m'avez fait con"`naître."

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On ne pouvait pas supposer que l'amiral Otham eût reçu quelques instructions à cet égard, car la corvette ayant passé chez lui, avant de venir devant Rochefort, il aurait sans doute profité de cette occasion pour donner au capitaine Maitland les ordres qui auraient été la conséquence de ce qu'on lui aurait mandé d'Angleterre au sujet de l'empereur.

Pendant le déjeuner, le capitaine Maitland noua la conversation en anglais avec le capitaine de la corvette la Falmouth. ' M. de Las Cases l'écoutait sans avoir l'air de la comprendre. Le capitaine Maitland demanda à celui de la Falmouth ce que l'on disait de nouveau, et où était l'empereur ; le capitaine répondit qu'on répandait à bord de l'amiral Otham, qu'il venait d'arriver à Nantes, et qu'il y faisait le diable. Le capitaine Maitland ne put s'empêcher de sourire, et nous dit en français: "On ne sait pas là plus qu'ailleurs un seul "mot de la vérité." Et il apprit au capitaine de la Falmouth que l'empereur venait d'arriver à Rochefort.

Après le déjeuner, M. Maitland, ayant fait retirer les offi

ciers qui se trouvaient chez lui, reprit avec nous la conversation; il nous pria de vouloir bien lui répéter tout ce que nous lui avions dit.

Nous le fimes et il nous répondit à peu près dans ces

termes :

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"Je voudrais être à même de vous satisfaire, mais vous voyez que je ne le puis pas. Je vais rendre compte à mon ́ "amiral, qui est dans la baie de Quiberon, de votre arrivée " à mon bord. Je lui enverrai en même temps la lettre

que le général Bertrand m'a écrite, et je vous ferai con"naître sa réponse lorsque je l'aurai reçue; mais je pense "qu'il jugera la chose assez importante pour venir lui"même."

Nous observâmes à M. Maitland que cela entraînerait bien des délais, et que l'empereur désirait vivement partir; il répondit: "La chose ne dépend pas de moi." Nous lui posâmes alors les questions suivantes :

L'empereur ne veut pas dérober son départ. Il n'a personnellement aucun motif pour cela, la démarche qu'il nous fait faire en est la preuve; mais si, avant d'avoir votre réponse, le vent devenait favorable, qu'il voulût en profiter, et qu'il sortît sur les frégates ou bricks, que feriez-vous ? Si, au lieu de sortir sur les frégates, il sortait sur un vaisseau de commerce français, que feriez-vous ?

Et enfin, si, au lieu de tout cela, il partait sur un neutre, tel qu'un américain, par exemple, que feriez-vous?

M. Maitland répondit :

"Si l'empereur sort sur les frégates, je les attaquerai et les prendrai, si je puis; dans ce cas, l'empereur sera prisonnier.

"S'il sort sur un vaisseau de commerce français, comme nous sommes en guerre, je prendrai le vaisseau, et dès-lors l'empereur sera encore prisonnier.

"S'il sort sur un neutre, et que je le visite, je ne prendrai pas sur moi de le laisser passer. Je le retiendrai et j'en référerai à mon amiral, qui décidera."

Dans ce cas, lui observa-t-on, vous le ferez encore prisonnier?"Non, dit vivement M. Maitland, mais je ne me permettrai pas d'en décider. Ceci est un cas si extraordinaire, que c'est à mon amiral à s'en charger."

Cette explication fut suivie de plusieurs détails sur la position de l'empereur. M. Maitland nous dit dans le cours de la conversation:

"L'empereur fait fort bien de demander des passe-ports, pour éviter des désagrémens qui seraient renouvelés chaque jour à la mer; mais je ne crois pas que notre gouvernement le laisse aller en Amérique.”

Nous repartimes à M. Maitland: "Où donc lui proposerait-on d'aller?"

Il répondit: "Je ne le devine pas, mais je suis presque certain de ce que je vous dis. Quelle répugnance aurait-il à venir en Angleterre? De cette manière, il trancherait toutes les difficultés."

M. de Las Cases répondit que nous n'avions pas mission de traiter cette question, mais que lui personnellement croyait que l'empereur ne s'était pas arrêté à cette pensée, parce qu'il craignait peut-être les effets d'un ressentiment, conséquence naturelle de la longue mésintelligence qui avait existé entre lui et le gouvernement anglais; que, d'un autre côté, il aimait les climats doux, et surtout les charmes de la conversation; qu'en Amérique il pourrait trouver l'un et l'autre, sans craindre aucun mauvais traitement de qui que ce fût.

M. Maitland répliqua que "c'était une erreur de croire que le climat d'Angleterre fût mauvais et humide, qu'il y avait des comtés où il était aussi doux qu'en France, tel que celui de Kent, par exemple; que quant aux agrémens

de la vie sociale, ils étaient incomparablement supérieurs en Angleterre à tout ce que l'empereur pourrait trouver en Amérique.

"Pour les ressentimens, dit-il, qu'il pourrait craindre, venir en Angleterre est le moyen de les éteindre tous. Vivant au milieu de la nation, placé sous la protection de ses lois, il sera à l'abri de tout, et rendra les efforts de ses ennemis impuissans." I observa que, quand même les ministres voudraient le tracasser, ce qu'il ne croyait pas, ils ne pourraient le faire, parce que, ajouta-t-il, chez nous, le gouvernement n'est pas arbitraire; il est soumis aux lois."

"Je crois bien, continua-t-il, que le gouvernement prendra vis-à-vis de lui des mesures propres à assurer sa tranquillité et celle du pays où il résidera, telles que celles qui furent prises envers son frère Lucien, par exemple; mais je ne conçois pas que cela puisse être étendu au-delà, parce que, je vous le répète, les ministres n'en ont pas le droit, et la nation ne le souffrirait pas."

M. de Las Cases observa de nouveau au capitaine Maitland "qu'il n'avait pas mission de traiter cet objet, mais qu'il avait bien retenu sa conversation, qu'il la rapporterait à l'empereur, et que, si ce prince se décidait à aller en Angleterre, il lui en ferait part." Il lui adressa ensuite cette question :

"Dans le cas où l'empereur adopterait l'idée d'aller en Angleterre, et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour la lui faire agréer, peut-il compter sur un transport à bord de votre vaisseau, tant pour lui que pour les personnes qui l'accompagnent, car cette supposition n'admet plus de passage sur les frégates.”

M. Maitland répondit qu'il allait en faire le sujet d'une dépêche à son amiral; mais que, si l'empereur lui demandait passage sur son bord avant qu'il en eût réponse, il commencerait d'abord par le recevoir.

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