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l'audace de ce général, mais ne parla point de poignards dirigés contre lui.

Cependant le discours prononcé dans la cour du château, discours semé d'impostures, de stylets et de poignards, et le souvenir de la déchirure de la manche d'habit du grenadier Thomé, durent suggérer à Bonaparte l'idée de publier qu'il avait été assassiné. Il fit appeler ce grenadier. Arrivé auprès de Bonaparte, il apprend, pour la première fois, qu'en détournant, avec son bras, le coup de poignard que lui portait un représentant, il lui a sauvé la vie; que cette action généreuse méritait une grande récompense. On lui accorda une pension; on le fit officier; l'épouse du général lui fit cadeau d'une précieuse bague à diamans; mais on lui dit, en même temps, qu'il fallait bientôt partir. Thome racontait à plusieurs personnes son heureuse aventure, en disant qu'il devait sa fortune à la déchirure de la manche de son habit, en passant par une porte'.

Après le violent discours de Lucien, prononcé dans la cour de Saint-Cloud, on fit répandre, parmi la troupe, que pendant la présence du général Bonaparte au conseil des cinq-cents, un représentant lui avait lancé un coup de poignard, que ce coup avait été détourné par le bras d'un grenadier qui était blessé. On donna la plus grande publicité à ce prétendu assassinat, et on prit tous

1 Mon examen de conscience, suite du 18 brumaire an VIII, par Savary, p. 37.

les moyens propres vérité'.

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à convertir cette fiction en une

Reprenons la séance du conseil des cinq-cents. On discutait sur la permanence du conseil, lorsque Sherlock monte à la tribune et dit : « Je ne sais » ce qui se prépare; mais, dans les cours et dans > les corridors on voit des troupes qui s'arment et s'agitent, et au moment où Lucien, votre pré»sident, a été conduit auprès de son frère le général, des cris de vive la république, vive Bonaparte! se sont fait entendre. Je vous propose de rappeler votre président au conseil, et qu'il lui » soit ordonné de venir reprendre ses fonctions. » On faisait diverses autres propositions, lorsque,

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1 Le lendemain les journaux affirmèrent qu'un coup de poignard avait été porté à Bonaparte; le Moniteur raconte le fait, n'oublie pas la manche déchirée, et ajoute que ce général a été blessé au visage. Fouché fit annoncer ce mensonge dans tous les spectacles de Paris. Les discours prononcés à la tribune et imprimés, le procès-verbal de la séance du conseil des cinq-cents, procès-verbal dicté par la plus révoltante partialité, reproduisirent la même imposture. Le 25 brumaire, Thomé étant au théâtre du Vaudeville fut couronné par acteur. Dans les rues de Paris, cette fable était mise en chanson, des gravures l'offraient à tous les yeux; on y voyait un représentant en costume levant un poignard sur le général Bonaparte; le général Gourgaud qui écrivait sous la dictée de Bonaparte a reproduit ce mensonge. D'après tant de témoignages comment ne pas croire? Ce n'est que depuis quelques années que le public a été détrompé ; la chambre des députés, d'après des preuves incontestables, a reconnu l'imposture et retiré au grenadier Thomé la pension qu'elle lui avait value.

du bas de l'escalier, on entend les tambours qui battent le pas de charge. Le bruit s'accroît et l'on voit les grenadiers qui s'avancent, et paraissent à l'entrée de la salle.

Un officier étranger à ce corps, et vêtu d'un uniforme de couleur verte, les commande; c'était le général Leclerc, beau-frère de Bonaparte. Ces grenadiers faisaient partie de la garde du conseil des cinq-cents; par un raffinement de perfidie que je crois sans exemple, on les avait choisis pour marcher contre ceux qu'ils étaient accoutumés à respecter et chargés de défendre. Ces grenadiers, il faut le dire, montrèrent beaucoup de répugnance à obéir à des ordres si contraires à leurs habitudes, à leurs devoirs. Pendant plusieurs minutes, ils hésitent à franchir le seuil de la porte. Le pas de charge battait, le général Leclerc criait : avancez, avancez donc. Enfin ils cèdent et entrent lentement en colonne jusqu'à la tribune.

Là, le député Talot leur adresse un discours véhément contre l'attentat qu'on leur fait commettre. Ils écoutent, restent immobiles, plusieurs en paraissent touchés. Le général Leclerc s'en aperçoit, et dit: Je n'entends pas tout cela; je ne connais que les ordres qu'on m'a donnés; et puis il ordonne aux tambours de battre; les tambours ôtent la parole à l'orateur.

Alors les grenadiers obéirent aux ordres de leur chef. Ils invitèrent les représentans à évacuer la salle. En faisant cette invitation, on en vit qui ver

saient des larmes, on en vit qui, secrètement, serraient la main de ceux qu'ils étaient forcés d'expulser '.

Les membres de ce conseil ne pouvaient ni ne devaient opposer aucune résistance; ils cédèrent à la force, et se retirèrent. Quelques-uns pressés par la foule sortirent par la porte opposée à celle par laquelle les grenadiers étaient entrés, et se trouvèrent dans le jardin. Tous rentrèrent un moment après dans le château, allèrent paisiblement déposer dans le vestiaire leurs toques, leurs manteaux, leurs ceintures ".

1 On ne sera point surpris de ces marques d'intérêt lorsqu'on saura que presque tous les grenadiers devaient leur place avantageuse à la protection des représentans.

2 M. Cornet dit : « Dès que Bonaparte fut conseillé de faire ⚫ évacuer par la force armée la salle du conseil des cinq-cents » et qu'il en eut donné l'ordre, cette salle se trouva vide.»> Cette assertion est fort inexacte, comme on le voit par le récit que je viens de faire. M. Cornet ajoute: « Les députés » s'enfuirent à toutes jambes, laissant la plupart leurs man»teaux dans les bosquets de Saint-Cloud.» (Notice historique sur le 18 brumaire, par M. Cornet, représentant du peuple, page 14.) Il est vrai qu'un seul député du dernier tiers, peu familiarisé avec de pareilles scènes, saisi d'effroi à la vue des baionnettes, se réfugia dans le jardin et y laissa son manteau, mais ce n'était pas la plupart des représentans.

On a dit et répété qu'ils étaient armés de stylets et de poignards, il n'en parut point à la séance; cette arme n'est pas française; quelques-uns avaient des pistolets et j'ai la certitude que deux députés en étaient munis. Est-ce que dans une circonstance aussi extraordinaire, il n'était pas permis de se

T. V.

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conseil, en avait expulsé les membres, et dissous l'assemblée. Lucien Bonaparte prit la parole, et traita cette nouvelle d'imposture; il ajouta que le conseil des cinq-cents était composé d'assassins armés de poignards, de cannibales qui ont voulu le forcer à prononcer la mise hors la loi contre son frère. Le délire de la colère lui inspirait à la fois des injures et des mensonges. Puis se radoucissant, il finit par cet autre mensonge : « Une poiguée de factieux tyrannise encore le conseil des cinq-cents; mais sa majorité adhère au conseil des anciens. >>

Le conseil des cinq-cents était déjà hors de Saint-Cloud, et se rendait à Paris; la majorité qui adhérait au conseil des anciens, se composait de vingt-cinq à trente membres que d'ignobles espérances avaient retenus à Saint-Cloud.

Un autre représentant du conseil des cinqcents voulut prendre la parole pour rétablir la vérité des faits, et repousser les injures de Lucien. Il fut interrompu, et on arrêta qu'on n'entendrait, dans ce conseil, que les orateurs qui en seraient membres '.

Les conspirateurs triomphaient; ils avaient subjugué la partie pure du conseil des anciens, et s'étaient débarrassés, par la violence, du conseil des cinq-cents. Alors, maîtres du champ de bataille, ils nommèrent, pour la forme, une commis

1 Procès-verbal du conseil des anciens, p. 27, 28.

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