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PRÉFACE.

Le titre de ce livre n'est pas fait pour attirer le lecteur. La chronologie a toujours été considérée comme une branche d'étude si ingrate, que les services mêmes qu'elle peut rendre sont souvent dédaignés, et que la peur de l'ennui en éloigne ceux qui ont le plus besoin de s'instruire. Nous savons tout le mal qui en a été dit dans tous les temps : « Un sec et triste faiseur d'annales ne connaît pas d'autre ordre que celui de la chronologie, remarque Fénelon1; il n'ose ni avancer, ni reculer aucune narration. Souvent, au contraire, un fait montré par avance de loin débrouille tout ce qui le prépare. Souvent un autre fait sera mieux dans son jour étant mis en arrière; en se présentant plus tard, il viendra plus à propos pour faire naître d'autres événements. » Ceci a bien été écrit contre nous, qui n'admettons pour le résumé des faits d'autre loi que la date, qui encadrons dans chaque année, et même par ordre alphabétique de peuples, tous les événements de quelque importance sous le rapport politique, militaire ou social. Nous suivons ainsi le cours des siècles, prenant sur la route tout ce que la Providence nous apporte, bon an mal an, de fondations de villes ou d'États, de destructions d'empires, de crimes éclatants, de révolutions intestines, de règnes vertueux, de malheurs ou de fautes des princes cruellement expiés par les nations, de découvertes utiles à l'humanité cupide ou souffrante nous ne racontons pas, nous posons les faits. La chronologie a un grand défaut qui la fait prendre en pitié par les imaginations vives, par les esprits philosophiques: qu'est-ce qu'une étude ou une science qui ne raisonne pas, qui n'a pas de système, qui semble affecter de n'avoir pas d'opinion? C'est un corps mutilé : l'âme et le mouvement lui manquent; elle ne dispose pas des idées

1. T. XXI, p. 230, Lettre sur les occupations de l'Académie.

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et des passions de l'humanité que les artistes, les poëtes, les philosophes même et les historiens manient tout à leur aise. Son office est plus modeste : elle ressemble à l'esclave nomenclateur du poëte Horace, chargé de faire connaître au riche insouciant et frivole quels sont ces grands personnages qui passent devant lui sur le Forum, à quelle famille ils appartiennent, s'ils ont des ancêtres bien antiques et illustres, ce qu'ils ont fait et quel est leur titre à la considération publique; et, comme lui-même il est du peuple, il lui parle un peu, chemin faisant, de cette masse qui compose la foule, des lois, des mœurs, des lumières des plébéiens. La galerie se renouvelle incessamment, l'esclave poursuit son énumération sibyllique depuis les premiers temps du monde jusqu'en 1852.

Il aurait été facile peut-être d'échapper à ce reproche d'impassibilité et de brièveté annuelle: choisir quelques faits dans chaque année, les développer et discuter à l'aise, et sacrifier résolument tous ceux qui n'ont pas d'intérêt dramatique, c'est là une méthode chronologique de morale en action, qui a son prix et qu'on aurait pu suivre si on avait voulu répondre à un autre objet que celui que nous nous sommes proposé. Nous avons mieux aimé laisser en leur place, à mesure qu'ils se produisent, tous les faits jugés utiles, sans en soustraire aucun, quelle que fût notre opinion, sans y substituer nos réflexions: rôle bien négatif, à ce qu'il semble, mais accepté en toute connaissance de cause, dans l'espoir que la peine que nous avons prise en épargnera un peu à ceux qui consulteront ce dictionnaire d'annales. Nous offrons l'extrait, plusieurs fois remanié et réduit, de volumineuses recherches qui ont porté sur les matières les plus diverses.

Les faits certains sont seuls admis dans un pareil livre. Pour les temps de l'antiquité, sauf l'histoire biblique, la chronologie est nécessairement pauvre. « Il n'y a pas à puiser, dit M. Daunou1, dans une multitude de chroniques et de chartes, dans de riches collections de mémoires et de monuments de chaque âge. Les sources se réduisent aux récits, quelquefois non datés, des historiens classiques, à des indications le plus souvent traditionnelles, à quelques

1. Cours d'études historiques, t. III, p. 441.

débris d'annales anciennes, recueillies plus ou moins exactement par les chronographes ecclésiastiques, et à un assez petit nombre de médailles et d'inscriptions dont la clarté n'est pas toujours parfaite, ni l'authenticité toujours indubitable. » Les événements les plus mémorables, et développés même avec complaisance par les historiens et par les poëtes, manquent de base chronologique. Sans parler des exploits de l'âge héroïque de la Grèce, que de dates différentes données pour Lycurgue et pour Zoroastre! L'histoire romaine n'échappe pas à ces incertitudes, soit pour les rois, soit pour l'époque des empereurs : l'avénement et la mort ou la chute des princes sont chronologiquement mieux connus que les souffrances des peuples qui les ont subis. Les temps du christianisme naissant, l'époque d'oppression du régime féodal, l'histoire locale des villes et des communes au moyen âge, et même les origines des libertés constitutionnelles pour les peuples modernes fourniraient des sujets d'érudition chronologique : nous nous en sommes tenu aux témoignages bien avérés et acceptés sans contradiction. Dans cet excès de zèle pour la vérité, quelques noms d'une célébrité problématique ont failli disparaître: mais, au risque de passer pour mauvais annaliste, et ne voulant pas chicaner un titre de gloire que l'histoire de convention a décerné, jusqu'au commencement de ce siècle, à l'antique Pharamond, nous avons gardé ce nom vénéré, d'existence fort douteuse, en tête des rois francs. Nous pourrions dire ici, comme Voltaire, qu'il ne s'agit pas de savoir «< en quelle année un prince indigne d'être connu succéda à un prince barbare, chez une nation grossière. » Pharamond, après tout, est avec plus de vraisemblance l'aïeul des Francs, que le dieu Mars celui des Romains.

Notre désir étant de fournir pour chaque pays les éléments essentiels de son histoire, nous ne nous sommes pas borné à la politique et à la guerre : les lettres, les arts, le commerce, les découvertes maritimes et scientifiques occupent plus de place à mesure que nous approchons de notre époque. Le chronologiste anglais Clinton nous a permis de donner une date de composition pour plusieurs monuments de la littérature grecque et romaine, qui fait l'objet de deux excellents volumes de notre collaborateur M. Pierron. Dans les temps modernes, nous avons aimé à saisir le moment où apparaî

un ouvrage ou une découverte; on apprécie mieux, ét sans qu'il soit besoin de commentaire, l'action immédiate exercée par l'œuvre littéraire ou scientifique: le désastre de la grande armada donne naissance au premier journal anglais; James Watt est contemporain des deux Pitt; Fulton, de Napoléon qui n'a pas confiance dans l'usage de la marine à vapeur pour son expédition préparée à Boulogne. Les routes du commerce asiatique, si importantes au moyen âge avant les courses audacieuses de Christophe Colomb et de Vasco de Gama, sont décrites au moyen des travaux de Malte-Brun; et, quand nous avons parlé des Indes orientales, nous avons appelé par leurs noms les plantes d'épices si longtemps productives pour la Hollande. Il n'y a pas de détails, si vulgaires en apparence, qui ne doivent figurer dans un résumé général : il nous importerait peu de savoir que Jules II, François Ier et Charles V introduisirent la mode de porter les cheveux courts, si les grands peintres d'alors ne l'avaient consacrée dans leurs œuvres immortelles. Tout ce qui frappe vivement l'esprit des peuples, tout ce qui prouve leur ignorance, leur science ou leurs mœurs, fait partie de leur histoire. La Chine pratique de temps immémorial l'observation des phénomènes célestes. Les comètes et les éclipses ont eu leur rôle dans les combats et les révolutions intestines. Thalès et Paul Émile expliquent une éclipse au moment d'une bataille; Pélopidas périt pour n'avoir pas été assez superstitieux, pour avoir fait l'esprit fort à la tête de soldats qui ont peur de l'obscurcissement du soleil. A Munich, en 1854, cinq ans après une des belles découvertes du génie mathématique appliqué à l'astronomie, on fait confesser et communier les enfants des gymnases, à la veille de l'éclipse totale de soleil, qui semble encore un phénomène terrible, quoique prédit rigoureusement à l'heure et à la minute.

L'étendue du volume, et la variété des noms de peuples qui paraissent dans chaque année, prouvent assez que nous n'avons pas été exclusif chaque pays obtient l'attention que son importance lui mérite, et cette impartialité, qui n'est pas de l'indifférence, a été conservée même à l'égard de la France, qui, faisant dans le monde pendant ses premiers âges, excepté au temps de Charlemagne, une bien modeste figure, laisse de la place à d'autres peuples, par exemple aux Arabes d'Espagne, chez qui le x siècle n'est pas, comme pour

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le reste de l'Europe, une époque de barbarie. Le travail progressif de la formation territoriale et les vicissitudes dynastiques des États qui se présentent successivement au premier rang, ont demandé souvent plus de dates et de faits précis que l'organisation intérieure et les révolutions sociales auxquelles ils doivent leur grandeur ou leur ruine. Des maisons, longtemps obscures, comme celle d'Héristal, comme celles d'Habsbourg et de Hohenzollern, s'élèvent peu à peu jusqu'à des trônes qu'elles garderont pendant des siècles. De grandes puissances européennes, la Prusse, l'Autriche, la Russie, l'Espagne, se sont formées par de lentes agglomérations de territoires : elles exigent une attention plus minutieuse que des nations plus heureusement douées, comme la France et l'Angleterre. Il est tout un côté, quelque sorte domestique, de l'histoire des princes, qui influe puissamment sur les destinées des peuples, surtout dans les âges de transition: nous avons tenu compte des mariages qui sont devenus des causes de discordes civiles, de guerres nationales ou de réunions d'États: le nombre, à coup sûr, en est grand, et le luxe d'érudition sur ce point nous aurait été facile si nous avions voulu abuser des nomenclatures de l'Art de vérifier les dates. La part de responsabilité qui appartient aux princes dans les événements de leur règne est proportionnée au degré de lumières qu'ils ont reçues de Dieu, à l'éducation que les circonstances leur ont donnée, à l'âge où les affaires sont tombées dans leurs mains ou en sont sorties: toutes ces causes préoccupent le moraliste et l'historien, qui apprécient les titres de chacun à la gloire et jugent des progrès de l'humanité; la chronologie peut surtout indiquer l'âge des princes, à leur avénement ou à leur mort, et fournir ainsi l'excuse de bien des fautes, la raison de bien des malheurs.

Les synchronismes présenteront, à quelque partie de l'histoire qu'on s'attache, des variétés intéressantes et des leçons de l'ordre le plus élevé. Notre objet n'était pas de les faire ressortir, du moins dans le texte des annales; les faits parleront d'eux-mêmes à qui les interrogera avec soin. Des ressemblances, des analogies, des contrastes étranges, dans la conduite des princes, dans les mœurs des peuples, dans leurs travaux littéraires, dans les révolutions qui fondent ou renversent les États, qui en modifient la forme de gouvernement, sont au moins une curiosité pour ceux qui n'y veulent

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