Bords de la tiviere. Singes. quelque maladie contagieufe fatale aux hommes & aux bêtes; & pour détourner ce malheur, on célébre une fête folemnelle dans tout le pays, afin d'appaifer les Efprits deftructeurs qui restent après que les eaux fe font retirées. Les ceremonies que l'on fait alors, confiftent à allumer des lanternes de papier, qu'on met près des principaux Temples, dans le Palais du Roi, & dans les maifons des perfonnes de diftinction; pendant que les Prêtres chantent leurs Offices ou Prieres dans leurs Couvens. Nos Européens ont remarqué, que fi les vents de Nord, qui foufflent avec beaucoup d'impetuofité dans ce tems-là, ne font pas affez forts pour chaffer l'eau vers la mer, & qu'ainfi elle ne fe retire que lentement, on trouve un limon vifqueux fur la terre, dont la corrup tion & la mauvaise odeur peut bien donner lieu à cette maladie contagieuse. Les bords de cette riviere font bas, & la plupart marécageux; cependant, à compter depuis Judia jufqu'à Bankok, ce qui fait pour le moins les trois quarts du chemin jusqu'à la mer, ils font affez bien peuplez. On y voit de chaque côté plufieurs Villages, dont les maifons font élevées fur des piliers, mais miférablement bâties, quelquefois de beaux Temples & de belles maifons des Prêtres, & quantité d'arbres, dont les uns portent du fruit & les autres non. Mais de Bankok jufqu'au Havre, ce ne font que Forêts, Deferts, & Marais; & il y a par-tout en abondance des Bambous & du Gabbé Gabbé (forte d'arbufte qui a les feuilles femblables à celles du palmier) dont les habitans fe fervent pour bâtir leurs maisons, faire des hayes & des toits. Il y a deux fortes d'Animaux qui fervent d'amufement aux Voyageurs, lorsqu'ils font fur cette riviere Premierement, un nombre incroyable de Singes d'une couleur noirâtre, dont quelques-uns font fort gros; & d'autres qui font de la grandeur ordinaire, & d'une couleur grife: ils fe promenent fur le rivage, comme par maniere de paffe tems, tems, ou grimpent fur les arbres; mais le foir ils fe perchent par troupes, comme les corbeaux, fur les plus hauts arbres qui bordent la riviere. Les femelles tiennent leurs petits dans leur fein fi ferrez, que quand même on les abattroit mortes d'un coup de futil, elles ne lâcheroient pas prife. Ils aiment ces lieux-ci, parce qu'ils y trouvent leur nourriture fur de grands arbres apellez Tjaak, qui y croiffent en grand nombre: les feuilles font ovales, d'un verd clair, & le fruit eft à peu près de la forme & de la groffeur de nos pommes, mais il femble plus compacte & plus ferré, & eft fort âpre au goût. Les Mouches luifantes offrent une au- Mouches tre vue très agréable. Elles fe placent fur quel luifantes. ques arbres, & y forment comme une nuée de lumiere; avec cette circonftance furprenante, que lorsqu'un effain de ces Mouches s'eft pofé fur un arbre, & qu'elles fe font repandues fur toutes les branches, elles cachent quelquefois tout d'un coup leur lumiere, & un moment après la font reparoitre avec une régularité & une exactitude merveil leufe; commé fi elles étoient dans une fyftole & diastole perpetuelle. Ce qu'on y trouve auffi de particulier, ce font les Mofquites, efpece de Coufins, dont on ne voit qu'un petit nombre fur l'eau pendant le jour; mais la nuit il y en a une quan- Coufins, tité prodigieufe, & on a bien de la peine à s'en garantir. Il y en a de femblables en Ruffie, qui incommodent extrêmement les Voyageurs, mais ils font plus petits, leur aiguillon eft moindre, & par confequent ils font moins de mal. Ces Infectes rendent fort incommode & fort defagréable ce voyage par eau, qui feroit autrement aflez divertiffant. Le feptieme de Juillet, qui étoit un vendredi, nous fortimes de la riviere à la pointe du jour; & avec un vent de Nord favorable nous arrivâmes à huit heures à bord de notre vaiffeau, qui étoit à l'ancre à quatre lieues de l'embouchure de la riviere, fur fix braffes d'eau. Ce havre eft la fin d'une Baye entre les pays de Cambodia & de Siam: le fond Mofqui tes ou fond est une terre graffe molle, & il a cinq ou fix braffes de profondeur, plus ou moins. Les Jonques & les vaiffeaux qui ne font pas chargés peuvent, à l'aide de la marée, remonter auffi haut que Bankok. Il y avoit plufieurs Jonques, ou vaiffeaux marchands Chinois, près de l'embouchure de la riviere, où l'on avoit mis diverfes marques pour faire éviter les bas-fonds. On y voyoit auffi plufieurs bateaux de Pêcheurs; car il fe prend ici autour une grande quantité de poiffon, & particulierement de Rayes, dont la peau fert aux Japonnois à faire des ouvrages très délicats. Les Pêcheurs plantent auffi des pieux dans les fonds bas, où l'eau douce fe mêle avec celle de la mer, & les ôtent le jour d'après lorfque la marée defcend, avec les coquillages qui s'y font attachez, dont il y auroit dequoi nourrir cinquante perfonnes. Etant venus à bord, nous trouvâmes que la difcorde s'étoit mise dans l'équipage, parmi les Officiers auffi bien que parmi les Soldats, & que ce defordre étoit augmenté par la quantité exceffive de Lau qu'ils buvoient. Le Lau eft une espece d'eau de vie faite dans le pays. Le Capitaine, qui avoit beaucoup de douceur & de bonté, (qualitez peu ordinaires aux gens de mer Hollandois) rétablit l'ordre en faifant mettre quelques uns aux fers, & ordonnant qu'on se preparât à faire voile le lende main. Le huitieme de Juillet, lorfque nous étions occupez à embarquer le refte des peaux, deux Officiers du Comptoir Hollandois qui eft à Judia vinrent pour faire la revue de l'équipage du Vaiffeau, felon la coutume. Comme il faifoit alors -un-vent de terre Sud-Oueft, ils nous quitterent le 11, & s'en retournerent à terre; & nous les faluames d'une triple décharge de cinq coups de canon. Nous profitâmes du même vent pour porter au Sud-Eft, afin de gagner la pleine mer, le par nous y fervir des vents alifez du Sud, yen defquels nous devions faire voile au NordNord-Eft le long des côtes de Cambodia, de la & mo Co Cochinchine, & de la Chine, vers les ports du Japon. Il eft bon de remarquer, que dans ces pays Orientaux, depuis Malacca jufqu'au Japon, il y a des vents qui regnent conftamment au Sud & au Sud-Eft pendant quatre mois, qu'on apelle la Saifon du Sud ou de l'Oueft, ou la Monfon: enfuite ils regnent au Nord & Nord-Eft pendant quatre Monsons. autres mois, ce qu'on nomme la Saifon du Nord ou de l'Eft, ou la Monfon. Entre ces deux Saifons il y a un intervalle de deux mois, pendant lequel le vent eft toujours variable, paffant d'un de ces points à l'autre, jufqu'à ce qu'enfin il se fixe à celui qui eft oppofé. Cependant il arrive quelquefois, à la grande mortification des Mariniers, que les vents alifez fe fixent plûtôt ou plus tard de quelques femaines, qu'à l'ordinaire. Ces Saifons ont auffi lieu dans d'autres parties des Indes, avec cette feule difference, que fuivant la fituation des pays, des rivages, & des mers, les vents font plus ou moins conftans à l'Eft ou à l'Oueft; & pour cette raifon on appelle ces mois les Monfons de l'Eft ou de l'Ouest. Toute la Navigation dés Indes & de l'Afie doit fe regler fur ces Monfons. Nous nous trouvions alors dans la Saifon du SudOueft, & nous comptions d'en profiter pour faire notre voyage auffi-tôt que nous ferions fortis de ce Golphe ou Baye. Ainfi nous levâmes nos ancres pleins d'efperance; mais nous nous trouvâmes trompez: le vent fe tourna au Sud, & contraire à notre route; de forte que ne faifant que revirer de bord, mettre à la cape, lever & jetter l'ancre, le tems étant variable & quelquefois fort gros, nous perdimes plufieurs jours, & n'avançames que fort peu. Je ne fatiguerai pas ici le Lecteur par une relation ennuyeufe des vents & des changemens de tems que nous eumes, ni des autres particularitez peu confiderables de notre Navigation, que j'ai marquées dans mon Journal & dans ma Carte: je me contenterai de remarqur, en auffi peu de mots qu'il fera poffible, ce qui nous arriva de plus confiderable, D Tom. I Le Départ de Siam. jang. don. Le 23. de Juillet, qui étoit un Dimanche, nous quittâmes les côtes de Siam & les montagnes de Kui, & fortimes de ce Golphe, faifant route au Sud-Eft. Le 26. nous vimes la longue & baffe Ifle Puli Pan- de Puli Panjang, à l'Eft-Nord-Eft, & fimes route tout le long de cette Ifle, à quelques lieues de Puli Ubi, distance. Le 27. nous reconnumes l'Isle Puli Ubi, qui nous parut compofée de plufieurs hautes montagnes & de plufieurs petites lles. Nous la laiffames à notre gauche, à la distance d'environ quatre lieues. Le 28. de Juillet, nous découvrimes dePuli Con- vant nous la grande lile de Puli Condon. Elle appartient, auffi bien que la precedente, au Roi de Cambodia: elle eft deferte, mais il y a un bon ancrage, & de bonne eau douce. Nous paffames auprès, & la laiffames à notre droite, à environ trois lieues; & peu de tems après nous découvrimes devant nous à notre gauche deux rochers, entre lesquels nous paffames au Nord-Eft, le vent ayant continué jufqu'alors au Sud-Ouest. Le 29. au matin nous nous aperçumes que le courant de la riviere de Cambodia nous avoit emportez trop loin hors de vue de la terre; & ayant tâché de nous en rapprocher en portant au Nord, nous Tfiampa. trouvâmes que c'étoit Tfiampa. Nous étions emportez fi violemment vers le Nord-Nord-Eft par le courant, que quoi qu'il nous fit beaucoup avancer, confiderant que la profondeur de ces lieux-là nous étoit inconnue, nous réfolumes de nous arrêter, & ainfi nous jettames l'ancre auffi-tôt que nous trouvames du fond, & y paffames toute la nuit. Le 31. nous eumes d'un côté à deux ou trois lieues de nous, une côte fort haute & efcarpée, qui s'abaiffa un peu le premier & le second d'Août; elle paroiffoit nue, infertile, & inegale, & fe retiroit quelquefois vers le Nord-Eft, & quelquefois vers le Nord. Nous pourfuivimes notre route tout le long de cette côte affreuse, ne trouvant point de fond, mais ayant un vent moderé, & un fort beau tems: & le foir nous nous trouva. mes un peu au-delà des Ifles Puli Cambir de Ter Puli Sambir de Terra. ra, |