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voyait réduite à n'être plus qu'une expression de géographie.

En Allemagne, où les peuples, armés pour l'indépendance de leur patrie, étaient condamnés à ne rêver la grandeur de cette patrie que dans l'histoire du passé, et se voyaient obligés par l'Europe à ne chercher leur destinée dans la convenance de leurs voisins.

que

C'étaient autant de foyers de révolution qui se formaient en Europe et qui devaient, de leurs explosions successives, ébranler d'abord, puis renverser l'ouvrage.

Enfin, l'Europe victorieuse n'avait pas assez tenu compte de la nation française. Elle avait calculé qu'en enlevant à la France ses conquêtes, on lui ferait oublier sa gloire. On prétendait la refréner et l'humilier : on l'offensa. A ne considérer que le seul système de l'équilibre, il n'était pas d'un calcul exact des forces de refouler la France dans ses limites d'avant 1792. L'Autriche, la Prusse reprenaient, accroissaient même les possessions qu'elles avaient acquises depuis cette époque. C'était un fait que les Français avaient, depuis 1792, identifié l'idée de la république et de l'indépendance nationale, avec celle des limites de la Gaule, des « limites naturelles ». L'Europe n'y avait jamais consenti; mais était-il sage de tenir, encore ici, pour nulle et non avenue une conception aussi nationale et aussi passionnée? N'eut-il pas été prudent de faciliter aux Français, par un ménagement de leurs intérêts et de leurs idées, l'acceptation du nouvel ordre de choses? Ils en auraient. ainsi, peu à peu, reconnu les avantages: la France homogène et concentrée, entre des nations divisées, des États faibles et dispersés, Hollande, Allemagne, Italie. Au contraire, on rejeta la France sur sa révolution, on la ramena à identifier, comme en 1795, la liberté et les limites naturelles; à compléter ses revendications, à l'intérieur, contre la charte octroyée, par les revendications au dehors, contre les « odieux » traités de 1815, et à faire, de la destruction de ces traités, une question de patriotisme français. Contre l'intérêt bien entendu de la France, on fit de la nation française l'alliée naturelle de tous les peuples qui se révoltèrent contre ces traités, et l'on entraina

nécessairement les gouvernements français qui cherchèrent la popularité dans la gloire, à s'associer, en Europe, aux gouvernements que leur ambition poussa à déchirer le pacte de Vienne et à exploiter, au profit de leur grandeur dynastique, les passions nationales des peuples.

C'est ainsi qu'en 1830 la révolution se fit autant pour la charte que pour la limite du Rhin; que la Belgique, animée par l'exemple de la France, se souleva et fut séparée de la Hollande; que la Pologne s'insurgea, et que le cri de Vive la Pologne! fut dans les rues de Paris, en 1830-1832, en 1848, un cri de révolution française; qu'en 1859-1860 l'empereur Napoléon III s'associa au Piémont et fit l'unité de l'Italie; qu'en 1866, il laissa faire la Prusse. « Je déteste, disait-il en mai 1866, je déteste, comme la majorité du peuple français, ces traités de 1815, dont on voudrait faire aujourd'hui l'unique base de notre politique extérieure 1. »

Minés ainsi dès leur origine et dans leurs fondements, ébranlés en 1830, renversés, en partie, en 1848, puis relevés à grand renfort d'étais et d'échafaudages, les traités de Vienne ont été anéantis, en 1860, 1866 et 1870, par la création d'une Belgique indépendante et neutre, par celle d'une monarchie italienne, par celle d'un empire allemand. Il ne reste plus rien de ce qui fut essentiellement l'œuvre de Vienne, ni dans les faits, ni dans les principes, et, sauf en ce qui concerne la Belgique, cette ruine n'a été plus dommageable à aucune nation qu'à la nation française, qui a si souvent maudit ces traités et qui a si fortement contribué à les détruire.

III

La guerre de 1792-1815, a été une immense guerre de limites, les traités qui l'ont finie ont été des traités de limites, 1 Discours d'Auxerre, mai 1866.

et, par là, les luttes de la France et de l'Europe durant la Révolution, continuent l'histoire de la France et de l'Europe sous l'ancien régime. Mais qui s'arrêterait à cet aspect des choses n'en verrait que la figure, et des hommes qui ont soutenu ces luttes, il ne connaîtrait rien, sauf la carte des pays où ils ont porté leurs armes. Il y a autre chose, et cette autre chose est essentielle, c'est l'esprit qui meut les masses humaines, l'âme qui anime la matière de l'histoire. La forme de la terre ne change pas; la conception que les hommes se font de la terre et de l'existence humaine, leurs raisons de vivre et de mourir se modifient au même attachement à la cité natale, à la même convoitise de la cité d'autrui, à la même jalousie de leur indépendance propre, à la même ambition d'assujettir celle des autres, les temps apportent des raisons diverses, nourrissent ce feu perpétuel d'aliments variés et l'attisent de souffles nouveaux.

L'Anglais du prince Noir est le même que celui de Cromwell et que celui de Wellington : la piété catholique des soldats de Henri IV, envahissant la France leur clergé en tête, chantant des psaumes et se confessant la veille d'Azincourt; le fanatisme des lieutenants de Henri VI, qui firent brûler Jeanne d'Arc comme hérétique et sorcière, sortent des mêmes fonds que le piétisme des puritains de Guillaume III, qui prétendaient confondre Baal et Nabuchodonosor en la personne du roi très chrétien, et châtier Babylone dans Versailles. Toute l'âme et tout l'esprit des guerres de la Révolution, telles que les menèrent les Français, paraît dans les croisades, depuis la première, toute populaire et spontanée, qui s'en allait en procession tumultuaire délivrer les lieux saints, jusqu'à celles qui mêlèrent l'entreprise sacrée et la combinaison politique, conduisirent saint Louis en Égypte, le firent mourir à Tunis et dégénérèrent en la conquête d'un empire chrétien à Byzance, en découpures de fiefs dans la Terre sainte, engourdirent les chevaliers dans les délices des harems d'Orient et ne laissèrent d'autre trace de leur passage que des noms de dynasties éteintes ou des châteaux en ruines.

Vous les retrouverez pareils dans la conquête de Naples au temps de la Renaissance et dans ceux de la Révolution.

Et cependant l'Anglais de la guerre de Cent ans, le puritain, le colonisateur du dix-septième siècle, le manufacturier exportateur et accapareur du dix-neuvième; le Français de saint Bernard et celui de Vergniaud, le soldat de Charles VIII et celui de Championnet, le général de Louvois et celui du comité de Salut public, le mousquetaire de Louis XIV et le grenadier de Napoléon, s'ils parlent la même langue, s'expriment en des idiomes d'âge si divers et traduisent en images si disparates des idées si différentes, que, suivant les mêmes routes pour marcher au même but, s'ils se rencontraient, ils ne sauraient se reconnaître et ne se comprendraient pas.

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La nouveauté, en 1792, c'est la déclaration des droits de l'homme qui donne au prosélytisme naturel à la conquête française le caractère spécial au siècle, la forme appropriée au génie et aux passions des contemporains : l'idée abstraite et universelle. En l'assimilant à leur génie, les Français la transformèrent à leur sang et à leur chair, et si les maximes demeurèrent abstraites et universelle, l'idée se fit réelle et particulière de la sorte, elle entra dans les faits, mais la propagande, dès lors, se confondit avec la conquête. Rien n'y fit, ni l'ardeur des convictions et l'enthousiasme humanitaire et civilisateur des uns, ni l'âpre génie théocratique et convertisseur des autres, ni l'apostolat, ni l'inquisition. La nature, comme toujours, balaya la théorie. Les Français enroutèrent la Révolution dans la grande voie romaine de l'histoire de France : ils en firent une œuvre vivante, et la Révolution nationalisée fit des Français la grande nation. La démocratie française reprit ainsi et accomplit, un moment, le dessein classique des rois la suprématie militaire, politique, juridique, intellectuelle du continent; elle dépassa Louis XIV, recommença Charlemagne et réalisa le rêve séculaire : l'empire romain du monde moderne, la paix romaine par et pour les Français.

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Cette entreprise hyperbolique réussit parce que les França is

réalisèrent en eux-mêmes la Révolution, que d'une entité cosmopolite, ils firent une réalité française, confondirent les droits de l'homme avec les droits du Français et leur suprématie sur le vieux monde avec l'affranchissement des peuples de l'Europe. L'entreprise croula par l'effet même de son succès à l'exemple des Français, les peuples conquis firent chacun des droits de l'homme leurs propres droits et ne voulurent connaître d'autre affranchissement que celui qu'ils opéraient eux-mêmes, en se délivrant des étrangers.

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La puissance de la Révolution dans le monde provient donc du caractère particulier de ses applications par chacun des peuples où elle se propagea. Elle a été partout comme en France, exclusivement nationale, ce qui a fait sa force d'impulsion entre les mains des Français et sa force d'assimilation dans l'âme des autres peuples. Elle est devenue pour chacun sa chose et la chose principale, celle qui prime toutes les autres et dont toutes les autres procédent : l'indépendance nationale, qui est pour les peuples ce qu'est la première aspiration de l'air pour l'enfant qui nait au monde, la première manifestation et, jusqu'à la fin, la condition nécessaire de la

vie.

La lutte des peuples pour conquérir chacun le gouvernement de soi-même, ou la démocratie, pour conquérir leur indépendance à l'égard des autres peuples, ou la nationalité, remplit le dix-neuvième siècle : elle a fait l'Europe, profondément nationale, où nous vivons. Les deux faits sont corrélatifs. Ils ressortent ensemble de la Révolution française; ils expriment, sous deux formes, un même principe, celui de la souveraineté nationale. La France qui, la première l'a proclamé, l'entendait avec justice et magnanimité: J'aime, donc je suis! Voilà, dans le véritable esprit de la Révolution française, l'axiome fondamental de la nationalité. En ce sens le principe de nationalité devient un principe de justice. C'est un honneur que la France est en droit de revendiquer, d'avoir fondé son droit public sur ce principe, qui donne la seule sanction de la conquête, à savoir que les peuples seuls

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