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Gette ardeur martiale, déjà si nuisible à la liberté lorsqu'elle gagne la masse du peuple, devient des plus funestes lorsque le monarque se met à la tête des troupes; la subordination et la discipline d'une armée ne font que trop perdre de vue la solide gloire : le despotisme militaire, utile pour assurer les devoirs du soldat, fait contracter l'habitude de rendre aux personnes cette sorte de soumission que les vrais citoyens croient ne devoir qu'aux lois et à la patrie ! Accoutumés à suivre aveuglément les ordres du général, les subalternes se disposent bientôt à la même déférence pour les commandemens du monarque : lui obéir dans une qualité, et non dans une autre, est une distinction bien délicate pour un soldat! Depuis dix années, les troupes ne connaissaient et ne voyaient que leur chef même après ces fautes, même après ses revers, elles le saluaient des acclamations habituelles; et, au moment de périr, leurs cris de Vive l'empereur! rappelaient l'expression de Tacite : Caesar, morituri te salutant. « A son élévation au consulat, dit le ma» réchal Gouvion-Saint-Cyr (Mémoire sur la campa» gne de Catalogne), Napoléon trouva l'armée aussi républicaine qu'il l'avait laissée à son départ pour l'Egypte; mais, n'aspirant d'abord qu'à rétablir la » royauté, en attendant qu'il pût mettre en pratique » les idées qui l'avaient séduit dans l'Orient, il sentit qu'il n'y parviendrait qu'après avoir changé son esprit. Il s'appliqua dès lors à la corrompre; et, quoi>> que les principes républicains y eussent jeté de plus profondes racines que parmi les citoyens, il y par>> vint en peu d'années, en introduisant dans les corps >> un luxe effréné, et en excitant tous les genres d'am»bition. Les troupes, par leur composition, ne pou>> vaient conserver long-temps un esprit qui n'était pas

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» partagé par la nation. Ainsi, les décorations, qui, >> en 1802, avaient failli être repoussées, ou qui, du » moins, avaient été accueillies plus que froidement, >> furent reçues plus tard avec transport, et enfin, en 1809, on était très-mécontent, en Catalogne, de n'en >> point obtenir, quand on savait les avoir méritées. »

Napoléon savait très-bien qu'il faut mettre les hommes dans les intérêts de notre gloire, si nous voulons qu'elle soit immortelle; mais assez souvent il perdit de vue que nous ne pouvons les y mettre que par des bienfaits solides; que les louanges que nous donnons à nos chefs se rapportent toujours par quelque endroit à nous-mêmes, et que l'avarice ou la vanité en sont les sources secrètes; que la reconnaissance l'emporte sur la vanité, et que celle-ci souffre sans peine que nos bienfaiteurs soient en même temps nos maîtres. La gloire qui finit avec le conquérant est toujours fausse; cette gloire, étant le fruit de l'erreur et de l'adulation. finit avec elle, et les éloges mercenaires, loin d'immortaliser la gloire des hommes fameux, n'immortalisent que l'esprit de cupidité et de bassesse de ceux qui les donnèrent.

Sur la fin de sa carrière, l'empereur se plaignait d'un relâchement de zèle de la part des généraux qu'il avait comblés de ses dons; mais son impatience du repos et son désir des conquêtes étaient parvenus à un tel degré, qu'il ne pouvait que lasser les anciens militaires : il avait épuisé leur activité et glacé leur ardeur en voulant les prolonger indéfiniment. Tandis que sa fureur belliqueuse ne faisait que s'accroître, eux en avaient assez de la guerre après vingt campagnes; en outre, suivant l'observation de Montesquieu : « Comblez >> un homme de bienfaits, la première idée que vous lui inspirerez c'est de chercher les moyens de les conser

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GOUVERNEMENT IMPERIAL.

1814.

» ver, ce sont de nouveaux intérêts que Vous lui don>> nez à garantir.:

Bonaparte, conduisant la nation à la conquête du monde, a reçu en échange le sacrifice de toutes ses libertés, l'abandon de tous ses droits, la disposition de toute sa population militaire. Les Français auront, une deuxième fois encore, manifesté qu'on les mène à la servitude en irritant ce désir, ce penchant irrésistible de dominer, qui furent leurs mobiles dans presque toutes les grandes guerres. Il pourra dire d'eux :

J'ai cent fois, dans le cours de ma grandeur passée,
Tenté leur patience, et ne l'ai point lassée.

Puisse cette dernière épreuve les désabuser à jamais, et leur inspirer l'envie bien plus louable de se rendre heureux chez eux-mêmes, en y cultivant tous les avantages qu'ils y possèdent ! Ils seront toujours assez forts pour repousser le bras de l'étranger, s'ils savent être justes les uns envers les autres, et, de plus, mépriser les rivalités nationales. Mais, s'ils ne savaient pas conserver leurs libertés constitutionnelles, si, se précipitant eux-mêmes au-devant de la servitude et de la superstition des anciens régimes, ils se laissaient dérober leur charte constitutionnelle, ils deviendraient bientôt les plus vils, les plus méprisables des hommes : ils seraient les jouets de l'Europe, après en avoir été les maîtres; après avoir été dépouillés de toutes leurs conquêtes, ils seraient même dépouillés de leur gloire militaire; l'Europe insulterait à leurs trophées, et c'est dans l'esclavage et la superstition qu'irait s'éteindre une nation brave, généreuse, et digne de la liberté !

FIN DU SEPTIÈME VOLUME.

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