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NOTE SEPTIÈME.

CHAPITRE IV. - Page 137.

Sur la différence des chances de la guerre de terre et de la guerre de mer, et sur l'évaluation comparative des forces navales de la France de 1778 à 1814.

Nous avons parlé dans une note précédente du prodigieux accroissement de la marine anglaise de 1793 'à 1801: cette accablante supériorité fut le résultat inévitable de la guerre de mer la plus mal conduite et la plus désastreuse dans laquelle la France ait jamais été engagée. On ne saurait trop redire que sa marine soutint ces longs revers avec une admirable constance; que si ses armées de terre se couvrirent de gloire au milieu des triomphes presque continuels, ses marins n'en acquirent pas moins dans la contraire fortune, ayant toujours à luter contre des forces infiniment supérieures, et sans espoir de ramener la victoire sous leurs pavillons dispersés. Sur terre, dans les actions les plus vives, les défaites entières sont rares; rien n'excuse le chef imprévoyant qui n'a pas, avant de livrer ou de recevoir la bataille, assuré sa retraite et su se ménager, s'il est forcé de céder au nombre, les moyens de conti

nuer la guerre défensive sans compromettre le salut de son armée. Dans la guerre de mer, l'action toujours décisive entraîne la perte de l'un des deux partis la fortune variable comme les vents fait rencontrer ou éviter l'ennemi; mais une fois en présence, la retraite n'est presque jamais possible; il n'y a de salut que dans la victoire. Les résultats de la plupart des batailles sur la terre ferme (en les considérant en eux-mêmes, et indépendamment des causes politiques par lesquelles quelques-uns de ces événemens ont réellement influé sur le sort des états) se réduisent souvent à l'occupation du champ de bataille par le parti vainqueur, et à l'honneur des trophées enlevés aux vaincus : aussi avons-nous vu, dans le cours de la guerre de la révolution, différentes puissances réparer, en quelques mois, les pertes considérables d'hommes, de chevaux et d'artillerie qu'elles avaient faites dans une campagne, et reparaître plus formidables. Il n'en est pas ainsi pour la guerre de mer; les chances de ce terrible jeu sont ici beaucoup plus grandes ; l'avantage de celui qui gagne la première partie s'accroît à l'instant dans une proportion double de la perte qu'il fait éprouver à son adversaire, et celui-ci ne pouvant réparer cette perte que très-lentement, n'a presque plus de chances favorables à espérer.

Supposons que dans une bataille entre deux ar

mées d'égale force, de chacune 60,000 hommes ayant 250 pièces d'artillerie, l'armée A après avoir battu l'armée B lui ait pris 50 pièces de canon et fait 10,000 prisonniers; accordons que la perte en tués et blessés ait été de 10,000 hommes dans l'armée battue, et de 5,000 dans l'armée victorieuse, l'armée B se retire en bon ordre avec 50,000 hommes et 200 pièces de canon, pour manoeuvrer en défensive devant l'armée A forte de 55,000 hommes, et de 300 pièces de canon. Cette supériorité ne suffira pas au général vainqueur pour poursuivre de position en po sition l'armée B, et la forcer à combattre de nouveau, avant qu'elle ait reçu des renforts, ou qu'elle se soit appuyée à une place, ou qu'elle se soit retranchée avantageusement : les 100 pièces d'artillerie que l'armée A se trouve avoir de plus que l'armée B n'auraient d'effet décisif que dans une affaire générale que l'armée B doit et peut éviter. Supposons maintenant la rencontre à la haute mer, et le combat de deux escadres d'égale force A et B chacune de 15 vaisseaux de rangs correspondans : l'escadre A a battu l'escadre B; celle-ci a perdu trois vaisseaux, dont un ayant pris feu et sauté pendant le combat, et deux ayant été dégréés sont tombés dans la ligne ennemie, et ne pouvant plus manoeuvrer ont été contraints d'amener leur pavillon. Supposons que les pertes en homines et les avaries du combat sont égales de part

et d'autre si les escadres peuvent tenir la mer, et que le temps permette de se ragréer assez pour renouveler le combat, l'escadre B est inévitablement perdue; parce que, réduite à 12 vaisseaux tandis que l'escadre A en a 17, son arrière-garde sera doublée et combattra entre deux feux, tandis que les sept autres vaisseaux engagés bord à bord ne pourront venir à son secours. Prendra-t-elle chasse en faisant fausse route pour échapper à son entière destruction et rentrer dans ses ports? Alors l'escadre A, si elle peut l'atteindre, reste maîtresse de la mer, choisit à son gré ses stations et ses relâches, et poursuit ses avantages: tout le cours des opérations est changé, toute balance est rompue par ce seul événement. De tels exemples de cette différence de résultats sur l'un et l'autre élément, n'ont point été rares; et l'on peut en conclure, que les premiers combats dans une guerre de mer ont bien plus d'importance que dans les guerres de terre, dont le début heureux ou malheureux ne saurait influer, aussi positivement sur la suite des opérations.

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Toute puissance maritime menacée d'une guerre de mer, doit se préparer à frapper les plus grands coups dès la première campagne; et si cette puissance est en même temps continentale et maritime, il lui importe d'autant plus de disposer le matériel et le personnel de sa marine de manière à prévenir

l'agression. Son système d'armement doit être tellement combiné, qu'elle puisse mettre en mer, en même temps, la totalité de ses forces navales disponibles : elle le pourra si les états-majors, le fonds et les cadres des équipages sont formés d'avance et entretenus au plus petit pied pendant la paix ; si le grément, l'artillerie et les approvisionnemens de guerre pour chaque bâtiment sont emmagasinés et maintenus en bon état. Ces dispositions seules peuvent rendre une telle puissance respectable, et lui garantir la durée de la paix. La France eut presque toujours, dans ses fréquentes guerres contre l'Angleterre, l'avantage de la célérité des premiers armemens; elle le devait à l'institution des classes et de l'inscription maritime : mais ce système n'a été perfectionné que lorsque, au lieu de former au hasard les équipages des vaisseaux et des frégates, on en a d'avance organisé les cadres; lorsqu'on a appliqué aux diverses espèces de combattans l'ordre, la subdivision du commandement et d'autres perfectionnemens qu'elle pouvait admettre, et qui n'ont été long-temps repoussés, que par le préjugé des anciennes habitudes, et par un éloignement déraisonnable de toute similitude avec l'organisation et la discipline des troupes de terre.

Quoique la question de cette organisation fixe des équipages de haut-bord soit encore vivement con

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