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et pendant douze années, au despotisme altier de Napoléon? L'explication de ce phénomème se trouve dans les traces profondes de l'ancien régime, dans l'impression si vive du gouvernement royal, émané d'un prétendu droit divin, dogme sur lequel se fonde aussi l'abjecte soumission des Turcs à la famille d'Othman. Avant même Louis XI, les jurisconsultes au barreau, les professeurs dans les classes, les théologiens dans les universités, les prédicateurs en chaire, les historiographes à la cour, les flatteurs à chaque étage de l'administration proclamaient à l'envi, ne cessaient de prêcher, d'écrire, d'insinuer que le prince est la vivante image de Dieu sur terre; qu'on ne doit pas moins d'obéissance au roi visible dans les choses temporelles qu'au roi du ciel dans l'ordre intellectuel; que les oints du Seigneur ne sont obligés à rien de la part des peuples; qu'aucun pacte n'existe entre les uns et les autres ; que les droits ou les devoirs du roi et du sujet ne sont pas respectifs : « Au roi seul ap>> partient la puissance souveraine dans le royaume. » Il n'est comptable qu'à Dieu seul de l'exercice du pouvoir suprême. Le pouvoir législatif réside dans » la personne du monarque sans dépendance et sans » partage.» Discours du garde des sceaux, le 19 novembre 1787 (V. cette date). Depuis cinq ou six siècles, et surtout depuis Louis XI, on répandait la doctrine que, si les princes abusent de leur puissance, Dieu seul doit en connaître, attendu qu'ils ne la tiennent que d'un mandat divin. On sait qu'après avoir pris l'avis de quelques casuistes, docteurs de la Sorbonne que ses adeptes nommaient le concile subsistant des Gaules, Louis XIV sécoua tout scrupule de conscience en augmentant les impôts, parce que ces prêtres décidèrent que les biens de ses sujets lui

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appartenaient en propre. D'après cette décision, n'était-il pas loisible aux monarques de ravir toutes sortes de propriétés et d'établir, à cet effet, telles mesures qu'ils aviseraient? N'étaient-ils pas en droit d'enlever des épouses à leurs maris, ainsi que firent François Ier., Henri II, Henri IV, Louis XIV, Louis XV; d'attenter impunément à la pudicité des femmes; de faire tuer des milliers d'hommes dans des guerres lointaines, et sans justice comme sans but d'utilité; de les faire périr dans l'intérieur à propos de mécontentemens ou .pour imposer certains dogines religieux et des formulaires de cultè? En un mot, suivant ces docteurs de l'enfer et non du ciel, les rois exercent le pouvoir souverain comme il leur plaît; les mauvais princes viennent du ciel comme les bons princes, Néron et' Pierre le Cruel doivent trouver la même soumission que Titus et Louis XII, ceux-là devant être considérés comme des verges avec lesquelles nous sommes frappés d'en haut, les peuples ayant seulement la faculté de gémir devant le trône de l'Éternel. Ces maximes étaient bien celles du duc de Villeroi, gouverneur de Louis XV, quand il disait au roi-enfant qui regardait la foule répandue dans les Tuileries : «< Voyez-vous, » mon maître, tous ces gens-là sont à vous; tout cela » vous appartient. »

Qui, les droits des rois sont sacrés, car ces droits leur ont été originairement conférés par les peuples; car l'hérédité a rendu ces droits exclusivement inhérens à la famille qui en a été investie. La religion sanctifie, en quelque sorte, les droits des rois, mais elle ne les établit point; s'il en était autrement, elle pourrait les abolir, et les ministres de la religion seraient ainsi les souverains, les maîtres des nations et des rois! La religion ne peut pas plus détruire l'es

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sence de la royauté qu'elle ne peut la créer; prétendre le contraire, ce serait proférer la plus grande, la plus dangereuse des hérésies politiques. La religion, par l'organe du souverain pontife, Pie VII, avait beau déclarer Napoléon l'élu de Dieu, l'oint du Seigneur, pouvait-elle, au moyen de cette consécration, inyalider, rendre nuls, illégitimes, les légitimes droits des princes de la maison de Bourbon au trône de France? Non, très-certainement, dira-t-on ; il est donc incontestable que les ministres de la religion ne sauraient établir, conférer le droit royal. On aurait beau fonder la légitimité sur le dogme du droit divin, on aurait beau l'appuyer sur des phrases mystiques, bonnes pour des hommes plongés encore dans la barbarie : penset-on, aujourd'hui, que les peuples soient assez simples pour se croire la propriété d'une famille, parce que le souverain pontife de Rome le déclare ainsi? David, qui détrôna Saül, était-il légitime? avait-il d'autres titres que l'aveu de la nation? Auparavant, le prophète Samuel n'avait-il pas prédit aux Israélites tous les maux qu'ils subiraient en soumettant le soin de leurs destinées à des rois ? Presque de nos jours, n'a-t-on pas vu les efforts tentés par la dernière branche de la famille des Stuarts, repoussés par les Anglais et par les Écossais? Le siècle précédent ne vit-il pas accueillir la maison d'Hanovre par l'immense majorité des deux nations? Légitime par le droit divin est le mot d'argot d'un parti, comme, en 1793 et 1794, l'avait été cette exclamation: «< La république ou la mort! »

On doit voir la légitimité, là où les faits qui déplacent le pouvoir sont accomplis et consommés. Ainsi, rien de plus légitime dans le monde que la dynastie des Bourbons sur le trône de France; huit cents ans d'une reconnaissance solennelle de la nation rendent

sacrée la possession du trône dans cette maison royale. Ainsi, la république des États-Unis de l'Amérique septentrionale devint légitime quand, les Anglais ayant été repoussés du territoire et mis hors d'état de s'y soutenir, elle fut reconnue des grandes puissances de l'Európe. La Grande-Bretagne fut sans doute sagement inspirée en abandonnant ses prétentions; mais les eût-elle gardées avec autant d'obstination qu'en ont mis les Stuarts à conserver les leurs, les Américains n'en eussent pas moins été émancipés de droit et de fait. En second lieu, la longue transmission du pouvoir qui vient de la légitimité n'a pas interdit aux peuples qui gémissaient sous l'oppression, dont les droits imprescriptibles étaient évidemment violés, de chercher à renverser cette légitimité, quelque ancienne qu'elle fût; plus long-temps même le joug avait pesé, et mieux l'insurrection s'est légitimée, s'est justifiée. Ainsi raisonnèrent et agirent les Suisses au quatorzième siècle, les Hollandais au quinzième, et les Portugais au seizième. En vain les successeurs des comtes de Habsbourg se refusèrent-ils long-temps à reconnaître l'indépendance hélvétique; en vain Philippe II conserva-t-il jusqu'au tombeau ses entreprises sur les provinces belges, dont les princes de Nassau avaient conquis l'émancipation; en vain son imbécile successeur ne voulut-il pas reconnaître la famille de Bragance, ces libérateurs des peuples triomphèrent plus encore par la force des choses que par l'appui de la politique des cours. En vain l'inepte cour de Madrid, après s'être refusée à toute espèce de transaction à l'égard de ses colonies Transatlantiques, s'obstinet-elle à parler de sa suprématie; sa chimère est anéantie jamais le sceptre de sa majesté catholique ne s'étendra, ne reparaîtra même dans ces vastes colo

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nies, heureusement transformées en républiques, grâce à un nouveau Washington, au grand et si grand homme jusqu'ici, Bolivar! Sa majesté catholique peut bien, à l'instar des rois sardes, qui se parent encore aujourd'hui des armoiries et des titres des rois de Chypre, s'intituler roi des Indes ces qualifications ne sont déjà plus, en 1824, pour l'un comme pour l'autre des deux monarques, que des signes d'une dénomination éteinte, signes aussi vains que ces droits de quelques misérables Grecs qui se disent, en qualité de descendans des Comnènes, héritiers de l'empire de Constantin.

Oui, la personne des rois est inviolable autant qu'elle est auguste; ainsi le veut, le prescrit, l'ordonne impérieusement lé bien des sociétés. Les rois sont au-dessus des autres hommes, et, pour ainsi dire, d'une autre nature; mais les lois sont au-dessus des rois ces maximes sont celles de Fénélon, de Massillon, hommes aussi chrétiennement religieux que sujets royalement fidèles.

Et qu'on ne nous accuse point, lorsque nous parlons ainsi, de prêcher la souveraineté du peuple, dont on a fait tant de bruit et qu'on a professée, pendant le cours de la révolution française, au moyen des échafauds! Nous l'avons en horreur, parce que ce principe tend à la subversion de tous les devoirs, à la ruine du corps social. Nous professons sincèrement et vivement la légitimité royale, parce qu'elle est le palladium de la liberté politique, le gage sacré du repos et du bonheur public, lorsque les rois respectent et font exécuter les lois, lorsqu'ils attachent leur gloire à remplir leurs devoirs envers leurs sujets, c'est-àdire lorsque les flatteurs et les courtisans ne dénaturent point les nobles inclinations des princes, n'empoisonnent pas leur cœur et n'égarent pas leur esprit.

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