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qui fit périr Calas, leur équité éclairée, n'étant pas entourée des mêmes piéges, n'en sera que plus déterminée à secourir l'innocence des Sirven.

« Vous avez sous vos yeux toutes les pièces du procès; oserais-je vous supplier, monsieur, de le revoir ? Je suis persuadé que vous ne trouverez pas la plus légère preuve contre le père et la mère; en ce cas, monsieur, j'ose vous conjurer d'être leur protecteur.

<< Me serait-il permis de vous demander encore une autre grâce? C'est de faire lire ces mêmes pièces à quelques-uns des magistrats, vos confrères. Si je pouvais être sûr que ni vous ni eux n'avez trouvé d'autre motif de la condamnation des Sirven que leur fuite, si je pouvais dissiper leurs craintes, uniquement fondées sur le préjugé du peuple, j'enverrais à vos pieds cette famille infortunée, digne de toute votre compassion; car, monsieur, si la populace des catholiques superstitieux croit les protestants capables d'être parricides par piété, les protestants croient qu'on veut les rouer tous par dévotion, et je ne pourrai ramener les Sirven que par la certitude entière que leurs juges connaissent leur procès et leur innocence. J'aurais le bonheur de prévenir l'éclat d'un nouveau procès au conseil du roi, et de vous donner en même temps une preuve de ma confiance en vos lumières et en vos bontés. Pardonnez cette démarche que ma compassion pour les malheureux, ma vénération pour le parlement et pour votre personne me font faire du fond de mes déserts.

« J'ai l'honneur d'être avec respect, etc. »

Les choses ainsi disposées par lui avec une habileté infinie pour le salut des Sirven, ceux-ci d'ailleurs tirés de la misère, grâce à ces protections princières, et vivant en lieu de sûreté, un nouveau procès éclate, celui du général Lally, accusé d'avoir laissé prendre Pondichéry aux Anglais, par trahison; on le condamne à mort; on le traîne au supplice, un bâillon dans la bouche... Voltaire avait connu Lally autrefois; il avait été témoin de sa haine contre les Anglais, et il ne pouvait croire qu'il leur eût, à prix d'or, livré Pondichéry. Lally était un homme violent, insociable, mais loyal et incapable de trahison. Voltaire entreprend donc de réhabiliter sa mémoire; d'ailleurs, Lally avait un fils; il voulut enlever à ce fils cette tache d'être le fils d'un traître. Il mêle à tous ses autres travaux, déjà si nombreux, celui d'étudier dans ses moindres détails l'administration du général pendant tout le temps qu'il fut gouverneur de Pondichéry, et durant la malheureuse guerre qu'il eut à soutenir contre les Anglais; il examine toutes les pièces du procès, et reconnaît bientôt que Lally, comme Calas, est innocent. Le voici donc à l'œuvre pour la réhabilitation du général, et il en sera occupé jusqu'au dernier moment de sa vie. Il n'apprendra cette réhabilitation que la veille de sa mort, au milieu même de l'agonie dont il sera réveillé par cette nouvelle qui lui fit prononcer sa dernière parole: « Je meurs content! »

Dans le temps même où le bourreau venait de trancher la tête à l'ancien gouverneur de Pondichéry, voici ce que l'on apprenait, d'abord à Ferney

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(centre d'observation) et de là par toute l'Europe: Cinq jeunes gens d'Abbeville, coupables d'avoir, par un temps de pluie, gardé le chapeau sur la tête à cinquante pas d'une procession de capucins qui traversait la campagne, coupables d'avoir chanté de mauvaises chansons et lu de mauvais livres, accusés, mais faussement, d'avoir renversé un crucifix de bois sur le pont d'Abbeville, sont condamnés par un juge imbécile et barbare à la torture, au supplice de la langue arrachée et à être jetés dans les flammes. Le plus âgé d'entre eux, le chevalier de La Barre, avait dix-neuf ans; le plus jeune, quatorze. Ils appartenaient aux premières familles du pays. La Barre était le fils d'un lieutenant général des armées et allié à la famille d'Ormesson. Une basse jalousie d'amour et le fana'tisme idiot d'un évêque d'Amiens, voilà ce qui avait causé leur perte. Deux d'entre eux seulement furent arrêtés (le plus âgé et le plus jeune), les autres se sauvèrent et furent jugés par contumace. Le chevalier de La Barre, condamné au dernier supplice, se pourvut au parlement de Paris contre la sentence de la sénéchaussée d'Abbeville, mais le parlement de Paris, frappé de cet aveuglement cruel qui annonce la fin des institutions, confirma la sentence à la majorité de deux voix. C'était se précipiter volontairement dans la même infamie que le parlement de Toulouse. Le roi, Louis le Bien-Aimé, imploré à genoux par une femme, par une religieuse, abbesse respectée d'un couvent d'Abbeville et parente du jeune La Barre, resta impitoyable et se voua, comme son parlement et tous les

juges du royaume, à la malédiction universelle. Le vertige s'emparait des puissants; éperdus de sentir toute autorité morale leur échapper, ils croyaient, en . face de la philosophie reine, ressaisir le pouvoir par la terreur; ils ne saisissaient que l'opprobre...

Les détails de cette procédure digne de cannibales, étudiés par Voltaire, le font tressaillir. Il est frappé d'une sorte de rage contre les juges, mais cette rage est tempérée par les larmes que lui fait répandre la mort de ce jeune homme. Tout ce qu'il y a de tendresse dans son cœur se soulève, et c'est une fois encore la voix d'un père qui se fait entendre, non plus à la vérité pour redemander son enfant, mais pour crier vengeance contre les bourreaux. Le monde entier, grâce à lui, assiste à cette tragédie sanglante. Les dernières paroles du jeune La Barre sont recueillies, répandues, redites par toutes les bouches.

On l'avait ramené de Paris à Abbeville pour le jour du supplice, dans une chaise de poste escortée de cavaliers de la maréchaussée, déguisés en courriers ( car la justice, honteuse d'elle-même, se cachait ). La voiture, pour détourner l'attention, entra dans la ville par la porte opposée à celle de la route de Paris. Le prisonnier n'en fut pas moins reconnu, il salua sans affectation ceux qu'il connaissait. La population d'Abbeville et des environs, assemblée en foule sur son passage, était consternée et tremblante. On respirait à peine. De moment en moment on croyait que sa grâce allait arriver. On interrogeait avec anxiété tous les courriers, espérant que chacun d'eux était le por

teur de la bonne nouvelle. Le peuple croyait encore à la justice du roi, il fallut cela pour le détromper.

Au milieu de la douleur générale, dit un contemporain, la jeune victime montrait le plus stoïque courage, Son confesseur, le père Bosquier, dominicain, versait des larmes. La Barre le pressait de dîner avec lui: << Prenons un peu de nourriture, lui disait-il, vous avez besoin de forces autant que moi pour soutenir le spectacle que je vais donner. » Le triste repas achevé, le moment fatal approchait. « Maintenant prenons du café, lui dit-il gaiement, il ne m'empêchera pas de dormir. »

En allant au supplice, il disait encore au père Bosquier: « Ce qui me fait le plus de peine en ce jour, c'est d'apercevoir aux croisées des gens que je croyais mes amis. >>

Parvenu au portail Saint-Vulfranc, où il devait faire amende honorable, il soutint avec fermeté qu'il n'avait pas offensé Dieu. Il refusa de réciter la formule qui lui fut présentée; on la récita pour lui et sur son refus de présenter sa langue, les bourreaux (en cela plus humains que le juges) ne firent que le simulacre de la brûler. En montant à l'échafaud, il laissa tomber une pantoufle sur l'escalier, il descendit pour la reprendre et remonta avec la même tranquillité. Cinq bourreaux avaient été réunis pour cette exécution:

Tes armes sont-elles bonnes ? dit-il à celui de Paris; est-ce toi qui as tranché la tête au comte de Lally?

Oui.

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