Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

doivent vous chérir, et les intolérants mêmes doivent vous estimer... »

Voici cette révision obtenue! il s'agit maintenant de faire casser le jugement de Toulouse.

L'attention était plus que jamais fixée sur ce procès, lorsque parut un livre qui, en quelques jours, se trouva miraculeusement dans toutes les mains. C'était, au sujet de Calas, l'apparition de l'esprit nouveau des nations, mais esprit venu du fond de l'histoire. Pas une créature opprimée qui n'y fît entendre sa voix pour enseigner aux hommes la tolérance et la pitié. La puissance de ce livre venait de sa douceur. Toute plume tomba des mains, tout fit silence avec respect pour écouter cette voix nouvelle et sacrée. L'heure de la justice était donc venue?

La bonne nouvelle circulait de bouche en bouche parmi les malheureux, surtout parmi les protestants, si persécutés alors. Tous lisaient avec respect le saint livre.

Le titre était très-simple, il portait seulement : Traité sur la Tolérance; l'auteur n'avait pas mis son nom, mais le nom de Voltaire retentissait aux quatre vents de la terre: princes, monarques, peuple le lisaient au milieu d'une acclamation immense.

Et ce livre, ce long cri de cœur, cette voix de la conscience éclatait pour sauver les Calas! pour sauver non seulement les Calas, mais pour arracher tous les innocents à venir aux barbaries de la superstition et de l'ignorance. On crut entendre la mère de tous les opprimés parlant en leur nom à la famille humaine, et implorant pour eux justice et pilié.

[ocr errors]

Voltaire apparut là ce qu'il était véritablement : le souverain pontife de la raison et de la justice. Aussi, à ce moment le respect est immense pour sa personne et son nom. Plus d'ennemis ! Toute gloire s'incline devant cette gloire. Rousseau enlevé un instant à ses rêveries, offre de se réconcilier avec lui.

Les moins dignes des hommes en sont pour quelques instants renouvelés de cœur. Palissot, dans ce miracle, en vient à respecter les philosophes. Fréron lui-même, rougissant de son rôle, fait proposer au défenseur des Calas (par l'intermédiaire du libraire Panckoucke) une trêve de quelques mois.

Quelle vengeance pour Voltaire ! Emporter ses ennemis dans le tourbillon de son bon cœur, et leur donner, par cette contagion de magnanimité, le. meilleur moment de leur vie! Amis, ennemis, tout était heureux de son propre bonheur; et l'humanité tout entière se sentit, grâce à lui, bénie. Diderot redevient naïf et enfant devant un tel spectacle :

<«< Quand il y aurait un Christ, disait-il, je vous assure que Voltaire serait sauvé. »

Par ces paroles, sans y songér, Diderot replaçait le défenseur des Calas dans la vraie tradition chrétienne. Le dévoûment du patriarche pour cette malheureuse famille rendait plus vraisemblable à ses yeux la légende de l'Homme-Dieu.

Il faut ajouter que Voltaire lui-même se servait de l'autorité du Christ contre les hyprocrites et les persécuteurs. Il s'écrie tout à coup dans un moment pa

thétique « Si vous voulez ressembler à Jésus-Christ, soyez martyrs et non pas bourreaux. >>

Quelle révolution dans ces paroles! et que nous voilà loin du Christ tyrannique du moyen âge !...

Le livre de Voltaire fit le tour du monde; Franklin, quelques années plus tard, écrit d'Amérique :

« Le Traité de Voltaire sur la Tolérance a produit sur le bigotisme un effet si subit et si grand, qu'il l'a presque détruit. »

L'histoire des Calas est exposée tout entière dans ce livre; ils devenaient ainsi sacrés. Conserver un seule doute sur leur innocence, c'eût été se mettre en dehors de toutes les lois divines et humaines L'issue du jugement devenait donc certaine.

L

Voltaire allait donner au dix-huitième siècle sa plus belle journée,

Grâce à lui, la conscience avait triomphé chez tous. Son âme, pleine du feu sacré, eut quelques jours, cette joie suprême de ne sentir aucune résistance. Il goûta ce bonheur, que lui seul a connu, d'avoir mis un instant l'unanimité sur la terre; l'unanimité de la raison et de la justice!

<«<Le jour arriva, dit-il lui-même, où l'innocence triompha pleinement... Tous les juges, d'une voix

unanime, déclarèrent la famille innocente, tortionnairement et abusivement jugée par le parlement de Toulouse. Ils réhabilitèrent la mémoire du père. Ils permirent à la famille de se pourvoir devant qui il appartiendrait pour prendre ses juges à partie, et pour obtenir les dépens, dommages et intérêts que les magistrats toulousains auraient dû offrir d'euxmêmes.

« Ce fut dans Paris une joie universelle on s'attroupait dans les places publiques, dans les promenades; on accourait pour voir cette famille si malheureuse et si bien justifiée; on battait des mains en voyant passer les juges, on les comblait de bénédic tions. Ce qui rendait encore ce spectacle plus touchant, c'est que ce jour, 9 mars, était le jour même où Calas avait péri par le plus cruel supplice. »

Les magistrats eux-mêmes, on le voit, prenaient part avec l'Europe entière à cet enthousiasme. On ne reverra une telle joie en ce monde qu'au jour où tombera la Bastille.

Nous sommes ici au moment qui doit placer Voltaire au rang des plus grands hommes. Quoi qu'on fasse à l'avenir contre lui, cette journée, bénie du monde entier, lui conservera le respect et la reconnaissance des peuples.

Avoir fait une seul jour la joie du monde, cela ne s'oublie jamais, et c'est à ce signe précisément que se connaissent les âmes souveraines.

LI

Cette joie d'un retour momentané vers la justice malheureusement dura peu; le fanatisme ne tarda pas à relever la tête. L'affaire Calas n'était pas encore terminée, lorsque éclata (toujours dans le Languedoc) un nouveau procès criminel contre un protestant de Castres, accusé d'avoir noyé sa fille, que des religieuses, disait-on, avaient convertie.

Voici les détails :

« Un feudiste de Castres, nommé Sirven, avait trois filles. Comme la religion de cette famille était la prétendue réformée, on enlève entre les bras de sa femme la plus jeune de leurs filles. On la met dans un couvent, on la fouette pour lui mieux apprendre son catéchisme; elle devient folle, elle va se jeter dans un puits, à une lieue de la maison de son père. Aussitôt les zélés ne doutent pas que le père, la mère et les sœurs n'aient noyé cette enfant. Il passait pour constant, chez les catholiques de la province, qu'un des points capitaux de la religion protestante est que les pères et mères sont tenus de pendre, d'égorger ou de noyer tous leurs enfants qu'ils soupçonneront d'avoir quelque penchant pour la religion romaine.

« L'aventure de la fille noyée parvient à Toulouse... On décrète Sirven, sa femme et ses filles. Sirven,

« ZurückWeiter »