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règles et les ordonnances. La famille Calas, la servante catholique, Lavaisse, furent mis aux fers.

On publia un monitoire non moins vicieux que la procédure. On alla plus loin: Marc-Antoine Calas était mort calviniste, et s'il avait attenté sur lui-même, il devait être traîné sur la claie (d'après les lois d'alors sur la mort volontaire); on l'inhuma avec la plus grande pompé dans l'église de Saint-Etienne, malgré le curé qui protestait contre cette profanation.

Il y a dans le Languedoc quatre confréries de pénitents la blanche, la bleue, la grise et la noire. Les confrères portent un long capuce avec un masque de drap percé de deux trous pour laisser la vue libre. Les confrères blancs firent à Marc-Antoine Calas un service solennel comme à un martyr. Jamais aucune église ne célébra la fête d'un martyr véritable avec plus de pompe, mais cette pompe fut terrible. On avait élevé au-dessus d'un magnifique catafalque un squelette qu'on faisait mouvoir et qui représentait Marc-Antoine Calas, tenant d'une main une palme et de l'autre la plume dont il devait signer l'abjuration de l'hérésie, et qui écrivait en effet l'arrêt de mort de son père.

Alors il ne manqua plus au malheureux qui avait attenté sur soi-même que la canonisation; tout le peuple le regardait comme un saint; quelques-uns l'invoquaient, d'autres allaient prier sur sa tombe, d'autres lui demandaient des miracles, d'autres contaient ceux qu'il avait faits.

Quelques magistrats étaient de la confrérie des pé

nitents blancs. Dès ce moment la mort de Jean Calas parut infaillible.

Ce qui surtout prépara son supplice, ce fut l'approche de cette fête singulière, que les Toulousains célèbrent tous les ans en mémoire d'un massacre de quatre mille huguenots... On dressait dans la ville. l'appareil de cette solennité cela même allumait encore l'imagination échauffée du peuple. On disait publiquement que l'échafaud sur lequel on rouerait les Calas serait le plus grand ornement de la fête. On disait que la Providence amenait elle-même ces victimes pour être sacrifiées à la sainte religion chrétienne. Vingt personnes ont entendu ces discours, et de plus violents encore.

Treize juges s'assemblèrent tous les jours pour terminer le procès. On n'avait, on ne pouvait avoir aucune preuve contre la famille, mais la religion trompée tenait lieu de preuve. Six juges persistèrent longtemps à condamner Jean Calas, son fils et Lavaisse à la roue, et la femme de Jean Calas au bûcher. Sept autres, plus modérés, voulaient au moins qu'on examinât. Les débats furent réitérés et longs. Un des sept juges modérés (par un scrupule dont le motif l'honorait) crut devoir se récuser, et Jean Calas fut condamné à la majorité d'une seule voix.

Il paraissait impossible que Jean Calas vieillard de soixante-huit ans, qui avait depuis longtemps les jambes enflées et faibles, eût seul étranglé et pendu un fils âgé de vingt-huit ans, qui était d'une force audessus de l'ordinaire; il fallait absolument qu'il eût

été assisté dans cette exécution par sa femme, par son fils Pierre Calas, par Lavaisse et par la servante. Ils ne s'étaient pas quittés un seul moment le soir de cette fatale aventure; mais cette supposition était encore aussi absurbe que l'autre, car comment une servante, zélée catholique, aurait-elle pu souffrir que des huguenots assassinassent un jeune homme élevé par elle pour le punir d'aimer la religion de cette servante? Comment Lavaisse serait-il venu exprès de Bordeaux pour étrangler son ami, dont il ignorait la conversion prétendue? Comment une mère tendre aurait-elle mis les mains sur son fils? Comment tous ensemble auraient-ils pu étrangler un jeune homme aussi robuste qu'eux tous sans un combat long et violent, sans des cris affreux qui auraient appelé tout le voisinage, sans des habits déchirés?

Il était évident que si l'infanticide avait pu être commis, tous les accusés étaient également coupables, parce qu'ils ne s'étaient quittés d'un moment; il était évident que le père seul ne pouvait l'être, et cependant l'arrêt condamna ce père seul à expirer sur la roue.

Le motif de l'arrêt était aussi inconcevable que le reste. Les juges qui étaient décidés pour le supplice de Jean Calas persuadèrent aux autres que ce vieillard faible ne pourrait résister aux tourments, et qu'il avouerait, sous les coups des bourreaux, son crime et celui de ses complices. Ils furent confondus quand ce vieillard, en mourant sur la roue, prit Dieu à témoin de son innocence.

D'absurdités en absurdités, après le supplice du père, on condamna le fils, Pierre Calas, au bannissement. Mais on commença par le menacer dans son cachot de le traiter comme son père, s'il n'abjurait pas sa religion. C'est ce que ce jeune homme atteste par serment.

Pierre Calas, en sortant de la ville, rencontra un abbé convertisseur qui le fit rentrer dans Toulouse. On l'enferma dans un couvent de Dominicains, et là, on le contraignit à remplir toutes les fonctions de la catholicité.

On enleva les filles à la mère; elles furent enfermées dans un couvent. Cette femme, presque arrosée du sang de son mari, ayant tenu son fils aîné mort entre ses bras, voyant l'autre banni, privée de ses filles, dépouillée de tout son bien, était seule dans le monde, sans pain, sans espérance.

L'innocence une fois constatée par les preuves les plus irréfragables, plus de repos pour Voltaire, plus de philosophie, plus de travaux littéraires : il faut ( qu'il réhabilite la mémoire du supplicié, qu'il casse ce jugement, qu'il rende l'honneur à sa veuve, à ses autres fils, à ses filles, et qu'il les réintègre dans leurs biens !.... N'est-ce pas assez, juste ciel! d'avoir perdu leur père? Les Calas sont sans asile, sans secours et sans pain; il vient à leur aide.

En leur nom et à ses frais, il en appelle au conseil d'Etat pour la révision du procès; il écrit et surtout fait agir pour eux auprès des ministres, auprès du roi,

auprès de madame de Pompadour. Il écrit en leur nom, se substitue d'âme, de cœur, d'activité, à cette famille malheureuse; il est à la fois comme la femme et les fils et les filles de Calas; mais il est surtout le vengeur de l'innocence. C'est dans ce sentiment qu'il puise sa force, son intrépidité. Pas d'autre occupation pendant trois ans que de sauver les Calas. Dans cet intervalle, il ne lui échappe pas un sourire qu'il ne se le reproche comme un crime. Du reste, pas de polémique, pas un mot dur, pas une raillerie contre les juges, pas même d'éloquence: son style ne fut jamais si simple. Son cœur s'est brisé, les larmes ont coulé de ses yeux en écrivant telle page; ailleurs, peut-être, ses mains ont frémi de colère; mais il se contient, parle bas, cache son génie, craint d'offenser quelqu'un : il ne veut que sauver cette famille éperdue. Avec la patience d'une mère qui défend ses enfants, il explique comment les huit juges qui ont voté la mort de Calas ont qu se tromper; même dans sa correspondance avec ses amis, il ne les accuse pas. Il écrit à d'Argental, le 21 juin : « Je suis persuadé de plus en plus de l'innocence des Calas et de la cruelle bonne foi du parlement de Toulouse, qui a rendu le jugement le plus inique sur les indices les plus trompeurs. » Il fait taire sa propre pensée; il pourrait accabler le parlement de Toulouse, il ne le fait pas. Ce n'est pas un succès d'éloquence qu'il lui faut c'est la vie, c'est l'honneur des Calas.

Le speclacle de madame Calas, mourante de l'excès de son malheur, ouvre le cœur de Voltaire au plus grand

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