1805: il tenterait, et, cette fois, avec toutes les chances possibles de succès, d'aborder et d'envahir le territoire de son ennemi. La Grande Bretagne avait donc un intérêt immense à empêcher les quatre Puissances souveraines de la Baltique de s'unir et de lui fermer le Sund. Dans une telle situation que lui restait-il à faire? Une seule chose violente, cruelle, mais indispensable à sa sécurité, et c'était de gagner la France et la Russie de vitesse, de fondre à l'improviste sur Copenhague et de s'emparer de toute la marine danoise. Par cet acte audacieux, elle mettait le Danemark dans l'impuissance de lui nuire; elle brisait l'arme redoutable dont la pointe était dirigée contre le cœur de sa puissance: elle enchaînait la Suède à sa politique en lui apprenant que ce qu'elle avait fait à Copenhague, elle saurait bien le faire à Stockolm, si cette Cour osait l'abandonner; elle jetait l'épouvante à Pétersbourg; elle rendait ainsi impossible la Confédération des Puissances du Nord; enfin elle conservait à ses vaisseaux de guerre le libre passage du Sund, et à son commerce l'exploitation des marchés du Nord. C'étaient là de grands résultats bien faits assurément pour tenter une Puissance aussi hardie dans ses desseins qu'elle était peu scrupuleuse dans le choix des moyens de les exécuter'. » A n'en pas douter, le Gouvernement anglais dut se faire toutes ces réflexions, et l'explication de sa conduite qu'on vient de lire est magistralement exposée; on pourrait même dire qu'on y trouve cette absence de passion qui caractérise l'historien. poussée à son extrême limite. Pour nous, qui nous 1. Armand Lefebvre. - Op. cit. T. III, p. 133, 134, 135, 136. croyons tenu à moins de réserve quand il s'agit de flétrir l'acte peut-être le plus odieux qui ait été commis contre une nation neutre, tranquille, surtout quand cet acte n'était que le recommencement d'une violation odieuse du droit des gens, et par conséquent froidement combiné comme flegmatiquement exécuté, nous faisons ce que d'autres ont fait avant nous, nous flétrissons, nous mettons au pilori de l'Histoire un gouvernement qui ne sut dans toute cette période que s'attaquer directement aux peuples faibles; qui viola toutes les lois divines et humaines, et souilla la belle victoire de Trafalgar par le vol de quelques frégates danoises. Et cependant les Danois avaient scrupuleusement observé la neutralité; ils s'étaient conduits avec mesure; et, l'on ne saurait trop le dire, au moment où les Anglais paraissaient devant Copenhague, le Prince Royal était avec l'armée dans le Holstein, prêt à s'opposer à l'entrée possible des troupes françaises. Comme on l'a vu, le Czar était rentré le 20 Juillet à Saint-Pétersbourg. Dès le mois d'Avril, l'Angleterre avait pris ses précautions en envoyant de petits détachements de navires dans les ports de la Baltique; à Yarmouth elle avait rassemblé 20 000 hommes et une escadre de 12 vaisseaux; enfin elle avait envoyé dans la Poméranie Suédoise un corps anglohanovrien, dont elle pouvait, grâce à l'article séparé que nous avons signalé, disposer en tout temps d'après la nécessité. Le 3 Août, les forces rassemblées à Yarmouth arrivaient à l'entrée du Sund; le château de Cronborg rendait le salut à l'escadre anglaise qui fut bientôt rejointe par tous les navires envoyés furtivement dans la Baltique : l'Amiral Gambier eut alors sous ses ordres 36 vaisseaux de guerre, 500 bâtiments de transport, tandis que Lord Cathcart prenait le commandement des 30 000 hommes de débarquement. Aussitôt l'Amiral Gambier envoyait dans le Grand Belt l'Amiral Keath avec une division pour empêcher le Prince Royal de ramener l'armée en Séeland, et, le 6 Août, un plénipotentiaire anglais, M. Jakson, arrivait à Kiel pour proposer au Danemark de contracter une alliance offensive et défensive; de placer sa flotte sous les ordres des Amiraux anglais; et, en cas de refus, pour le prévenir que l'armée anglaise descendrait en Séeland, attaquerait Copenhague, et s'emparerait de la flotte danoise. Le Prince Royal accueillit ces propositions avec indignation : « Eh! ne savons-nous pas, dit-il à l'envoyé, ce qu'est votre alliance? Vos propres alliés auxquels, pendant un an, vous avez promis vainement vos secours et que vous avez laissé sacrifier, ne nous l'ont-ils pas appris? » Et comme l'envoyé trouvait ces paroles dures : « Monsieur, quand on a eu le courage de se charger d'une pareille mission il faut avoir le courage de tout entendre. Ce que je vous dis, je le dirais à votre maître s'il était là. » Et sur l'offre d'indemniser le Danemark de la perte de sa flotte par quelques colonies: «Eh! Monsieur, répliqua le Prince, comment me compenserez-vous l'honneur1. » Aussitôt il vole à Copenhague; traversant la croisière anglaise après mille incidents, il arrive, ranime les courages, donne des ordres pour la résistance, puis quitte la ville avec la famille royale et le Corps 1. Thiers. Histoire du Consulat et de l'Empire. diplomatique pour bien marquer que Copenhague n'était plus la capitale et qu'un traité ne suivrait pas la chute de cette place. Le 16 Août, l'armée anglaise débarque à Webeck pendant que la flotte bloque la ville du côté de la mer. Après de violentes escarmouches entre les troupes anglaises et les paysans soulevés, le 2 Septembre, commença un furieux bombardement qui dura trois jours. En présence de toutes les ruines accumulées, des craintes d'une partie de la population, le Général de Peymann, qui avait reçu l'ordre de brûler la flotte, demanda à capituler. Les Anglais exigèrent la flotte; le Général de Peymann y consentit, malgré ses ordres, pour ne pas provoquer la destruction de la ville; les Anglais faisaient pour la première fois l'essai des fusées à la Congrève. Le 7 Septembre on signait la capitulation suivante : Articles de capitulation pour la ville et la citadelle de Copenhague. Arrêtés entre le Général Major de Waltersdorff, Chevalier de l'Ordre de Dannebrog, Chambellan de S. M. et Colonel du régiment de milice du Nord de la Séeland; le Contre-Amiral Lutken et J.-H. Kirchhoff, Adjudant de S. M.; lesquels sont suffisamment autorisés par S. Exc. le Général Major de Peymann, Chevalier de l'Ordre de Dannebrog et commandant les forces navales de S. M. dans l'île de Séeland, d'une part; et le Général-Major Sir Arthur Wellesley, Chevalier de l'Ordre du Bain; Sir Home Popham, Chevalier de Malthe et Capitaine de la flotte; et le Lieutenant-Colonel Murrai, vice-quartier-maître général de la marine britannique, suffisamment autorisés par James Gambier, Ecuyer, Amiral du Pavillon bleu, et Commandant en chef les vaisseaux et bâtiments de S. M. Britannique dans la mer Baltique, et le Lieutenant-Général, Lord Cathcart, Chevalier de l'Ordre du Chardon, commandant les forces militaires de S. M. B. dans la Séeland et le Nord du Continent européen, d'autre part. Art. I. Après la signature et la ratification de la présente capitulation, les troupes de S. M. Britannique occuperont la citadelle. Art. II. Une Garde des troupes de S. M. Britannique occupera également le Holm. A. III. Les vaisseaux et bâtiments de guerre de tout rang ainsi que les objets de marine appartenant à S. M. Danoise seront remis en dépôt aux personnes qui auront été nommées à cette fin par le Commandant en chef des forces britanniques, et elles seront mises san délai en possession du Holm et de tous les édifices qui en dépendent. Art. IV. Les bâtiments de transport au service de S. M. Britannique pourront entrer dans le port toutes les fois qu'il sera nécessaire pour reprendre à bord les effets de marine et les troupes qui auront été débarquées sur l'île. A. V. Aussitôt que les vaisseaux auront été tirés du Holm, ou dans le délai de 6 semaines, à dater du jour de la capitulation, ou plus tôt si faire se peut, les troupes de S. M, Britannique remettront aux troupes de S. M. Danoise la citadelle dans le même état où elles l'auront trouvée en occupant. Les troupes de S. M. Britannique évacueront aussi l'île de Séeland dans le même terme, ou plus tôt, si cela est possible. Art. VI. A dater du jour de la capitulation, les hostilités cesseront entièrement en Séeland. Art. VII. Personne, quel qu'il soit, ne sera inquiété, et toutes les propriétés soit publiques, soit particulières, seront respectées, à l'exception des vaisseaux et bâtiments de guerre, avec les effets et inventaires de marine appartenant à S. M. Danoise ci-dessus mentionnés. Tous les employés civils et militaires au service de S. M. Danoise continueront leurs fonctions dans toute la Séeland, et il sera pris toutes les mesures pour produire l'union et la bonne intelligence entre les denx nations. Art. VIII. Tous les prisonniers faits de part et d'autre seront rendus sans conditions; les officiers prisonniers sur leur parole d'honneur en seront déchargés. Art. IX. Les propriétés anglaises qui auraient été séquestrées en conséquence des hostilités seront rendues à leurs propriétaires. Cette capitulation sera ratifiée par les Commandants respectifs, et les ratifications seront échangées aujourd'hui avant midi. Fait à Copenhague, le 7 Septembre 1807. Signe: ERNEST-FRÉDÉR. DE WALTERSDORFF. O. LUTKEN. J.-H. KIRCHHOFF. Signé: ARTHUR WELLESLEY. HOME POPHAM. GEORGE MURRAI. Conclu et ratifié par nous, au Quartier-Général à Hellerup, le 7 Septembre 1807. J. GAMBIER. CATHCART. |