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jésuites Nonotte et Patouillet, ou quelques évêques, tels qu'un Boyer ou un le Franc de Pompignan, qui cherchaient à discréditer la philosophie; des académies mêmes osaient mettre en question l'utilité des sciences et des lettres.

Voltaire sent la nécessité de venir mettre ordre à ces dissidences. Il songe donc à opérer tout doucement son retour, car l'embarras est de savoir si on le laissera s'établir en France, après un séjour de trois ans à Berlin, et après toutes les interprétations calomnieuses que les Fréron et autres ont données à ce séjour auprès d'un monarque étranger. Louis XV lui tient rancune; madame de Pompadour est indifférente; la reine est dévote et protége Fréron; M. d'Argenson, son ami, qui l'eût certainement protégé et à qui l'on vient de dédier l'Encyclopédie, est en ce moment tombé du ministère et tout à fait en disgrâce.

Voltaire commença par profiter très-habilement de sa maladie même : il lui était survenu un peu d'hydropisie, pour laquelle il fut condamné à manger des cloportes; il s'en alla à petites journées aux eaux de Plombières. Pouvait-on priver un mourant de venir prendre les eaux? Il écrit au duc de Richelieu: « Il n'y a que mes ennemis qui disent que je me porte bien. » Il avait d'ailleurs intéressé le public à ce voyage, en annonçant, dans le post-scriptum de son Akakia, que Maupertuis devait l'aller rejoindre à Plombières, pour le tuer.

En partie rétabli (car il avait été véritablement malade), il songe à mettre la dernière main à son

Histoire de l'esprit humain (Essai sur les mœurs), dont plusieurs fragments avaient déjà paru sans son aveu. Il n'avait pas cessé d'y travailler depuis quinze ans, mais quelques points restaient à éclaircir. On n'avait alors nulle bibliothèque plus riche en documents historiques que celle des bénédictins de l'abbaye de Sénones, où vivait le riche et savant dom Calmet; Voltaire alla s'enfermer avec les pères, dans ce séjour de l'étude. Par amour pour la science, il se fit moine quelque temps. Pouvait-on encore chasser du royaume un pauvre vieillard malade, qui n'avait plus d'autre consolation que celle d'éclaicir quelques points historiques? L'aimable dom Calmet, le plus ingénu et le plus crédule de tous les érudits, lui fit un charmant accueil, mit à sa disposition, avec empressement, ses trésors historiques. Voltaire, comme tout le monde. (et peut-être un peu plus que tout le monde), s'amusa parfois de la crédulité du bon père, qui avait fait un Traité sur la sorcellerie, sur les vampires, et qui, dans ses Commentaires sur la Bible, donnait sérieusement les plans de l'arche de Noé et de la tour de Babel! Cependant, à la mort du crédule docteur, c'est à lui que les moines de Sénones demandèrent des vers pour son portrait; et l'auteur de l'Essai sur les mœurs fit à cette occasion un joli quatrain que l'on admire encore dans une lettre adressée à dom Faugères, neveu et successeur de dom Calmet.

XXXV

Nous avons vu l'auteur de l'Essai sur les mœurs voyager en Hollande, en Angleterre, en Prusse; mais son esprit avait accompli de bien autres voyages. Ce Magellan de la philosophie avait fait le tour du monde autant de fois qu'il y avait eu de siècles depuis Charlemagne. Il avait même reculé ses investigations historiques jusque chez les plus anciens peuples de l'Inde.

Il voulut se donner à lui-même un tableau général des mœurs et de l'esprit des nations. Les premiers éléments de ce tableau avaient été donnés par Bossuet; mais Bossuet s'était arrêté à Charlemagne. C'est en commençant à cette époque, que Voltaire se fait un résumé de l'histoire. Mais il lui faut souvent remonter à des temps antérieurs. Bossuet, malgré son intelligence de l'enchaînement qui relie tous les siècles et tous les événements, avait eu le tort de trop rétrécir la scène historique. Dans les temps antiques, il avait oublié les plus anciens peuples de l'Orient, tels que les Indiens, les Chinois; dans les temps modernes, il avait traité trop légèrement les Arabes, qui fondèrent, dit Voltaire, un si puissant empire et une religion si florissante, et dont il ne parle que comme d'un déluge de barbares.

I œuvre

Voltaire voulut faire de l'Essai sur les mœurs une œuvre qui s'élevât au-dessus de toute polémique. S'il s'était montré homme de lutte dans la grande mêlée de son siècle, il se fit, dans cette histoire, le pontife et le juge d'un monde. Cette intention d'équité apparaît dès les premières pages : « Nous cherchons, dit-il, la vérité, et non la dispute. »>

Le titre des premiers chapitres témoigne de l'immensité du sujet qu'il embrasse :

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1° Changements dans le Globe. Précurseur de nos grands géologues, il annonce des sciences encore inconnues. Ce premier chapitre contient en germe le discours de Cuvier, sur les révolutions du globe.

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2o Des différentes races d'hommes. On dirait qu'il lui fut réservé de prendre l'initiative de toutes les sciences modernes ; il ne résume pas seulement les sciences du passé, il semble dicter le programme des recherches à venir.

3° De l'antiquité des nations. Un siècle d'avance il pressent les travaux de nos orientalistes modernes. 4° De la connaissance de l'âme. Il examine d'abord quelle idée les premiers peuples ont pu avoir de l'âme. << Voyez nos paysans, dit-il, ils n'en acquièrent qu'une «< idée confuse sur laquelle même ils ne réfléchissent « jamais. La nature a eu trop de pitié d'eux pour en faire « des métaphysiciens. »

Qu'on lise cet éloquent chapitre VI, où faisant un parallèle de nos paysans et des Hurons, des Algonquins, des Illinois, des Cafres et des Hottentots, il s'écrie: « Les peuplades d'Amérique et d'Afrique sont

«< libres, et nos sauvages n'ont pas même l'idée de «< liberté... Ils connaissent l'honneur, dont jamais nos << sauvages d'Europe n'ont entendu parler. Ils ont une (( patrie, ils l'aiment, ils la défendent; ils font des <«< traités; ils se battent avec courage, et parlent sou<< vent avec une énergie héroïque. Y a-t-il une plus << belle réponse dans les grands hommes de Plutarque, « que celle de ce chef de Canadiens, à qui une nation << européenne proposait de lui céder son patrimoine : « Nous sommes nés sur cette terre, nos pères y sont ense« velis; dirons-nous aux ossements de nos pères : Levez« vous et venez avec nous dans une terre étrangère? »

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Au milieu des crimes et des folies, les grands hommes sont pour lui des consolateurs; il se plaît à leur rendre justice, on sent qu'il est avec eux en quelque sorte en famille; il les reconnaît et les salue à travers les siècles, tous ceux qui ont voulu comme lui éclairer le monde. « Il n'est point, dit-il, de véritablement grand homme qui n'ait un bon esprit. >>

Quant aux persécuteurs, il ne se contente pas de les flétrir, il montre l'inutilité de leurs crimes, en leur prouvant que, malgré tant de persécutions, l'hérésie va toujours grandissant, des vaudois aux albigeois, aux hussites, aux protestants.

-S'il parle avec liberté de l'Église romaine, il en parle avec justice s'il montre qu'elle s'est toujours décidée pour l'opinion qui soumettait le plus l'esprit humain et qui anéantissait le plus le raisonnement, il avoue qu'au milieu de la barbarie universelle, il y eut toujours dans ses rites, malgré tous les troubles et tous les scandales,

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