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La session du Corps législatif était annuelle; elle devait

être de quatre mois.

Quant au gouvernement, il était remis à trois consuls nommés pour dix ans, indéfiniment rééligibles.

Mais déjà le consulat se résumait dans le seul nom de Bonaparte. Siéyes avait bientôt soupçonné qu'il ne serait pas de force, avec sa politique de théorie abstraite, à supporter le contact de cette volonté maîtresse, et RogerDucos, qui n'était qu'une ombre, avait disparu du premier jour: Siéyes s'évanouit de même. A leur place furent nommés Cambacérès et Lebrun. L'un, membre de la Convention, s'était initié par le régicide aux pratiques du despotisme révolutionnaire; l'autre, ancien constituant et membre du conseil des Anciens, et qui avait été, dans son jeune âge, secrétaire du chancelier Maupeou, s'était dressé à cette triple école aux usages subalternes de la politique. Ce n'était pas là un contrepoids à la toute-puissance réservée dès lors à Bonaparte.

Aussi bien la France, tristement éprouvée par l'essai de tant de pouvoirs, qui s'étaient exterminés tour à tour 1, courait d'elle-même à une forme de gouvernement qui lui rappellerait le mieux l'autorité politique que la révolution avait remplacée par des luttes d'anarchie. Le Directoire. venait d'emporter la haine et le mépris, et comme dans les formes nouvelles de la constitution chacun cherchait ce qui semblait le mieux se rapporter à l'unité de la monarchie, Bonaparte était celui des consuls en qui se concentraient naturellement ces espérances. L'imagination publique grossissait sa destinée, et tout le reste s'évanouissait devant son génie.

1800. Le siècle venait de s'ouvrir par une attaque ouverte.contre l'anarchie.

1.31 mai 1793, défaite des Girondins; 2.5 avril 1794, chute des Cordeliers; 3. journée de thermidor, chute de Robespierre; 4. journée de germinal, soulèvement de Barrère pour échapper au supplice; 5. journée du 1er prairial (1795); défaite des Jacobins; 6. 13 vendémiaire, victoires des Jacobins; 7. journée du 18 fructidor; nouvelle victoire des Jacobins; 8.30 prairial, triomphe des Jacobins; 9. 18 brumaire, ruine des Jacobins.

Une loi condamna, par mesure d'Etat, à la déportation, cent trente-trois révolutionnaires; et un simple arrêté des consyls fixa le nombre des journaux et autorisa la suppression de ceux qui publieraient des articles contraires au pacte social, à la souveraineté du peuple et à la gloire des armées. Ainsi commença de se révéler un système de discipline dans la Révolution, lequel devait laisser subsister certaines maximes nominales, en faisant prévaloir dans la politique la simple pratique de la force.

La nature semblait avoir créé Bonaparte pour réaliser cette théorie; mais il avait tout à renouveler, tout à refaire, tout à créer en France.

L'administration publique était une organisation de licence et d'arbitraire. L'Etat était une proie; la fortune publique était au pillage; les finances n'existaient pas ; le trésor était vide; après le 18 brumaire on n'avait pas trouvé de quoi payer un courrier. Et Bonaparte passant en revue ce vaste désordre, laissait éclater sa colère : « Quelles gens! s'écriait-il; quel gouvernement! quelle administration!» Tout avait été mis à l'encan, les places, les fournitures, les habillements militaires, les munitions. «Ils vendaient tout! » disait Bonaparte.

Et dans cette dégradation de l'Etat, tout s'était amoindri; il n'y avait plus de patriotisme, plus d'indépendance, plus de lumière; l'abaissement des caractères avait entraîné l'intelligence. Bonaparte eut à chercher et à trier des hommes dans cette décadence universelle; et ne pouvant les refaire comme tout le reste, il fut contraint de les subir plus d'une fois tels que la révolution les lui imposait, soit avec leurs habiletés, soit avec leurs souillures.

Bonaparte avait le sentiment de sa force, et il ne désespéra pas de se faire des instruments de ces hommes de nature diverse, qui n'avaient fait que traverser la révolution, en s'assouplissant à ses fantaisies.

• Mém. de Bourrienne, tom. III.

Voyez une nomenclature curieuse de noms, avec des annotations correspondantes, que consultait souvent Bonaparte.-3o vol. des Mém. de Bourrienne.

Cambacérès, Fouché, Talleyrand furent ses ministres. pêle-mêle avec Berthier, Laplace, Gaudin, les uns savants) dans l'obéissance, les autres sincères dans l'admiration, tous sentant que la Révolution avait un maître, et aspirant à tirer profit de sa dictature.

Déjà la même opinion courait dans le peuple, et comme l'anarchie l'avait fatigué, il se rejetait vers l'ordre avec passion. Un des premiers actes de Bonaparte fut d'abolir la fête anniversaire du 21 janvier, affreux souvenir que la Révolution entourait de solennité comme pour s'absoudre par la complicité des générations. Et néanmoins il ne voulait pas qu'on lui soupçonnât le dessein de faire disparaître la République, ni d'affaiblir l'enthousiasme de la liberté. Washington, le fondateur de la République des Etats-Unis, venait de mourir (14 décembre 1799); Bonaparte fit de cette mort un deuil public, et une fête théâtrale eut lieu aux Invalides pour célébrer la gloire du héros américain'.

Bonaparte fut admirable à flatter à la fois ce double instinct de liberté et d'ordre, mais surtout d'égalité et de discipline, et il y parvint en ramenant de la dignité dans le gouvernement. Il fit disparaître les trivialités révolutionnaires qui survivaient dans la langue de la politique comme dans la langue des salons. Il s'était marié avec une femme dont le nom rappelait les vieilles coutumes de la politesse; Madame Joséphine de la Pagerie, veuve du marquis de Beauharnais, devenue Madame Bonaparte, ne fut pas inutile à ce renouvellement des usages qui s'étaient perdus dans la grossièreté farouche du jacobinisme. Le tutoiement, cette hideuse dégradation des mœurs publiques et des mœurs privées, fit place aux formules anciennes de la déférence; tout, en un mot, annonça un retour à la dignité, jusqu'aux simples désignations de monsieur et de madame que la démagogie forcenée avait proscrites sous peine de mort.

Voyez les proclamations, les discours, les solennités, Mém. de Bourrienne, tom. III.

Le peuple donc sentit à ces indices divers qu'une autorité se levait qui allait mettre fin aux longs abaissements où venait de s'épuiser tristement sa vie ; et sans se rendre compte de ce qu'il y avait de sauveur en un tel retour, il lui suffit de ses instincts pour saluer cette nouveauté avec enthousiasme.

Nul nom n'avait jamais été populaire comme le fut celui de Bonaparte, vainqueur du Directoire et de l'anarchie. On n'examina pas quel rôle il avait joué au 18 brumaire, ni s'il avait manqué de génie, ni s'il avait violé les lois, ni si la réussite avait été un coup du hasard; on croyait à sa fortune, et cela suffisait pour justifier l'applaudissement et la gratitude.

Mais Bonaparte ne crut pas alors assez répondre à cette faveur par des réformes dans l'Etat, sorte de bien qui d'ordinaire échappe au regard des peuples. Il voulut émouvoir leur imagination, en faisant briller à leurs yeux l'image et le nom de la paix. La paix était un besoin pour toutes les âmes. Dix ans de guerre avaient épuisé le sang et la fortune de la France; cent victoires avaient été mêlées de cent revers, et la gloire ne suffisait pas à réparer tant d'adversités.

Bonaparte sentait en lui des instincts d'une autre sorte, mais s'il devait refaire la guerre, il voulait que la nation fut entraînée à se passionner pour elle; il montra donc la paix, comme s'il l'avait crue possible; et si elle était repoussée, sa popularité n'en serait pas atteinte, mais exaltée. Il écrivit au roi d'Angleterre en ces termes :

« Appelé, par le vœu de la Nation française, à la première magistrature de la République, je crois convenable, en entrant en charge, d'en faire directement part à Votre Majesté.

» La guerre qui, depuis huit ans, ravage les quatre parties du monde, doit-elle être éternelle? N'est-il donc aucun moyen de s'entendre?

» Comment les deux nations les plus éclairées de l'Europe, puissantes et fortes plus que ne l'exigent leur sûreté et leur indépendance, peuvent-elles sacrifier à des idées de

TOM. I.

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vaine grandeur, le bien du commerce, la prospérité intérieure, le bonheur des familles ? Comment ne sentent-elles pas que la paix est le premier des besoins, comme la première des gloires?

» Ces sentiments ne peuvent être étrangers au cœur de Votre Majesté qui gouverne une nation libre et dans le seul but de la rendre heureuse.

» Votre Majesté ne verra dans cette ouverture que mon désir sincère de contribuer efficacement, pour la seconde fois, à la pacification générale par une démarche prompte, toute de confiance, et dégagée de ces formes qui, nécessaires peut-être pour déguiser la dépendance des Etats faibles, ne décèlent dans les Etats forts que le désir mutuel de se tromper.

» La France, l'Angleterre, par l'abus de leurs forces, peuvent, longtemps encore pour le malheur de tous les peuples, en retarder l'épuisement; mais, j'ose le dire, le sort de toutes les nations civilisées est attaché à la fin d'une guerre qui embrasse le monde entier.. >>

Ainsi parlait Bonaparte au roi d'Angleterre, et quelle que fût en réalité sa pensée, la politique sous sa plume retrouvait une langue de dignité qu'elle avait désapprise, et cette lettre, à ce point de vue, mérite d'être gravée dans l'histoire.

Mais cette convenance ne parut pas sans doute suffisante, venant d'un homme qui n'était pas roi, ou peut-être la rigidité des formes constitutionnelles voulut que les ministres gardassent la responsabilité d'une opinion qui engageait la conduite de l'Etat.

Le ministre Talleyrand avait expédié la lettre du premier consul au ministre du roi d'Angleterre. Celui-ci répondit à Talleyrand: «< Monsieur, j'ai reçu et mis sous les yeux du Roi les deux lettres que vous m'avez transmises. Sa Majesté ne voyant aucune raison de se départir de ces formes qui ont été longtemps établies en Europe pour traiter d'affaires avec les Etats étrangers, m'a ordonné de vous faire passer en son nom la réponse officielle que je vous envoie ci-incluse. »>

Cette réponse était une apologie de l'Angleterre, fondée

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