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que l'apothéose fût populaire et que l'exécration fût sans autorité; de sorte qu'une tâche reste encore à l'histoire, c'est de reprendre cette époque fatale et de la dérouler derechef avec ses monuments authentiques, et de faire ainsi tomber les fausses images sous lesquelles elle se pourrait offrir au regard de la postérité. L'honneur de notre siècle est engagé dans cette liberté et cette justice. Sinon, lorsque les siècles à venir s'en viendraient fouiller les annales de la Révolution, ses journaux, son Moniteur, ses pièces judiciaires, ses registres de mort, d'exil, de confiscation, d'incendie, ils pourraient accuser à bon droit le génie contemporain, soit de n'avoir pas su imposer à l'opinion publique la flétrissure de si lamentables atrocités, soit de s'en être fait le complice, en apprenant aux hommes à les admirer ou à les absoudre.

'Je n'ai point eu l'ambition de rétablir de la sorte l'honneur de l'histoire. Mais j'ai voulu que la conscience publique ne fût pas étouffée par la frénésie des passions; et, dans la rapidité accoutumée de mes récits, cette espèce de protestation n'aura pas au moins manqué à mon œuvre.

J'ai maintenant à reprendre ma narration à un moment où la révolution allait faire un effort de réaction contre elle-même.

L'anarchie était comme épuisée, le despotisme allait naître; c'est une alternative connue et qui devait se produire dans la révolution française, comme elle s'était produite dans toutes les révolutions consommées par la destruction de l'autorité.

Le passage du Directoire n'avait fait que révéler une tendance instinctive des idées à ce point de vue. La France se sentait mourir, faute d'être gouvernée; tout ce qui lui restait de force n'allait qu'à mépriser le régime auquel elle était arrivée ; et toutefois, même dans ce régime, quelle que fût sa dégradation, se faisait sentir un vague besoin de ramener la France à des idées meilleures de discipline.

Seulement la constitution de la France était telle que tout effort tenté dans ce but devait n'être qu'un ébranlement et risquait d'être un renouvellement de l'anarchie;

pour le mieux entendre, il va suffire de reprendre les principaux souvenirs du Directoire.

La Convention avait légué à la France avec ses forfaits gigantesques une constitution frêle.

D'après cette constitution, le pouvoir législatif se composait d'un conseil des anciens au nombre de 250, qui devaient avoir quarante ans au moins, et d'un conseil dit des Cinq-Cents, dont les membres devaient avoir trente ans. Le pouvoir exécutif était délégué à un directoire de cinq membres, âgés de quarante ans, et nommés par le corps législatif.

Le peuple devait sanctionner cette organisation, et il l'avait fait par une majorité de 914,853 voix sur 958,226 votants: telle était la représentation de la souveraineté numérique d'une nation qui comptait près de trente millions de citoyens.

La Convention avait en même temps prescrit que, dans l'élection des assemblées nouvelles, les deux tiers au moins de l'assemblée qui se retirait seraient choisis par le peuple.

Etonnante liberté laissée au suffrage! Et ce décret avait donné lieu à des troubles violents, soit à Paris, soit dans les provinces; ce fut l'occasion d'une lutte entre cette puissance expirante et la population soulevée à la fois par les mouvements libres de sa colère et par l'impulsion systématique des partis.

Le 13 vendémiaire, Paris vit vingt-cinq ou trente mille insurgés marcher contre la Convention, et le général Barras, chargé de la défendre, trouva sous sa main un jeune général, Bonaparte, qui remplit son office avec la résolution d'un soldat, ardent à défendre le pouvoir, sans le juger; les rues furent un théâtre de bataille; la mitraille foudroya les Parisiens, et la Convention disparut, laissant derrière elle une longue traînée de sang, et dans l'histoire un nom sinistre. Elle avait rendu huit mille trois cent

soixante-dix décrets; la plupart, des lois de mort. Ses derniers actes présentèrent un contraste; par un de ses décrets, elle proclamait l'amnistie pour tous les délits révolutionnaires, n'exceptant de la grâce que les prêtres déportés ou à déporter, les émigrés rentrés ou non rentrés; par un autre, elle créait l'Institut.

Alors parurent les assemblées nouvelles. Elles commencèrent par élire le Directoire, et elles choisirent cinq régicides, souvenir horrible et présage infâme.

C'étaient Lareveillère-Lepeaux, Letourneur (de la Manche), Rewbel, Siéyes et Barras. Siéyes refusa cet honneur; Carnot fut mis à sa place; c'était un régicide encore.

Ainsi, tandis que des instincts d'ordre se faisaient jour, la révolution se renfermait en elle-même, comme enchaînée par une sorte de fatalité.

Ce fut ce Directoire qui eut à représenter la France politique devant l'Europe; la constitution lui remettait tous les droits et toutes les prérogatives d'un gouvernement réglé.

Cependant des pensées d'ordre étaient entrées dans les assemblées qui venaient de faire de tels choix, et la majorité même protestait contre les régimes de tyrannie brutale qui venaient d'oppresser la France. Dans cette majorité étaient apparus des noms auxquels se rattachaient d'autres souvenirs ou d'autres espérances, Barbier-Marbois, Portalis, Tronchet, Tronçon-Ducoudray, Lecoulteux-Canteleu, Lanjuinais, Boissy-d'Anglas, Porcher de Richebourg.

Mais cela même devait servir à l'excitation des haines survivantes des minorités révolutionnaires, et leur être un prétexte de raviver leurs instincts de violence à peine assoupis.

D'ailleurs, le gouvernement était aux abois. Les finances étaient dans un état hideux. La Convention avait, par des décrets successifs, créé des masses d'assignats, dont la valeur n'était plus qu'une fiction et une sorte d'ironie; des documents en établissaient le montant à dix-neuf milliards; aussi l'ancien louis d'or de 24 livres, représentait deux mille six cents francs en assignats; et, enfin, une loi créa pour deux milliards quatre cent millions de mandats territoriaux, autre expédient qui acheva d'at

tester la ruine monétaire; toutes ces valeurs reposaient sur les biens confisqués par la Révolution, et il était enjoint aux particuliers de les recevoir, selon leur taux légal, sous peine de mort; mais il ne dépendait d'aucune violence ni d'aucune pénalité de faire ce que fait naturellement la force des conventions humaines, lorsqu'elle est ratifiée par la probité. Toutes ces créations de valeurs n'avaient fait qu'élargir le gouffre où avait péri la fortune de la France.

Le Directoire crut sauver l'Etat par un emprunt forcé de six cents millions en numéraire, c'était le dernier indice de la détresse; le numéraire manqua à la spoliation.

En même temps des revers avaient frappé nos armées ; c'est l'espèce de malheur que l'imagination française supporte avec le plus de colère, et il s'ensuivit pour les débuts du Directoire une impopularité facilement accrue par les factions de république, qui feignaient de se voir trahies.

18 décembre 1795.-C'est en ces conjonctures que Madame, fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, prisonnière au Temple depuis le meurtre de ses parents, fut échangée contre plusieurs représentants et le ministre Beurnonville, que le général Dumouriez avait livrés aux Autrichiens, le 1 avril 1793. La pensée de la France se portait avec un intérêt tendre sur cette princesse; jamais tant de malheur n'avait pesé sur la tête d'un enfant, et ce n'était que le prélude d'une vie prédestinée à toutes les angoisses de la douleur.

Le ministre de l'intérieur, Benezech, un honnête homme, s'était chargé de la délivrance de la jeune captive; Méchin devait la conduire hors de France. L'ordre était donné d'entourer son départ de mystère; mais la renommée avait trahi le secret, et, dans le voyage, là princesse, souvent reconnue, s'étonna d'être un objet de respect et d'hommage. C'est elle qui le dit : « Je fus accueillie par mille bénédictions qui semblaient partir du fond des cœurs et dont je fus bien touchée. » Elle arriva de la sorte à Bâle,

'Lettres de MADAME, publiées par M. de la chefoucault. Mém., t. IV.

où devait se faire l'échange; puis elle fut conduite à Vienne, d'où elle ne devait que plus tard s'aller joindre à ce qui survivait de sa famille mutilée; tous ces épisodes forment dans l'histoire un drame lugubre et plein de larmes.

1796. Mais en France tout suit sa pente; les opinions fermentent; des conspirations se trament; alors paraît Babœuf, avec son plan de démagogie universelle, début mal formulé de théories qui devaient, cinquante ans plus tard, devenir un système de philosophie politique et enflammer les imaginations populaires.

Le gouvernement crut s'affermir en feignant de devancer les instincts de la Révolution. Il prescrivit le serment de haine à la royauté; les assemblées s'épurèrent par des proscriptions; et, comme les opinions se trahissaient par des chants qui n'étaient plus ceux des jours sinistres, on proscrivit toutes les chansons d'une signification réactionnaire, et on ordonna de raviver l'enthousiasme de la Marseillaise.

C'est par ces alternatives que le Directoire, le plus vacillant des pouvoirs, se laissa conduire à la crise du 18 fructidor; crise étrange, où la majorité des assemblées fut vaincue et foulée aux pieds par la minorité.

A ce moment, une grande figure avait commencé de dominer toutes les autres, soit au dedans, soit au dehors: c'était celle de ce jeune général qui avait mitraillé le peuple de Paris pour sauver la Convention à sa dernière heure.

Bonaparte se sentait destiné à maîtriser cette vaste impuissance de la Révolution française. Après la journée du 13 vendémiaire, Barras, qui était son protecteur et qui l'avait montré à la France et à ses partis, le fit nommer général en chef d'une des armées de la République, il n'avait que vingt-six ans. Tu es bien jeune, lui dit-on, pour aller commander une armée. ·J'en reviendrai vieux, pondit-il.

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Il avait été envoyé en Italie, et là il s'était révélé soudainement, suivant à la fois la marche de la guerre et celle de la politique; se mettant de prime abord au niveau des événements et des hommes, et faisant sentir, soit dans le

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