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pire français, embrassant presque tous les Etats du vieux empire de Charlemagne, concentra, de fait, dans les mains de Napoléon, une puissance devant laquelle s'abaissaient toutes les couronnes. Il ne resta devant lui que deux Etats libres, la Russie et l'Angleterre; l'une atteinte néanmoins par deux blessures cruelles, l'autre maîtresse des mers, mais séparée du continent: double germe d'aversion subsistante. Aussi l'empereur Alexandre se posa vainement médiateur entre l'Angleterre et la France. La paix ne devait être qu'une éclatante dissimulation de la guerre, et d'autres incendies ne devaient pas tarder à s'allumer en Europe.

Et au milieu de ces révolutions d'Etat et de ces violents changements de destinées, l'histoire laisse tomber son regard sur une autre sorte d'infortune, sur celle de l'ancienne royauté de France et des restes de l'émigration française, que les victoires de Napoléon poursuivaient en Europe d'asile en asile.

Louis XVIII que nous avons vu chassé par la Russie et recueilli par la Prusse, avait suivi les vicissitudes de la guerre sans rien perdre de sa foi. Il semblait défier l'adversité; et toutefois d'horribles angoisses avaient éprouvé sa constance; des trames mystérieuses l'avaient enveloppé dans son séjour à Varsovie, et il avait vu ses jours et ceux de tous les siens menacés tantôt par le poison, tantôt par l'incendie 1. La Russie, sur ces entrefaites, lui avait de nouveau ouvert un refuge; et il était allé retrouver à Mittau la retraite que le caprice de Paul Ier lui avait offerte et ôtée. Mais la paix de Tilsitt vint bientôt lui apprendre que nulle hospitalité ne lui était sûre désormais sur le continent, et il demanda un abri à l'Angleterre. Il ne quitta point Mittau sans y laisser l'empreinte de sa royauté. Les armées s'étaient battues non loin de ce lieu d'asile, et des prisonniers français étaient relégués à peu de distance. Louis XVIII en

' Voyez les curieux récits de M. Martin d'Oisy, Examen de la vie politique de Louis XVIII, en tête du livre intitulé: Manuscrit de Louis XVIII, 1839.

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voya des secours aux soldats de Napoléon; il fit panser les blessés, et il chargea l'abbé de Firmont d'aller ajouter à ces soins des consolations plus tendres. Ce fut pour le Roi l'occasion d'une rude épreuve. L'abbé de Firmont, exerçant son ministère auprès des malades, fut frappé de la contagion, et il mourut. Louis XVIII annonça lui-même cette douleur au frère de l'abbé de Firmont. « Je pleure, lui disait-il, un ami, un bienfaiteur, un consolateur qui avait conduit mon frère aux portes du ciel, et m'en traçait à moi-même la route. Oui, monsieur, la mort de votre frère a été une calamité publique . » Ainsi Louis XVIII restait roi, ne fut-ce qu'en s'égalant à la grandeur des infortunes que Dieu versait sur sa tête.

Il s'en alla donc s'abriter en Angleterre, le seul pays qui ne fût pas atteint par les armes de Napoléon. En même temps erraient en Europe les débris de la vieille noblesse de France, que les lois d'amnistie avaient exceptés, ou qui avaient voulu perpétuer leurs exils. Les peuples et les gouvernements les voyaient fuir soit devant la guerre, soit devant la paix; et à la fin la pitié, comme l'admiration, s'évanouit; l'Europe frappée par ses propres adversités s'accoutuma à dédaigner le spectacle de ces grandes fidélités et de ces grandes infortunes. On vit à Hambourg plusieurs familles de la plus haute noblesse recourir à un travail rebutant et stérile 2. La providence frappait d'une humiliation cruelle une aristocratie qui n'avait pas toujours justifié son élévation par la vertu, et ce spectacle glissait sur l'imagination des peuples; les catastrophes de l'Europe avaient glacé toutes les âmes.

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Juillet 1807. Napoléon cependant s'en vint jouir de sa gloire, comme si son ambition était désormais satisfaite ; il rentrait à Paris après dix mois d'absence : les corps de l'Etat furent ingénieux à trouver des formes nouvelles

1 Voyez les curieux récits de M. Martin d'Oisy, Examen de la vie politique de Louis XVIII, en tête du livre intitulé: Manuscrit de Louis XVIII, 1839.

2 Voyez les Mém. du général Dammartin et aussi les Mém. de Bourrienne, tom. VII.

d'adulation; l'enthousiasme ressembla à une extase, si ce n'est que souvent la parole perdit son élégance, en même temps que la pensée perdait sa dignité. « Il est une chose plus extraordinaire que les prodiges de Votre Majesté, lui dit le premier président Séguier; c'est que vous résistiez à la fortune, qui affecte pour vous l'empire de la terre ; que vous soyez moins ambitieux de vaincre que de vous réconcilier; que vous ne fassiez sentir par vos armes les dangers de votre inimitié, que pour faire comprendre par la force de votre génie les avantages de votre alliance. Napoléon n'a jamais voulu que la paix du monde : il a toujours présenté la branche d'olivier à ses provocateurs, qui l'ont forcé d'accumuler les lauriers. Napoléon est au delà de l'histoire humaine; il appartient aux temps héroïques; il est au-dessus de l'admiration; il n'y a que l'amour qui puisse s'élever jusqu'à lui. »

Napoléon, à l'exagération de ces louanges, pouvait se croire au-dessus de l'homme; il affecta d'être modéré, et l'admiration n'en fut que plus passionnée.

Le 16 août il ouvrit le Corps législatif, et il parla de paix en annonçant une diminution d'impôts. « Je désire la paix maritime, dit-il; mon ressentiment n'influera jamais sur mes déterminations; je n'en saurais avoir contre une nation, jouet et victime des partis qui la déchirent, et trompée sur la situation de ses affaires comme sur celle de ses voisins. Mais quelle que soit l'issue que les décrets de la Providence aient assignée à la guerre maritime, mes peuples me trouveront toujours le même, et je trouverai toujours mes peuples dignes de moi. »

Et quelques jours après, Fontanes, président du Corps législatif, allait lui répondre : « Tous nos cœurs sont émus aux témoignages de votre affection pour les Français. Les paroles que vous avez fait entendre ont déjà réjoui les hameaux. Un jour on dira en parlant de vous (et ce sera le plus beau trait d'une histoire si merveilleuse), on dira que la destinée du pauvre occupait celui qui fait la desfinée de tant de rois, et qu'à la fin d'une longue guerre vous avez diminué les charges publiques, tandis que vos

mains victorieuses distribuaient avec tant de magnificence des couronnes à vos lieutenants.... et comment, ajoutait le flatteur, n'accueilleriez-vous pas ce langage aussi éloigné de la servitude qu'il le fut de l'anarchie? >>

Telle était la pompe des adulations. A ces hommages la poésie ajouta ses apothéoses. Les théâtres et les académies retentirent d'applaudissements; des livres furent faits pour apprendre à la jeunesse des écoles à n'admirer que Napoléon; tout s'effaçait dans l'Histoire devant son génie.

Aussi profita-t-il de cette disposition publique pour achever de concentrer en ses mains toute la puissance de l'Empire. Il restait dans la Constitution quelques formes de représentation qui semblaient rappeler la liberté de la République; il les supprima. Le Tribunat, qui préparait l'examen des lois, fut remplacé par des commissions prises dans le Corps législatif; et le Corps législatif lui-même ne servit guère qu'à revêtir la puissance absolue d'une forme de délibération publique. Ainsi dégage a-t-il son empire de ce qu'il appelait des bavards, des idéologues, des phraseurs et des avocats. En un mot, la France s'absorbà dans la volonté d'un maître. Il ne resta, dit Bourrienne, « qu'un Sénat pour voter des hommes, un Corps législatif muet pour voter de l'argent, point d'opposition dans l'un, point de réflexions dans l'autre ; nulle part de contrôle ; la possibilité de faire sous les seules lois de son bon plaisir tout ce qu'il voudrait; la presse enchaînée; voilà ce que voulut Napoléon *. » L'histoire ajoute et pour son malheur il obtint ce qu'il avait voulu.

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En même temps Napoléon faisait sentir au monde la puissance de son sceptre.

Il lui suffit d'un décret pour réunir en un seul Etat les Etats de Hesse-Cassel, de Brunswick, de Fulde, de Paderborn, d'une grande partie du Hanovre et de plusieurs enclaves, et cela s'appela le royaume de Westphalie; une

1 Mém. de Bourrienne, tom. VII.

• Ibid.

TOM. I.

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régence temporaire, composée des conseillers d'Etat Beugnot, Siméon, Jollivet, et du général Joseph Lagrange alla organiser l'administration de ce royaume, réservé à Jérôme Bonaparte.

Peu après, il créait de même un gouvernement septinsulaire dans la mer Ionienne, comme faisant partie de l'Empire; ce gouvernement comprenait les sept iles célèbres de cette mer, Corfou, Paxos, Ste-Maure, Ithaque, Céphalonie, Zante et Cérigo, qu'on avait vues, en 1800, réunies en confédération républicaine sous l'action concertée de deux Etats despotiques, la Russie et la Porte 1. Mais dans ce vaste remaniement du monde, une chose resta au-dessus du pouvoir de Napoléon, ce fut de rétablir la paix entre la Turquie et la Russie, Le général Sébastiani avait si bien allumé la guerre, que le général Guilleminot ne put l'éteindre.

L'Europe elle-même gardait ses luttes.

Deux puissances résistaient à Napoléon dans son système de domination universelle, l'Angleterre et la Suède, inégales en force et mues par des pensées diverses, la première par l'aversion, la seconde par l'indépendance; celle-ci obéissant à la politique de l'autre, et d'ailleurs emportée par les témérités de son roi Gustave IV, qui ne vit pas les périls où courait sa royauté.

Le maréchal Brune, dans une campagne rapide, frappa les Suédois de défaites sanglantes. Stralsund, dans la Poméranie suédoise, s'ouvrit à ses armes, et, quelques jours après, l'île de Rugen fut occupée par suite d'une capitulation; l'armée suédoise avait vainement lutté avec courage;

'Corfou, l'ancienne Corcyre; - Paxos, l'ancienne Ericuse; -SainteMaure, Leucade; - Zante, Zacinthe; - Cérigo, Cythère.

Venise s'était emparée de ces îles et les avait gouvernées, comme les Républiques gouvernent leurs colonies, avec tyrannie. Le traité de Campo-Formio avait détruit Venise à son tour. En 1798, la Russie et La Porte s'étaient emparées des Sept-Iles et en avaient fait, en 1800, un Gouvernement libre. Dès 1803, l'anarchie s'était mise dans cette fédération. En 1809, Napoléon mettait la main sur les Sept-Iles pour les gouverner par ses procédés absolus; mais les flottes anglaises n'allaient pas tarder à les lui ravir.

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