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«< que vous ne le sachiez bientôt. » Là-dessus, comme on ne m'introduisit point chez Monsieur, j'allai ouïr la musique à la chapelle. J'étais tout occupé des beaux motets de la fête, lorsqu'un huissier vint me dire qu'on me demandait. C'était Hyacinthe Pilorge, mon secrétaire; il me remit une lettre et une ordonnance en me disant : « Monsieur <«< n'est plus ministre. » M. le duc de Rauzan, directeur des affaires politiques, avait ouvert le paquet en mon absence et n'avait pas osé me l'apporter. J'y trouvai ce billet de M. de Villèle : « Monsieur le « vicomte, j'obéis aux ordres du roi en transmettant de suite à Votre Excellence une ordonnance que Sa Majesté vient de rendre : Le sieur << comte de Villèle, président de notre conseil des ministres, est chargé << par intérim du portefeuille des affaires étrangères, en remplacement << du sieur vicomte de Chateaubriand. »

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L'insulte était violente, et l'imprudence de M. de Villèle était grave. Il y a des alliés nécessaires quoique incommodes, et M. de Chateaubriand, malgré ses prétentions et ses boutades, était moins dangereux comme rival que comme ennemi. Devenu tout à coup un chef d'opposition brillant et puissant, il ne cessa de lancer ses attaques contre le ministère, de la tribune que lui fournit avec empressement le Journal des Débats. Un moment, et malgré leur amitié pour lui, MM. Bertin avaient hésité à se brouiller avec M. de Villèle; ils demandèrent pour M. de Chateaubriand l'ambassade de Rome. Le ministre refusa, alléguant l'humeur du roi contre M. de Chateaubriand. « En ce cas, répar« tit M. Bertin de Vaux, souvenez-vous que les Débats ont déjà renversé les ministères Decazes et Richelieu, ils sauront bien renverser le ministre Villèle.» « Vous avez renversé les premiers en faisant du royalisme, reprit M. de Villèle; pour renverser le mien, il vous faudra faire de la révolution. »

C'était au sein du royalisme même que le Journal des Débats et M. de Chateaubriand allaient susciter à M. de Villèle des adversaires acharnés; il avait chassé de la Chambre la plupart de ses ennemis, d'autres étaient morts, comme M. Camille Jordan; M. de Serre, mort aussi, ne l'entravait plus, tantôt par ses attaques, tantôt par son concours; mais M. de Chateaubriand le combattait dans la Chambre des Pairs, M. de la Bourdonnaye dans la Chambre des Députés; autour d'eux se groupaient les mécontentements de toute origine qu'engendre bientôt le pouvoir. Les opposants résolus secondèrent des attaques dont ils désapprouvaient quelquefois la tendance. M. de Villèle se trouvait ainsi

livré à la merci de ses amis, contraint de les ménager et d'accepter leurs volontés pour conserver leur appui. Il venait de donner à Monsieur et à ses pieux conseillers la satisfaction de voir Mgr de Frayssinous, déjà grand maître de l'Université, élevé aux fonctions nouvelles de ministre de l'instruction publique. Dans le fond de sa pensée, et tout en comptant sur la tolérance des ultras, maîtres du pouvoir, M. de Villèle s'appuyait avant tout sur la bienveillance du roi. Louis XVIII était vieux et malade; il mourut le 16 septembre 1824, entouré à ses derniers moments comme après sa mort par toutes les pompes anciennes de la royauté. Quelques années auparavant, recevant M. BarbéMarbois dans sa chambre et lui montrant de la main son lit: «Mon frère ne mourra pas dans ce lit-la!» avait-il dit. Parmi les souverains qui l'avaient immédiatement précédé, comme parmi ceux qui allaient bientôt lui succéder sur le trône, le roi Louis XVIII devait être le seul à mourir paisiblement dans son palais.

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Le roi Louis XVIII n'était plus, le roi Charles X venait de célébrer son avènement par la suppression de la censure, qu'il devait bientôt rétablir. Rentré à Paris après quelques jours passés à Saint-Cloud (27 septembre), le nouveau monarque manifestait des intentions loyalement conciliantes, il était bien accueilli par l'opinion publique, qui lui demandait pour toute faveur le renvoi du ministère. Charles X s'y refusait; comme son frère et comme ses enfants, il tenait M. de Villèle pour le plus capable et le plus utile de tous ses serviteurs. Cependant le président du conseil ne tarda pas à s'apercevoir qu'il avait changé de maître, « et qu'il y a peu à compter sur l'esprit et le cœur d'un roi, même sincère, quand la surface et le fond n'y sont pas d'accord. Les hommes appartiennent bien plus qu'on ne le croit, et qu'ils ne le croient eux-mêmes, à ce qu'ils pensent réellement. On a beaucoup comparé, pour les séparer, Louis XVIII et Charles X; la sépa

ration était encore plus profonde qu'on ne l'a dit. Louis XVIII était un modéré de l'ancien régime et un libre penseur du dix-huitième siècle; Charles X était un émigré fidèle et un dévot soumis. La sagesse de Louis XVIII était pleine d'égoïsme et de scepticisme, mais sérieuse et vraie. Quand Charles X se conduisit en roi sage, c'était par probité, par bienveillance imprévoyante, par entraînement du moment, par désir de plaire, non par conviction et par goût. A travers tous les cabinets de son règne, l'abbé de Montesquiou, M. de Talleyrand, le duc de Richelieu, M. Decazes, M. de Villèle, le gouvernement de Louis XVIII fut un gouvernement conséquent et toujours semblable à lui-même, sans mauvais calcul ni préméditation trompeuse. Charles X flotta de contradiction en contradiction et d'inconséquence en inconséquence, jusqu'au jour où, rendu à sa vraie foi et à sa vraie volonté, il fit la faute qui lui coûta le trône'. »

Dès le début du nouveau règne et malgré les paroles bienveillantes ou les actes isolés qui calmaient adroitement l'irritation des libéraux, M. de Villèle servit fidèlement les instincts personnels du roi et les passions de ses conseillers. Il ne lutta point contre la légèreté inconséquente du monarque, il se borna à entreprendre de lui faire accomplir, quand les circonstances s'y prêtaient, assez d'actes de politique modérée et populaire pour qu'il ne parût pas exclusivement livré au parti qui avait au fond son cœur et sa foi. Les premières mesures présentées par le ministère à l'ouverture de la session témoignaient clairement des volontés souveraines. La loi pour l'indemnité aux émigrés, celle sur les communautés de femmes, et celle sur le sacrilège furent à vrai dire le manifeste du nouveau règne. L'effort intelligent, partout tenté pour faire quelque chose au profit et au gré de l'esprit de progrès, appartint constamment à M. de Villèle, et c'est à lui qu'en revient l'honneur.

Ce fut M. de Villèle qui s'opposa en 1825 à l'exclusive application de la mesure réparatrice portée devant les Chambres en faveur des victimes des confiscations révolutionnaires. Les condamnés et les déportés des crises successives de la révolution devaient avoir leur part de cette indemnité que le parti émigré cherchait à s'attribuer tout entière. La voix publique a en effet gardé le souvenir de ses prétentions, et la mesure présentée le 5 janvier 1825 s'est appelée, pour les

1. M. Guizot, Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps.

générations suivantes, l'indemnité des émigrés. Elle souleva de violentes attaques, elle inquiétait gravement les acquéreurs des biens nationaux et paraissait ouvrir une voie dangereuse; la droite la soutint avec une âpreté passionnée que M. de Villèle et M. de Martignac cherchèrent en vain à modérer. La loi avait été annoncée comme devant fermer les dernières plaies de la révolution; elle en ranima. amèrement les plus tristes souvenirs : l'émission de rentes au capital d'un milliard votée le 15 mars par la Chambre des Députés et le 23 avril par les Pairs demeura, malgré son évidente équité, une mesure impopulaire, sentiment injuste et qui fut bientôt démenti par les bons effets qu'elle produisit dans les provinces, et l'utile action qu'elle exerça pour l'apaisement des esprits.

Le projet de loi sur le sacrilège fut attaqué à la Chambre des Pairs comme à la Chambre des Députés par des raisons plus hautes, sérieusement et profondément libérales. M. Royer-Collard et M. de Broglie étaient plus que personne ennemis du sacrilège; ils s'élevèrent hautement contre les châtiments excessifs appliqués à un crime qui ne saurait tomber sous le coup de la loi. « Le projet de loi qui vous est présenté, dit M. Royer-Collard, est d'un ordre particulier et jusqu'à présent étranger à nos délibérations. Non-seulement il introduit dans notre législation un crime nouveau, mais ce qui est bien plus extraordinaire, il crée un nouveau principe de criminalité, un ordre de crimes pour ainsi dire surnaturels, qui ne tombent pas sous nos sens, que la raison humaine ne saurait découvrir ni comprendre, et qui ne se manifestent qu'à la foi religieuse éclairée par la révélation. Ainsi la loi pénale remet en question et la religion et la société civile, leur nature, leur fin, leur indépendance respective... La loi a une croyance religieuse, et comme elle est souveraine, elle doit être obéie; la vérité en matière de foi est de son domaine, la vérité à son tour s'empare de la loi, elle fait les constitutions, elle fait les institutions politiques et civiles, c'est-à-dire qu'elle fait tout: non-seulement son royaume est de ce monde, mais ce monde est son royaume, le sceptre a passé dans ses mains. Ainsi, de même que dans la politique on nous resserre entre le pouvoir absolu et la sédition révolutionnaire, dans la religion nous sommes pressés entre la théocratie et l'athéisme. Qu'on y prenne garde, la Révolution a sans doute été impie jusqu'à la cruauté, mais c'est ce crime-là surtout qui l'a perdue, et on peut prédire à la contre-révolution que des représailles de cruauté, ne fussent-elles

II. - 76

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