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le dévouement des armées pour les chefs qui les ont menées à la victoire.

» Un ambitieux, un conspirateur aurait-il laissé échapper l'occasion, à la tête d'une armée de cent mille hommes, tant de fois triomphante?

» Je ne songeai qu'à licencier la mienne, et je rentrai dans le repos de la vie civile.

» Dans ce repos, qui n'était pas sans gloire, je jouissais de ces honneurs qu'il n'est pas dans la puissance de m'arracher; du souvenir de ma vie, du témoignage de ma conscience, de l'estime de mes compatriotes et des étrangers.

» J'étais content de ma fortune et de ma situation.... Je me tenais éloigné de toutes les routes de l'ambition, et depuis la victoire de Hohenlinden jusqu'à mon arrestation, mes plus ardens ennemis n'ont pu me trouver d'autres torts que la liberté de mes discours.

» Eh bien! ces discours ont souvent été favorables au gouvernement, et s'ils ne l'ont pas toujours été, pouvais-je croire que cette liberté fût un crime chez un peuple qui avait tant de fois décrété celle de la parole et de la presse ?

» Je le confesse, né avec une grande franchise de caractère, je n'ai pu perdre cet attribut de la contrée de la France où j'ai reçu le jour (1), ni dans les camps, ni dans la révolution qui l'a tou

(1) La Bretagne.

jours proclamée comme une vertu de l'homme et comme un devoir du citoyen. Mais ceux qui conspirent blâment-ils si hautement ce qu'ils n'approuvent pas? Tant de franchise s'accorde mal avec les attentats de la politique.

» Si j'avais voulu concevoir et suivre un plan de conspiration, j'aurais dissimulé més opinions; j'aurais sollicité tous les emplois qui m'auraient replacé au milieu des forces de la nation.

» Pour me tracer cette marche, au défaut d'un génie politique que je n'eus jamais, j'avais des éxemples connus de tout le monde, et rendus imposans par des succès je n'ignorais pas que Monck ne s'était pas éloigné des armées lorsqu'il voulut conspirer; et que Cassius et Brutus s'étaient rapprochés du cœur de César pour le percer.

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» Magistrats, je n'ai plus rien à dire : tel a été mon caractère, telle a été ma vie entière. Je proteste, à la face du ciel et des hommes, de mon innocence. Vous savez vos devoirs, la France vous écoute, l'Europe vous contemple, et la postérité vous attend. »

Le lendemain, chacun dans Paris se répétait.ce discours, en y ajoutant des réflexions désobligeantes pour le gouvernement.

Le tribunal condamna à mort les accusés, Georges Cadoudal, Bouvet de Lozier, Russillion, Rochelle, Armand Polignac, d'Hozier, de Rivière, Louis du Corps, Picot, Lajollais, ancien général

républicain, Coster Saint-Victor, Deville, Armand Gaillard, Joyaut, Burban, Lemercier, Lelan, Cadoudal, Mérille et Roger; à deux ans de prison, le général Moreau, Jules Polignac, Léridant, Roland, et la fille Hizay.

Le général Moreau, en particulier, avait été l'objet d'une longue délibération entre les juges dans la chambre du conseil. La majorité, relativement à lui, s'occupait beaucoup plus du gouvernement que de son affaire. « L'acquittement, disait un d'entre eux, serait un signal de guerre civile ; les puissances étrangères attendent ce jugement pour reconnaître l'empereur des Français. Ceci est une affaire politique plutôt qu'une affaire judiciaire, et il faut quelquefois des sacrifices nécessaires à la sûreté de l'état. » Cette manière étrange, et on peut même dire révoltante, de raisonner, chez des juges, trouva, pour l'honneur de l'humanité, des contradicteurs parmi les collègues de ceux qui, égarés, séduits ou terrifiés, ne rougissaient pas d'en faire la règle de leurs discours. Ces hommes, plus dignes des fonctions augustes qu'ils étaient appelés à remplir, représentèrent que la justice doit toujours marcher dans une indépendance absolue de la politique; qu'un juge ne doit jamais voir que la loi et l'équité, et frapper ou absoudre, suivant qu'elles commandent l'une ou l'autre de ces deux actions. Enfin, un des membres de l'assemblée, entraîné toujours par les considérations poli

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tiques que je rapportais tout-à-l'heure, et que la conscience d'un magistrat de cet ordre ne doit cependant pas admettre, proposa de déclarer Moreau coupable, mais excusable, et de lui appliquer quelques mois de prison. La majorité se rallia à cet avis, qui devint la base du jugement.

La condamnation à mort de Moreau eût été indubitablement le signal d'une révolte générale. On assure que la plupart des personnes qui composaient l'auditoire du tribunal criminel et spécial, avaient des armes cachées sous leurs habits. Plus de cinquante mille habitans de Paris erraient autour du palais, dans une agitation violente, et en laissant même échapper, de temps en temps, des menaces. Les soldats, de leur côté, ne semblaient pas disposés à abandonner leur général aux bourreaux. Il était quatre heures du matin' quand on prononça le jugement. Toute cette foule se dispersa, en criant avec joie: il est sauvé! il est sauvé! Bonaparte crut même qu'il était dangereux de laisser subir, à ce nouveau Bélisaire, ses deux années de prison. Il l'exila indéfiniment en Amérique, et le fit partir sur-le-champ pour cette contrée lointaine, ayant encore soin que, dans l'exé cution de cet ostracisme, le général Moreau fût traité avec les égards convenables.

Bonaparte fit grâce de la peine capitale à plusieurs condamnés; ils furent enfermés: Boudet de Lozier et Armand Gaillard, au château de Bouillon;

le général Lajollais, à Bellegarde; Russillion et Charles d'Hozier, à Lourdes; Rochelle, au château d'If; de Rivière, au château de Joux; Armand de Polignac, avec son frère Jules, au château de Ham. Les autres périrent sur l'échafaud le 25 juin.

Le gouvernement consulaire publia l'entreprise des royalistes vers le milieu du mois de février, et le 14 marsil fit saisir le duc d'Enghien au château d'Etteinheim: de ces deux circonstances, et d'un des principaux chefs d'accusation avancés contre le duc dans son procès, ne peut-on pas conclure qu'il était le prince français qui devait paraître à une certaine époque, à Paris, au milieu de ces royalistes ? Le gouvernement consulaire n'aura point alors osé produire le prince devant le peuple, de peur que sa présence, jointe à celle de Pichegru et de Moreau, n'amenât une révolution, en faisant reconnaître comme grande dans son but et noble dans ses moyens, une entreprise qu'il ne voulait donner que pour un misérable coup de tête qui devait aboutir uniquement au meurtre du premier consul. Il aura donc disjoint la cause, et fait périr obscurément le chef de l'entreprise dans les fossés du château de Vincennes, tandis qu'il se préparait à faire juger avec éclat au sein de la capitale, ceux qui devaient agir sous ses ordres. Cette conjecture a beaucoup de vraisemblance, et elle satisfait bien mieux l'esprit que l'idée que Bonaparte, en faisant périr le duc d'Enghien, n'ait songé qu'à donner un gage de ses principes

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