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qui s'y présentait tous les jours, pour le voir aller à l'audience et en revenir; et lorsqu'il passait, personne ne prenait la peine de cacher les sentimens que sa présence faisait éprouver. Les soldats, rangés en haie pour contenir le peuple, présentaient les armes au général proscrit, comme s'il les eft encore commandés. Des officiers, des généraux ne quittaient pas le tribunal. On en vit plusieurs mettre la main sur leurs sabres, et lui dire, chaque fois qu'il fut à portée de les entendre : « Camarade, ne crains rien; nous avons juré sur nos sabres, de défendre tes jours. » On mettait d'autant plus d'acharnement à témoigner l'intérêt que l'on prenait à cet illustre accusé, que Pichegru, depuis peu de jours, avait été trouvé étranglé dans sa prison, et qu'attribuant cette mort au gouvernement, qui la présentait, lui, comme un suicide, on voulait l'empêcher, en l'effrayant, d'avoir recours à un pareil moyen contre Moreau. Révolté un jour de l'importance que l'on cherchait à attacher aux accusations vagues et insignifiantes qu'on lui intentait, il s'écria avec chaleur: « Comme, depuis dix ans que j'ai fait la guerre, il ne m'est pas arrivé de faire des choses ridicules, on voudra bien croire que je n'ai pas fait celle-là. » L'impression de ces paroles, sur l'auditoire, fut terrible. De vifs applaudissemens partirent à la fois de toutes les parties de la salle, et les gardes eux-mêmes déposèrent un moment leurs armes, pour applaudir.

1804. C'est au sortir de cette séance mémorable, que Georges Cadoudal dit, assure-t-on : A la place du général Moreau, j'irais coucher ce soir aux Tuileries. Il est certain qu'après cela il eût fallu bien peu de chose pour amener un grand mouvement, dont les suites eussent pu être incalculables.

Avant de laisser parler son avocat, le général adressa encore le discours suivant aux juges :

<< MESSIEURS,

> En me présentant devant vous, je demande à être entendu moi-même. Ma confiance dans les défenseurs que j'ai choisis est entière; je leur ai livré sans réserve le soin de défendre mon innocence ; ce n'est que par leur voix que je veux parler à la justice: mais je sens le besoin de parler moi-même et à vous et à la nation.

>>> Des circonstances malheureuses, produites par le hasard ou préparées par la haine, peuvent obscurcir quelques instans de la vie du plus honnête homme. Avec beaucoup d'adresse un criminel peut éloigner de lui et les soupçons et les preuves de son crime. Une vie entière est le plus sûr témoignage qu'on puisse appeler pour ou contre un accusé.

» C'est donc ma vie entière que j'oppose aux accusateurs qui me poursuivent. Elle a été assez publique pour être connue ; je n'en rappellerai que quelques époques, et les témoins que j'invoquerai sont le peuple français, et les peuples que la France a vaincus,

» J'étais voué à l'étude des lois au commencement de cette révolution qui devait fonder la li berté publique. Elle changea la destination de ma vie : je la vouai aux armes. J'embrassai l'état militaire par respect pour les droits de la nation, et je devins guerrier, parce que j'étais citoyen.

» Je portai ce caractère sous les drapeaux: je l'ai conservé. Plus j'aimais la liberté, plus je fus soumis à la discipline.

» J'avançai rapidement, mais toujours de grade en grade, et sans en franchir aucun. Parvenu au commandement en chef, lorsque la victoire nous faisait avancer au milieu de la nation ennemie, je ne m'appliquai pas moins à faire respecter le caractère de la nation française qu'à faire redouter ses armes. La guerre, sous mes ordres, ne fut un fléau que sur le champ de bataille.

» Du milieu de leurs campagnes ravagées, plus d'une fois les nations ennemies m'ont rendu ce témoignage. Cette conduite, je la croyais aussi propre que nos victoires à faire des conquêtes à la France.

» Dans le temps même où les maximes contraires semblaient prévaloir dans les comités de gouvern ment, cette conduite ne suscita contre moi ni calomnie ni persécution. Aucun nuage ne s'éleva ja-mais autour de ce que j'avais acquis de gloire militaire, jusqu'à cette journée trop fameuse du 18 fructidor.

» Ceux qui firent éclater cette journée avec tant

de rapidité me reprochèrent d'avoir été trop lent à dénoncer un homme dans lequel je ne pouvais voir qu'un frère d'armes, jusqu'au moment où l'évidence des faits et des preuves me ferait voir qu'il était coupable.

» Le directoire, qui connaissait toutes les circonstances de ma conduite, et n'était pas disposé à l'indulgence, ne m'en déclara pas moins irréprochable. Il me donna de l'emploi. Le poste n'était pas brillant; il ne tarda pas à le devenir.

>> J'ose croire que la nation n'a point oublié avec quel dévouement facile on me vit combattre en Italie dans des postes' subalternes; comment je fus reporté au commandement en chef par les revers de nos armées, et comment j'en déposai le commandement, pour aller en prendre un d'une plus grande confiance.

>> Je n'étais pas, à cette époque de ma vie, plus républicain que dans toutes les autres : je le párus davantage. Je vis se porter sur moi d'une manière plus particulière les regards et la confiance de ceux qui étaient en possession d'imprimer des mouvemens et des directions à la république.

» On me proposa de me mettre à la tête d'une journée à peu près semblable à celle du 18 brumaire. Mon ambition, si j'en avais eu beaucoup 5 pouvait facilement ou se couvrir de toutes les apparences, ou s'honorer de tous les sentimens de l'amour de la patrie.

» La proposition m'était faite par des hommes célèbres dans la révolution par leur patriotisme, et dans nos assemblées nationales par leurs talens ; je la refusai: je me croyais fait pour commander aux armées, et ne voulais point commander à la république.

» Le 18 brumaire arriva, et j'étais à Paris. Cette révolution, provoquée par d'autres que par moi, ne pouvait en rien alarmer ma conscience. Dirigée par un homme environné d'une grande gloire, elle pouvait avoir d'heureux résultats. J'y entrai pour la seconder, tandis que d'autres partis me pressaient de me metttre à leur tête pour la combattre. Je reçus dans Paris les ordres du général Buonaparte. En les faisant exécuter, je concourus à l'élever à ce haut degré de puissance que les conjonctures rendaient nécessaire.

» Lorsqu'il m'offrit le commandement en chef de l'armée du Rhin, je l'acceptai de lui avec autant de dévouement que de la république elle-même. Jamais mes succès militaires ne furent plus rapides et plus décisifs, et leur éclat se répandait sur le gouvernement qui m'accuse.

» Au retour de tant de succès, dont le plus grand de tous était d'avoir assuré la paix du continent, le soldatentendait les cris éclatans de la reconnaissance nationale.

$ Quel moment pour conspirer, si un tel dessein avait pu jamais entrer dans mon âme ! On connaît

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