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de leur opinion, que clairvoyans, s'étaient obstinés, jusque-là, à voir dans Bonaparte un homme qui se préparait secrètement les moyens de jouer en France le rôle que Monck avait joué en Anglererre. Cette entreprise, plus horrible peut-être que celle de Cromwel, en ce que Charles Ier, se trouvait sur le chemin de Cromwel, et que le duc d'Enghien n'était pas sur celui de Bonaparte, leur ouvrit tout d'un coup les yeux, comme le consulat à vie avait soudainement tiré de leur erreur ceux des républicains qui voulaient deviner dans le premier consul décennaire, un Camille et un Cincin

natus.

pas

Une autre affaire, se liant peut-être à celle-ci, avait éclaté vers la fin du moins précédent. Un certain nombre d'émigrés s'étaient introduits en France, réservés à tenter le rétablissement du roi. N'agissant pas d'un mouvement spontané, et obéissant aveuglément à des ordres tels que ceux qu'un chef peut donner à des militaires, il paraît qu'ils n'avaient de plan à arrêter entre eux pour le grand coup d'état, dont ils devaient être les instrumens ; qu'envoyés seulement à Paris, ils savaient qu'ils y seraient joints à une certaine époque par un prince français non désigné, dont ils recevraient des ordres. Ils croyaient que la première opération que ces ordres prescriraient à une partie d'entre eux, serait d'enlever le premier consul, et de le transporter en Angleterre.

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Dans le nombre de ces émigrés se trouvait le général Pichegru, sur lequel on comptait sans doute pour gagner une partie des troupes républicaines et commander celles qui embrasseraient la cause du roi. Nos lecteurs ont vu plus haut comment, dans la journée du 4 septembre, cet officier, membre du corps législatif, avait été proscrit et condamné à être déporté à la Guyanne. Il y fut réellement transporté; mais au bout de quelque temps de captivité, il était parvenu à s'en échapper avec quelques-uns de ses compagnons d'infortune, à l'aide d'une pirogue que leur avait fournie le capitaine d'un-navire américain. Accueilli dans la colonie hollandaise de Surinam, de là il s'était rendu en Angleterre, où il avait fait acte de soumission envers les princes français.

Arrivé à Paris, il chercha à voir, et vit effectivement le général Moreau, bien plus important encore que lui par l'excellence de sa réputation militaire, et à cause de l'affection toute particulière que lui portait une grande partie de l'armée française. Ce fut par le fait de ces entrevues, où les choses se poussèrent bien peu avant, que Moreau se trouva impliqué dans la conspiration, et arrêté à son sujet..aunt

La justice et la prudence voulaient cependant que Bonaparte usât de beaucoup de ménagemens dans cette affaire. Moreau n'était coupable, envers le gouvernement de cette époque, que de s'être

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prêté aux ouvertures des conspirateurs, et de ne les avair pas dénoncés, car, d'après les renseignemens même les plus sévères recueillis par la police, il était reconnu qu'il n'avait pris avec eux aucun engagement positif. Bonaparte mu, dit-on, par un sentiment de haine et d'envie contre ce général, qui avait peut-être affecté de vivre éloigné de lui depuis qu'il était à la tête du gouvernement, avait tout d'un coup poussé les choses à l'extrême.

Moreau avait été arrêté et mis au secret, comme les royalistes venus exprès d'Angleterre, et on avait en même temps lu son nom confondu parmi beaucoup d'autres, dans un placard de notoriété publique, portant pour titre : Liste des brigands soudoyés par l'Angleterre, pour assassiner le premier consul.

Quoique s'étant empressé de désavouer, par une lettre adressée à Bonaparte, l'action qu'on lui imputait, Moreau fut traité très-durement dans sa prison. Son frère n'obtint qu'au bout de deux mois, la permission de le voir, et il ne fut accordé qu'un jour par semaine à son épouse; encore les subalternes environnèrent-ils la jouissance de cette permission, de tous les obstacles et de tous les désagrémens qu'elle pouvait avoir. On vit plus d'une fois cette, femme intéréssante sous tous les rapports attendre en plein air, son jeune enfant dans les bras, et au milieu des intempéries d'une saison froide et pluvieuse, le moment où il plairait au concierge de la prison d'en ouvrir les portes.

Cependant ces rigueurs excessives et affectées ne faisaient qu'accroître l'intérêt que le peuple et les militaires avaient montré dès le premier moment pour le général. On s'attroupait dans les environs du lieu où il était détenu, et on y faisait publiquement des vœux pour lui. L'armée, comme preuve de son dévouement à Bonaparte, avait bien demandé que Moreau lui fût livré, pour qu'elle le jugeât elle-même; mais on n'aurait eu garde de déférer à cette demande, qui, suivant toute apparence, était un stratagême inventé pour sauver Moreau, et l'investir peut-être d'une grande autorité.

Le plus remarquable des autres accusés était Georges, l'ancien chef des Morbihannais.

Le procès s'instruisit devant une cour de justice criminelle et spéciale à Paris. On crut, un moment, que l'imprudence que l'on avait faite de comprendre, un peu légèrement, Moreau parmi ceux qu'un tribunal devait juger, allait devenir fatale à Bonaparte. Sa fortune, encore mal affermie, en parut ébranlée. Comment la manière dont on annonça au peuple le soupçon qui planait sur la tête du général, ne suffit-elle pas en effet, à elle seule, sous un gouvernement comme le gouvernement consulaire, pour occasioner une révolte et une révolution complète? Etait-il seulement sage et bienséant de traduire, sur ce soupçon, un homme tel que Moreau devant les cours criminelles? En raisonnant dans le sens de ce temps-là, s'il s'était laissé aller à écouter

les conjurés, car ce fut là tout le crime dont ont put le convaincre, devait-on le traiter avec cette rigueur extrême? En étouffant cette affaire, pour sauver l'honneur du héros qui s'y trouvait impliqué, et lui faisant, de la part qu'il pouvait y avoir prise, un reproche particulier et aussi secret que possible, Bonaparte eût paru le plus grand des hommes, et il n'aurait cependant été que prudent et politique. Il est nécessaire que, relativement au respect et à la soumission qu'il doit au gouvernement, le militaire soit sévèrement tenu, et que ses services, quel'que grands qu'ils puissent être, ne lui semblent pas des brevets d'impunité; mais les chefs publics doivent aussi, dans certaines occasions, le couvrir d'une protection indulgente. S'il est convenable qu'il ne puisse pas espérer cette protection, et que des exemples terribles lui persuadent même qu'il ne saurait jamais l'obtenir, il est convenable aussi qu'il la trouve quand elle lui devient nécessaire; et c'est une action barbare et indigne, que de placer lé– gèrement, sous la hache du bourreau, la tête généreuse qui, pour le salut commun, s'est d'ellemême exposée vingt fois au fer des ennemis de la patrie.

Le procès de Moreau, et le danger auquel il le tenait exposé, devinrent en un moment le sujet.de toutes les conversations, de toutes les inquiétudes. La place, les cours, les salles du Palais de Justice, ne pouvaient contenir la multitude innombrable

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