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Les esprits, dira-t-on, étaient donc bien changés depuis l'admisistration conventionnelle ? Nullement. On commençait seulement à ne plus s'épouvanter de sa raison, et à la laisser percer. Il y avait eu en effet, dans le temps de la convention, un grand nombre de nos compatriotes qui s'étaient crus républicains; mais ils s'apercevaient peu à peu qu'ils s'étaient trompés, et revenaient insensiblement aux anciens principes politiques de la nation, en reprenant ses anciennes habitudes et ses anciens plaisirs. Il semblait que leur republicanisme fi'eût été qu'une humeur noire, une affection hypocondriaque, venue du trop grand sérieux où on les avait tenus: une fois qu'ils purent rire et se divertir comme leurs aïeux, dans les spectacles et les jardins publics, ils abjurèrent la république et ses formes acerbes.

A voir la convention proclamer aussi légèrement la république, le 22 septembre 1792, on aurait cru que l'expérience du caractère et des mœurs de la nation française, avait prouvé que le gouvernement monarchique ne pouvait lui convenir. Cependant cela n'était pas vrai; jamais nation net fut peut-être moins propre à la république. Son exaltation naturelle et son impétuosité la rendent la première de toutes sur un champ de bataille ; elles lui assignent une place bien moins élevée dans une arêne politique. La nation française délibérant toute entière sur les intérêts de l'état, ne prendra

point une résolution sage, parce qu'elle ne pourra pas se condamner à réfléchir assez ; qu'un discours chaloureux l'entraînera trop facilement, et qu'on la trouvera toujours disposée à adopter d'enthousiasme le parti le plus audacieux et l'avis le plus brillant. Chacun de ceux que leurs talens mettront à même de prendre part à la discussion, y apportera d'ailleurs peu de bonne foi: Se faire admirer et vaincre, sera l'ambition insurmontable de la plus grande partie des orateurs; peu auront la conscience de reculer, si on leur démontre qu'ils sont dans la mauvaise route. Quant à la multitude,

par le même sentiment, elle sera toujours prête à combattre pour l'un des deux orateurs qui se disputeront la palme, plutôt qu'à approfondir et à juger leurs communes opinions.

La nation française a besoin d'être conduite par un chef dont l'élévation ne dépende pas d'elle, afin qu'il puisse sans ménagement maîtriser ses passions, et diriger ses moyens vers un but utile : que ce chef ait la fierté de se croire et de vouloir être en effet le roi du premier peuple du monde, et le peuple français n'en laissera passer aucun autre avant lui, car il a tout ce qu'il faut pour primer; génie, courage, industrie. Il est seulement nécessaire qu'il soit dirigé par quelqu'un qui le force à ne rien entreprendre que de possible, à n'avoir qu'autant de courage qu'il en faut, et à employer utilement son industrie. Si le gouvernement n'y

1800. pourvoit adroitement, il n'est point de pays dans lequel les différens états se confondront plus facilement. Tourmenté par son génie, chacun entreprendra plusieurs choses à la fois ou successivement, sans pouvoir s'arrêter à aucune, et finira ainsi par ne parvenir à rien qui soit utile à lui et à sa patrie. Dans son particulier, comme en public, le Français peut être constant; mais il faut l'y contraindre, ou plutôt l'y obliger, car on obtient plus de lui par l'espoir des récompenses que par la crainte des châtimens, par l'honneur que par la force: il s'indigne et rit de pitié à l'aspect d'un échafaud menaçant; l'offre d'une décoration qui lui vaudra

le

port d'armes d'un factionnaire et le respect de ses concitoyens, fera de lui un savant infatigable, un manufacturier inventif, un commerçant probe et industrieux, ou un guerrier intrépide.

La nature, en imposant au Français le besoin d'un chef, lui en a aussi donné le sentiment. L'idée d'une personne quelconque se rattache toujours à ce qu'il fait, et il est rare qu'on ne le trouve pas dévoué à quelqu'un. En l'absence du roi, durant cette domination factieuse qu'on décora du nom de république, il ne tint qu'à plusieurs de nos généraux de s'emparer, par le moyen de leurs soldats, de l'autorité en France: il ne leur aurait fallu pour y parvenir, qu'une volonté ferme de le faire, et de la précision et de l'habileté dans leurs mouvemens; la journée du 18 brumaire en est la preuve.

Plusieurs chefs civils du même temps se trouvèrent dans une position aussi favorable; et aux différentes époques, le nom d'un individu se mêla toujours aux acclamations génériques : on cria long-temps vive le due d'Orléans, avant de crier vive la nation; on le cria en même temps que vive la nation. Mirabeau et Lafayette jouirent du même honneur. Au moment où la liberté était l'idole que l'on encensait, la multitude disait, Pétion ou la mort! et elle cria vive Marat, vive Robespierre, vive Danton, en même temps que vive la république. Pendant notre révolution, nous eussions eu plus d'un Marius et plus d'un Sylla, si les hommes renommés de cette période de notre histoire eussent eu le génie entreprenant ou les talens de Marius et de Sylla. Voilà encore ce qui nous rend peu propres au gouvernement républicain, qui, par le trop d'intérêt que l'on attache chez nous aux hommes qui se rendent célèbres, et la disposition naturelle que l'on se sent à se soumettre à eux, dégénérera toujours en monarchie. Si l'on prend ce mot dans son acception exacte, Pétion, Danton, Marat, Robespierre ont véritablement régné tour à tour chez nous pendant notre république : ils n'ont pas eu le titre de dictateurs, mais ils l'ont été de fait; et si nous n'avions craint que l'on nous chicanât sur les marques extérieures de l'autorité, et le caractère des personnages, nous allions dire tout à l'heure que ç'avait été là nos Marius et nos Sylla. Pour

leur organisation morale, au courage près, Danton et Marat pouvaient bien se comparer à Marius; ils en avaient la férocité brutale et même la figure hideuse. Sylla montra de la grandeur, et nous ne croyons pas que Robespierre en eût dans l'âme; mais quant au genre de vie, à la tenue, il y eut peut-être plus de ressemblance entre ces deux hommes, qu'on n'y en verrait au premier coup d'œil. Robespierre aurait peut-être fini par faire renoncer nos prétendus républicains à leur saleté : il dominait par les sansculottes, et parlait en leur nom; mais s'habillait-il et se coiffait-il comme eux?

Quelque réforme que les dominateurs de 1793 aient voulu établir sur ce point, notre penchant pour le luxe, pour une vie aisée, est encore une des raisons qui repousseront toujours loin de nous le gouvernement républicain. Chez un peuple ainsi formé par la nature, la corruption a trop de prise, et les affaires publiques n'ont pas assez d'importance. Il est beaucoup d'entre nous qui chaque jour saerifient leurs intérêts particuliers les plus chers, à leurs jouissances, à leurs plaisirs; comment exigerait-on d'eux avec succès qu'ils s'occupassent exclusivement du gouvernement de l'état? Nous faisons merveille quand, dans une partie quelconque de ce gouvernement, on nous donne des fonctions fixes qui n'emploient qu'une partie de notre temps : nous ne saurions constamment avoir l'esprit tendu vers l'administration de l'empire en général, ainsi

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