en ressentait. Oui, je souffre, lui dit-il dans un épanchement intime, mais les souffrances que j'endure ne sont rien auprès d'une qui les surpasse toutes! Finir ma carrière en signant un traité où e n'ai pas pu stipuler un seul intérêt général, pas même un seul intérêt moral, comme la conservation de nos couleurs ou le maintien de la Légion d'honneur! Signer un traité où l'on me donne de l'argent! Ah! Caulaincourt, s'il n'y avait là mon fils, ma femme, ma mère, mes sœurs, mes frères, Joséphine, Eugène, Hortense, je déchirerais ce traité en mille pièces!... Ah! si mes géné raux, qui ont eu tant de courage et si longtemps, en avaient eu deux heures de plus, j'aurais changé les destinées... Si même ce misérable Sénat qui, moi écarté, n'a aucune force personnelle pour négocier, ne s'était mis à ma place, s'il m'eût laissé stipuler pour la France, avec la force qui me restait, avec la crainte que j'inspirais encore, j'aurais tiré un autre parti de notre défaite. J'aurais obtenu quelque chose pour la France, et puis je me serais plongé dans l'oubli... Mais laisser la France si petite, après l'avoir reçue si grande !... quelle douleur!.... Oubliant que la constance dans l'adversité est l'épreuve des grandes âmes et que la mauvaise fortune a des retours aussi prompts que la bonne, Napoléon conçut le dessein, assurément peu digne de lui, de terminer ses jours. Il demanda au poison la mort qu'il avait bravée tant de fois sur les champs de bataille. Sa forte nature triompha du breuvage empoisonné! Après d'atroces souffrances, revenu à lui, il envisagea l'avenir d'un œil calme et résigné. Les affections de famille dont son cœur avait soif lui parurent préférables aux agitations et aux déboires de la vie publique. Il se proposa d'écrire dans le silence de sa retraite les merveilleux récits de l'épopée de son règne. Cette idée le ravissait. Elle ouvrait à son génie une nouvelle sphère d'activité et procurait un noble aliment à cette passion de la gloire qui avait été le but constant de sa vie. Quand tout fut prêt pour le départ, il réunit dans la cour du palais sa vieille garde et lui adressa ces paroles que l'histoire a conservées : « Officiers, sous-officiers et soldats de ma veille garde, je vous fais mes adieux! Depuis vingt ans je vous ai constamment trouvés sur le chemin de l'honneur et de la gloire. Dans ces derniers temps comme dans ceux de notre prospérité, vous n'avez cessé d'être des modèles de fidélité et de bravoure. <«<Avec des hommes tels que vous, notre cause n'était pas perdue! Mais la guerre était interminable; c'eût été la guerre civile, et la France en fût devenue plus malheureuse. J'ai donc sacrifié nos intérêts à ceux de la patrie. Je pars! Vous, mes amis, continuez de servir la France. Son bonheur était mon unique pensée; il sera toujours l'objet de mes vœux. << Ne plaignez pas mon sort. Si j'ai consenti à me survivre, c'est pour votre gloire. Je veux écrire les grandes choses que nous avons faites ensemble!... Adieu, mes enfants! je voudrais vous presser tous sur mon cœur! Que j'embrasse au moins votre général, votre drapeau! >> Le généra! Petit s'avança en portant l'aigle. Napoléon le tint serré dans ses bras au milieu des cris et des sanglots de tous les assistants. Les étrangers eux-mêmes furent attendris. Le commissaire anglais, le colonel Campbell, fondait en larmes. Napoléon se jeta dans sa voiture le cœur brisé d'émotion. Parti de Fontainebleau le 20 avril, il s'embarqua le 28 au golfe de Saint-Raphaël sur une frégate anglaise et mouilla le 3 mai dans la rade de PortoFerrajo. FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE. TABLE DES MATIÈRES CONTENUES Dans la première partie. 1814. Avant-propos.Formation successive de la coalition de 1813. ---- - - L'Europe entière armée contre la France. Funeste - |