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cute. Tout homme peut rêver la conquête du monde: Alexandre seul l'accomplit. Buonaparté gouvernait l'Espagne comme une province dont il pompait le sang et l'or. Il ne se contente pas de cela; il veut encore regner personnellement sur le trône de Charles IV. Que fait-il alors? Par la politique la plus noire, il seme d'abord des germes de division dans la famille royale; ensuite il enleve cette famille, au mépris de toutes les lois hu maines et divines; il envahit subitement le territoire d'un peuple fidele qui venait de combattre pour lui à Trafalgar. Il insulte au génie de ce peuple, massacre ses prêtres, blesse l'orgueil cas tillan, souleve contre lui les descendants du Cid et du Grand Capitaine. Aussitôt Sarragosse célebre la messe de ses propres funérailles, et s'ensevelit sous ses ruines; les chrétiens de Pélage descendent des Asturies: le nouveau Maure est chassé. guerre ranime en Europe l'esprit des peuples, donne à la France une frontiere de plus à défendre, crée une armée de terre aux Anglais, les ramene, après quatre siecles, dans les champs de Poitiers, et leur livre les trésors du Mexique.

Cette

Si au lieu d'avoir recours à' ces ruses dignes de Borgia, Buonaparté, par une politique toujours criminelle, mais plus habile, eût, sous un prétexte quelconque, déclaré la guerre au roi d'Espagne; s'il se fût annoncé comme le vengeur des Castillans opprimés par le Prince de la Paix ; s'il eût caressé la fierté Espagnole, ménagé les Ordres religieux; il est probable qu'il eût réussi. "Ce ne sont pas les espagnols que je veux, disait-il dans sa fureur, c'est l'Espague." Eh bien; cette terre l'a rejeté. L'incendie de Burgos a produit l'incendie de Moscou, et la conquête de l'Allhambra a amené les Russes au Louvre. Grande et terrible leçon !

Même faute pour la Russie: au mois d'Octobre 1812, s'il s'était arrêté sur les bords de la Duina; s'il se fût contenté de prendre Riga, de cantouner pendant l'hiver son armée de six cent mille hommes, d'organiser la Pologne derriere lui; au retour du printemps, il eut peut-être mis en péril l'empire des czars. Au lieu de cela il marche à Moscou parun seul chemin, sans magasins, sans ressources. Il arrive: les vain queurs de Pultava embrasent leur Ville Sainte. Buonaparté s'endort un mois au milieu des ruines et des cendres. Il semble oublier le retour des saisons et la rigueur du climat il se laisse amuser par des propositions de paix; il ignore assezle cœur humain pourcroire que des peuples qui ont eux-mêmes brûlé leur capitale, afin d'échapper à l'esclavage, vont capituler sur les ruines fumantes de leurs maisons. Ses généraux lui crient qu'il est temps de se retirer. Il part, jurant comme un enfaut furieux, qu'il reparaîtra bientôt avec une armée dont l'avant-garde seule, sera composée de trois cent mille soldats. Dieu envoie un souffle de sa colere; tout périt: il ne nous revient qu'un homme!

Absurde en administration, criminel en politique, qu'avait

il donc pour séduire les Français cet étranger? Sa gloire militaire, Eh bien, il en est dépouillé. C'est en effet un grand gagneur de batailles; mais hors de là, le moindre général est plus habile que lui. Il n'entend rien aux retraites et à la chicane du terrain; il est impatient, incapable d'attendre long-temps un résultat, fruit d'une longue combinaison militaire; il ne sait qu'aller en avant, faire des pointes, courir, remporter des victoires, comme on l'a dit, à coups d'hommes, sacrifier tout pour un succès, sans s'embarrasser d'un revers, tuer la moitié de ses soldats par des marches au-dessus des forces humaines. Peu importe: n'a t-il pas la conscription et la matiere premiere? On a cru qu'il avait perfectionné l'art de la guerre, et il est certain qu'il l'a fait rétrograder vers l'enfance de l'art. Le chefd'œuvre de l'art militaire chez les peuples civilisés, c'est évidemment de défendre un grand pays avec une petite armée; de laisser reposer plusieurs milliers d'hommes derriere soixante ou quatre-vingt mille soldats; de sorte que le laboureur qui cultive en paix son sillon, sait à peine qu'on se bat à quelques lieues de sa chaumiere. L'empire romain était gardé par cent cinquante mille hommes, et César n'avoit que quelques légions à Pharsale. Qu'il nous défende donc aujourd'hui dans nos foyers, ce vainqueur du monde? Quoi! tout son génie l'a-t-il soudainement abandonné! Par quel enchantement cette France que Louis XIV avait environnée de forteresses, que Vauban avait fermée comme un beau jardin, est-elle envahie de toutes parts. Où sont les garnisons de ses places frontieres? Il n'y en a point. Où sont les canons de ses remparts? Tout est désarmé, même les vaisseaux de Brest, de Toulon et de Rochefort. Si Buonaparté eût voulu nous livrer sans défense aux puissances coalisées, s'il nous eût vendus, s'il eût conspiré secretement contre les Français, eût-il agi autrement. En moins de seize mois deux milliards de numéraire, quatorze cent mille hommes, tout le matériel de nos armées et de nos places sont engloutis dans les bois de l'Allemagne et dans la Russie. A Dresde Buonaparté commet fautes sur fautes; oubliant que si les crimes ne sont quelquefois punis que dans l'autre monde, les fautes le sont toujours dans celui-ci. Il montre l'ignorance la plus incompréhensible de ce qui se passe dans les cabinets, s'obstine à rester sur l'Elbe, est battu à Leipsick, et refuse une paix honorable qu'on lui propose. Plein de désespoir et de rage il sort pour la derniere fois du palais de nos rois, va brûler, par un esprit de justice et d'ingratitude, le village où ces mêmes rois eurent le malheur de le nourrir, n'oppose aux ennemis qu'une activité sans plan, éprouve un dernier revers, fuit encore, et delivre enfin la capitale du monde civilisé de sou odieuse présence.

La plume d'un Français se refuserait à peindre l'horreur de ses champs de bataille; un homme blessé devient pour Buonaparté un-fardeau; tant mieux s'il meurt, on en est débarrassé.

Des monceaux de soldats mutilés, jetés pêle-mêle dans un coin, restent quelquefois des jours et des semaines sans être pansés: il n'y a plus d'hôpitaux assez vastes pour contenir les malades d'une armée de sept ou huit cent mille hommes, plus assez de chirurgiens pour les soigner. Nulle précaution prise pour eux

par le bourreau des Français: point de pharmacie, point d'ambulance, quelquefois même pas d'instruments pour couper les membres fracassés. Dans la campagne de Moscou, fante de charpie on pansait les blessés avec du foin. Le foin manqua, ils moururent. On vit errer six cent mille guerriers, vainqueurs de l'Europe, la gloire de la France; on les vit errer parmi les neiges et les déserts, s'appuyant sur des branches de pin, car ils n'avaient plus la force de porter leurs armes, et couverts pour tout vêtement de la pean sanglante des chevaux qui avaient servi à leur dernier repas. De vieux capitaines, les cheveux et la barbe hérissés de glaçons, s'abaissaient jusqu'à caresser le soldat à qui il était resté quelque nourriture, pour en obtenir une chétive partie : tant ils éprouvaient les tourments de la faim! Des escadrons entiers, hommes et chevaux, étaient gelés pendant la nuit; et le matin on voyait encore ces fantômes debout au milieu des frimats. Les seuls témoins des souffrances de nos soldats dans ces solitudes, étaient des bandes de corbeaux et de lévriers blancs demi-sauvages, qui suivaient notre armée pour en dévorer les débris. L'Empereur de Russie a fait faire au printemps la recherche des morts: on en a compté plus de cent soixante mille cadavres ; dans un seul bûcher, on en a brûlé vingt-quatre mille. La peste militaire, qui avait disparu depuis que la guerre ne se faisait plus qu'avec un petit nombre d'hommes, cette peste a reparu avec la couscription, les armées d'un million de soldats et des flots de sang humain. Et que faisait le destructeur de nos peres, de nos freres, de nos fils, quand il moissonnait ainsi la fleur de la France? Il fuyait! Il venait aux Tuileries dire, en se frottant les mains au coin du feu : -Il fait meilleur ici que sur les bords de la Bérésina. Pas un mot de consolation aux épouses, aux meres en larmes dont il était entouré; pas un regret, pas un mouvement d'attendrissement, pas un remords, pas un seul aveu de sa folie. Les Tigellins disaient: "Ce qu'il y a d'heureux dans cette retraite, "c'est que l'Empereur n'a manqué de rien; il a toujours été "bien nourri, bien enveloppé dans une bonne voiture; enfin il "n'a pas du tout souffert, c'est une grande consolation;" Et lui, au milieu de sa cour, paraissait gai, triomphant, glorieux, paré du manteau royal, la tête couverte du chapeau à la Henri İV; il s'étalait brillant sur un trône, répétant les attitudes royales que Talma lui avait enseignées; mais cette pompe ne servait qu'à le rendre plus hideux; et tous les diamants de la couronne ne pouvaient cacher le sang dont il était couvert.

Hélas! cette horreur des champs de bataille s'est rappro

chée de nous; elle n'est plus cachée dans les déserts; c'est au sein de nos foyers que nous la voyons, dans ce Paris que les Normands assiégerent en vain, il y a près de mille ans, et qui s'enorgueillissait de n'avoir eu pour vainqueur que ce Clovis qui devint son Roi. Livrer un pays à l'invasion, n'est-ce pas le plus grand et le plus irrémissible des crimes? Nous avons vu périr sous nos propres yeux le reste de nos générations; nous avons vu des troupeaux de conscrits, d'anciens soldats pâles et défigurés, s'appuyer sur les bornes des rues, mourant de toutes les sortes de misere, tenant à peine d'une main l'arme avec laquelle ils avaient défendu la patrie, et demandant l'aumône de l'autre main; nous avons vu la Seine couverte de barques, nós chemins encombrés de chariots remplis de blessés qui n'avaient pas même le premier appareil sur leurs plaies. Un de ces chars que l'on suivait à la trace du sang, se brisa sur le boulevard. Il en tomba des conscrits sans bras, sans jambes, percés de balles, de coups de lances, jetant des cris et priant les passants de les achever. Ces malheureux enlevés à leurs chaumieres avant d'être parvenus à l'âge d'homme, menés avec leurs bonnets et leurs habits champêtres sur le champ de bataille, placés comme chair à canon, dans les endroits les plus dangereux pour épuiser le feu de l'ennemi; ces infortunés, dis-je, se prenaient à pleurer, et criaient en tombant frappés par le boulet: Ah! ma mere! ma mere! cri déchirant qui accusait l'âge tendre de l'enfant arraché la veille à la paix domestique; de l'enfant tombé tout à coup des mains de sa mere dans celles de son barbare souverain! Et pour qui tant de massacres, tant de douleurs? Pour un abominable tyrau, pour un Corse, pour un étrauger qui n'est si prodigue du sang français, que parce qu'il n'a pas une goutte de ce sang dans les veines.

Ah! quand Louis XVI refusait de punir quelques coupables dont la mort lui eût assuré le trône, en nous épargnant à nous-mêmes tant de malheurs; quand il disait : "Je ne veux

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pas acheter ma sûreté au prix de la vie d'un seul de mes su"jets." Quand il écrivait dans son testament: "Je recom"mande à mon fils, s'il a le malheur de devenir roi, de songer "qu'il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu'il "doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément

ce qui a rapport aux malheurs et aux chagrins que j'éprouve; "qu'il ne peut faire le bonheur des peuples qu'en régnant "suivant les lois." Quand il prononçait sur l'échafaud ces paroles : "Français, je prie Dieu qu'il ne venge pas sur la nation le sang de vos rois qui va être répandu." Voilà le véritable roi, le roi français, le roi légitime, le pere et le chef de la patrie!

Buonaparté s'est montré trop médiocre dans l'infortune pour croire que sa prospérité fût l'ouvrage de son génie ; il n'est que le fils de notre puissance, et nous l'avons cru le fils de ses

œuvres. Sa grandeur n'est venue que des forces immenses que nous lui remimes entre les mains, lors de son élévation. Il hérita de toutes les armées formées sous nos plus habiles généraux, conduites tant de fois à la victoire par tous ces grands capitaines qui ont péri et qui périront peut-être jusqu'au dernier, victimes des fureurs et de la jalousie du tyran. Il trouva un peuple nombreux, agrandi par des couquêtes, exalté par des triomphes et par le mouvement que donnent toujours les révolutions; il n'eut qu'à frapper du pied la terre féconde de notre patrie, et elle lui prodigua des trésors et des soldats. Les peuples qu'il attaquait étaient lassés et désunis: il les vainquit tour-a-tour, en versant sur chacun d'eux séparément, les flots de la population de la France..

Lorsque Dieu envoie sur la terre les exécuteurs des châtiments célestes, tout est aplani devant eux: ils ont des succès extraordinaires avec des talents médiocres; nés au milieu des discordes civiles, ces exterminateurs tirent leurs principales forces des maux qui les ont enfantés, et de la terreur qu'inspire le souvenir de ces maux: ils obtiennent ainsi la soumission du peuple, au nom des calamités dont ils sont sortis. Il leur est donné de corrompre et d'avilir, d'anéantir l'honueur, de dégrader les âmes, de souiller tout ce qu'ils touchent, de tout vouloir et de tout oser, de régner par le mensonge, l'impiété et l'épouvante, de parler tous les langages, de fasciner tous les yeux, de tromper jusqu'à la raison, de se faire passer pour de vastes génies lorsqu'ils ne sont que des scélérats vulgaires, car l'excellence en tout ne peut être séparée de la vertu; traînant après eux les nations séduites, triomphants par la multitude, déshonorés par cent victoires, la torche à la main, les pieds dans le sang, ils vont au bout de la terre comme des hommes ivres, poussés par Dieu qu'ils méconnaissent.

Lorsque la Providence au contraire veut sauver un empire et non le punir; lorsqu'elle emploie ses serviteurs et non ses fléaux; qu'elle destine aux hommes dont elle se sert une gloire honorable, et une nou abominable renommée; loiu de leur rendre la route facile comme à Buonaparté, elle leur oppose des obstacles dignes de leurs vertus. C'est ainsi que l'on peut toujours distinguer le tyran du libérateur, le ravageur des peuples du grand capitaine, l'homme envoyé pour détruire, et l'homme venu pour réparer. Celui-là est maître de tout, et se sert pour réussir de moyens immenses; celui-ci n'est maître de rien, et n'a entre les mains que les plus faibles ressources: il est aisé de reconnaître aux premiers traits et le caractere et la mission dụ dévastateur de la France,

Buonaparté est un faux grand homme: la magnanimité qui fait les héros et les véritables rois, lui manque. De là vient qu'on ne cite pas de lui un seul de ces mots qui annoncent Alexandre et César, Henri IV et Louis XIV. "La nature le VOL. XLV.

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