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RAPPORT du ministre des relations extérieures à S. M. l'Empereur et Roi.

SIRE,

Une quatrième coalition s'est formée. En moins d'un mois elle a été confondue. En moins d'un mois la Prusse a vu son armée, ses places fortes, sa capitale et ses provinces tombées au pouvoir de V. M., et maintenant elle implore la paix.

Dans les coalitions précédentes, chaque ennemi de la France, dès qu'il était vaincu, demandait et obtenait la paix. On espérait que des paix particulières et successives conduiraient à une paix générale, honorable et sûre. Trois fois cette espérance a été déçue; trois fois l'expérience a prouvé qu'en suivant le même systême de modération et de générosité, la Fiance serait constamment trompée. Chaque coalition détruite a enfanté une nouvelle coalition, et la France a été menacée d'une guerre éternelle.

L'Empire français est parvenu à un degré de puissance et de grandeur que V. M. n'ambitionnait pas. Attaquée de toutes parts avec une fureur sans exemple, et placée dans l'alternative de périr ou de vaincre, la France n'a combattu que pour son salut, et, victorieuse, elle ne s'est servie de la victoire que pour faire éclater sa modération. Elle n'a point détruit ceux qui la voulaient détruire; elle avait fait d'immenses conquêtes, elle n'en a gardé qu'un petit nombre; elle en aurait encore moins gardé si les aveugles passions qui rugissaient autour d'elle, ne l'eussent pas mise dans la nécessité de s'agrandir pour se préserver. Aujourd'hui qu'elle est attaquée pour la quatrième fois avec le mème esprit de haine et dans les mêmes vues de destruction, V. M. n'a d'autre but que de recouvrer ce qui est indispensable à la prospérité de son peuple. Mais c'est un but qu'elle ne saurait atteindre qu'en profitant de toute la grandeur de ses avantages, et en se réservant ses conquêtes comme objets de compensation dans les arrange mens de la paix générale.

Deux puissances ennemies du repos de l'Europe se sont unies pour y perpétuer la discorde et la guerre. Les objets de leur ambition sont différens, mais une même haine les anime contre la France, parce qu'elles savent que la France ne peut cesser de s'opposer à l'accomplissement de leurs pernicieux desseins. Occupés sans cesse à lui chercher, à lui susciter des ennemis, elles emploient à cet effet tous les genres d'artifices et d'intrigues, les menaces, les caresses, la corruption, la calomnie; et quand elles aspirent à tout envahir, à tout opprimer, à tout asservir, c'est la France qu'elles accusent d'y prétendre.

L'Angleterre tend à naviguer exclusivement sur les mers. Elle s'arroge le monopole de tous les commerces et de toutes les industries, et toutes les fois que l'irrésistible force des événemens a obligé la France d'intervenir dans les affaires des petits Etats ses voisins, et d'y intervenir pour leur repos, l'Angleterre a donné le signal des accusations et des plaintes. La première elle a sonné l'alarme, et parce que quelques villes ou quelques pays soumis depuis des siècles à l'influence de la France, y étaient encore soumis, elle a présenté la France comme menaçant l'indépendance des grands Elats. Elait-ce sur des petits Etats, qui fussent soumis depuis des siècles à son influence, et comme entraînés dans sa sphère d'activité? n'était-ce pas au contraire sur des Etats considérés dans tous les temps comme principaux en Europe, que l'Angleterre exerça ses violences, lorsque les puissances du Nord, qui s'étaient unies pour défendre les principes éternels de la neutralité, furent forcées de souscrire à ses prétentions monstrueuses, et de sacrifier, avec leurs propres intérêts, les plus chers intérêts de la France? Alors l'indépendance des nations ne fut pas seulement menacée; elle fut attaquée, violée, et, autant qu'il dépendait de l'Angleterre, anéantie. De quoi servit-il que l'Angleterre eût été obligée de reconnaître, par la convention de Pétersbourg, un petit nombre de principes que, ni ses séductions, ni ses menaces n'avaient pu faire abandonner? Immédiatement après, elle les foula ouvertement aux pieds, ou les éluda, en abusant, de la manière la plus tyrannique

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à-la-fois et la plus insensée, du droit de blocus. Ce droit ne peut, d'après la raison et d'après les traités, s'appliquer qu'aux places investies et en danger d'ètre prises. Elle prétendit l'étendre aux havres, à l'embouchure des rivières, à des côtes entières, et enfin à tout un Empire. Certes, la France ne fut jamais investie et en danger d'être prise par l'Angleterre, et la France toute entière a été déclarée en état de blocus. En agissant de la sorte, l'Angleterre n'annonce-t-elle pas hautement qu'elle ne reconnaît aucune loi; que les traités ne sont rien pour elle, qu'elle n'admet d'autre droit que celui de la force; et qu'elle répute légitime tout ce qu'elle peut impunément faire.

Le gouvernement de Russie, quand il devrait être occupé uniquement de vivifier ses immenses Etats, et d'expier par les bienfaits d'une sage législation, et d'une administration paternelle, le crime qui fit en un jour descendre du rang des nations indépendantes une nation ancienne, nombreuse, illustre et digne d'un meilleur sort, convoite et menace d'engloutir encore le vaste et superbe Empire des Ottomans. Les mêmes manœuvres qu'il employa contre la Pologne, il les emploie aujourd'hui contre la Turquie. Il souffle dans ses provinces l'esprit de sédition et de révolte. Il excite, il arme, il soutient les Serviens contre la Porte. Il renouvelle sur la Morée les tentatives qu'il avait faites, mais sans fruit, en 1778. La Valachie et la Moldavie étaient gouvernées par deux chefs infidèles et traîtres; la Porte les avait déclarés tels par un firman, et les avait déposés. La Russie, non-contente de leur donner asyle, a fait marcher des troupes sur le Dniester, et, menaçant la Porte de lui déclarer la guerre, elle a exigé leur rétablissement. La Porte a eu la douleur de se voir contrainte de remettre en place ses ennemis déclarés, et de déposer les hommes de son choix. Ainsi son indépendance a été violée par un attentat qui blesse à-la-fois la dignité de tous les trônes. Du moment qu'elle n'a plus le choix de ses gouverneurs, elle n'est plus souveraine, elle est vassale, ou plutôt la Valachie et la Moldavie ne lui appartiennent plus que de nom; et ces deux grandes et riches provinces, gouvernées par des

hommes vendus à la Russie, sont devenues pour celle-ci une véritable conquête.

Avec de tels ennemis, dont la modération de V. M. n'a pu désarmer la haine, et qui, nonobstant ses victoires, marchent toujours à leur but, n'écoutant que leur passion, et ne respectant aucun droit, V. M. n'est pas libre de suivre. les mouvemens de sa générosité. Le penchant même qui la porte à desirer la paix lui fait une loi de ne se dessaisir d'aucune de ses conquêtes que l'indépendance entière et absolue de l'Empire ottoman, indépendance qui est le premier intérêt de la France, ne soit reconnue et garantie; que les colonies espagnoles, hollandaises et françaises, dont la diversion opérée par les quatre coalitions a seule entraîné la perte, ne soient restituées, et qu'un Code général ne soit adopté, conforme à la dignité de toutes les couronnes, et capable d'assurer les droits de toutes les nations sur les

mers.

La justice et la nécessité de cette détermination seront universellement senties; elle sera un bienfait pour les alliés de V. M., et pour toutes les villes commerçantes de son Empire, qui n'ont été dépouillées qu'à la faveur de ces mêmes guerres dont les événemens ont mis au pouvoir de V. M. tant de vastes Etats. Dans tout autre système, les intérêts de ces alliés et de tant de cités populeuses seraient abandonnés, le fruit des plus étonnantes victoires serait perdu, et la France au milieu de triomphes inouis, après tant d'exploits qui l'ont agrandie et comblée de gloire, n'aurait aucune perspective de repos; elle n'entreverrait pas l'époque où elle pourrait déposer les armes, se consacrer aux paisibles occupations de l'industrie et du commerce, auxquelles la nature l'appelle, et faire sur un autre théâtre des conquêtes moins éclatantes, mais plus douces, qu'elle n'aurait point achetées par l'effusion d'un sang qui lui est si cher, et qui égalant son bonheur à sa gloire, ne coûteraient à l'humanité aucunes larmes..

Signé, CH. MAUR. TALLEYRAND, prince de Bénévent.

Berlin, le 15 novembre 1806.

RAPPORT du ministre des relations extérieures à-S. M. [Empereur et Roi.

SIRE,

Trois siècles de civilisation ont donné à l'Europe un droit des gens que, selon l'expression d'un écrivain illustre, la nature humaine ne saurait assez reconnaître.

Ce droit est fondé sur le principe, que les nations doivent se faire : dans la paix le plus de bien, et dans la guerre, le moins de mal qu'il est possible.

D'après la maxime que la guerre n'est point une relation d'homme à homme, mais une relation d'Etat à Etat, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes, non pas même comme membres ou sujets de l'Etat, mais uniquement comme ses défenseurs, le droits des gens ne permet pas que le droit de guerre, et le droit de conquête qui en dérive, s'étendant aux citoyens paisibles, et sans armes, aux habitations et aux propriétés privées, aux marchandises du commerce, aux magasins qui les renferment, aux chariots qui les transportent, aux bâtimens non armés qui les voiturent sur les rivières ou sur les mers, en un mot à la personne et aux biens des particuliers.

Ce droit né de la civilisation en a favorisé les progrès. C'est à lui que l'Europe a été redevable du maintien et de l'accroissement de sa prospérité, au milieu même des guerres fréquentes qui l'ont divisée.

L'Angleterre seule a conservé ou repris les usages des temps barbares. C'est par son refus de renoncer à la course maritime que cette pratique injuste et cruelle a été maintenue malgré la France qui, en temps de paix, et mue uniquement par des idées de justice et d'humanité, avait proposé de l'abolir.

La France a tout fait pour adoucir du moins un mal qu'elle n'avait pu empêcher. L'Angleterre au contraire a tout fait pour l'aggraver.

Non contente d'attaquer les navires de commerce et de

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