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gentilshommes groupés par province, confondant l'âge et la fortune dans les mêmes rangs, dans le même service et dans le même dénuement. Chateaubriand fit la campagne avec un mousquet dont le chien ne s'abattait pas. A côté de cette infanterie, des marins destinés à servir les douze méchantes pièces qui composaient toute l'artillerie de l'armée; à la suite quelques plébéiens, combattants obscurs et désintéressés, des militaires que leurs chefs avaient entraînés dans l'émigration, des serviteurs qui avaient suivi leurs maitres.

Les soldats qui avaient de la naissance s'écartaient soigneusement de ceux qui n'en avaient point. Les officiers titrés en usaient de même avec les officiers simples gentilshommes. L'état-major, où figuraient deux ducs et maréchaux de France, Broglie et Castries, contrastait par son éclat avec cette troupe indigente et incohérente. Peu soumis dans la marche, frondant avec impatience un commandement frivole, imprévoyant et hautain, capables de se bien battre, mais chacun pour son compte, incapables d'obéir, toujours prêts à payer de leurs personnes, jamais de leur amour-propre, raffinant, par le point d'honneur, sur l'indiscipline habituelle aux troupes de volontaires, ces nobles opposaient à l'égalité démocratique une hiérarchie à laquelle ils ne croyaient plus et qu'ils ne respectaient pas. Cette armée « pleine de valeur, mais peu instruite dans l'art militaire », ainsi que le constataient ses chefs', représentait bien un parti qui prétendait régenter une nation fière, alors que sa propre vanité le rendait indocile à tout gouvernement. Puérils dans leurs vues, braves dans leurs combats, odieux dans leur politique, les émigrés se lançaient à la conquête de la France en révolution, dans la même cohue que la chevalerie de Philippe de Valois lorsqu'elle s'en allait châtier les mutins des Flandres.

A la façon dont ils se comportent dans les territoires qu'ils occupent en France, on peut juger ce qu'aurait été le gouvernement de vengeance, de répression brutale et de réaction

Les princes à Catherine II, 31 octobre 1792, FEUILLET DE CONCHES, t. VI,

P. 398.

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stupide qu'ils auraient établi s'ils en avaient eu la force tous les excès de la Révolution, sans aucun de ses bienfaits1. Ils y préludent dans leur passage en Allemagne, pays allié qui les héberge. «Ils ont fait des horreurs, pillé et ravagé tout dans le pays de Trèves », écrit Fersen. « Jeunes et vieux semblent être l'écume de la nation, rapporte un secrétaire du roi de Prusse. Ils sont d'une sottise épouvantable... Leurs propos sont atroces si on voulait abandonner leurs concitoyens à leur vengeance, la France ne serait bientôt plus qu'un monstrueux cimetière 2. » (C L'exagération était poussée au delà de toutes les bornes, raconte un témoin, et la plupart des émigrés voulaient condamner à mort, en rentrant en France, tout ce qui y était resté 3. » Ils ne voient qu'un moyen de remettre la France au pas, c'est de la frapper d'épouvante, en retournant la Révolution contre les révolutionnaires. « J'ai une idée à laquelle tout me paraît devoir se subordonner, dit une des fortes têtes de l'émigration': c'est que les Jacobins ont parfaitement constitué la nation; ils y ont mis un art merveilleux et sur lequel l'histoire aura à reposer son attention. Eh bien! il faudra organiser l'ordre de la même manière qu'ils ont organisé l'anarchie; il faudra prendre la vipère et la serrer sur la plaie. « Il faut les exterminer », répètent Fersen et Mercy". Point de «< pernicieuse miséricorde », écrit Mallet du Pan, la clémence serait un crime contre la société. Ils prennent à leur compte le manifeste de Brunswick et le notifient aux

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1 « Ils ne parlaient que des justes rigueurs qu'ils exerceraient quand ils seraient les maîtres, et, en attendant, ils se dévoraient entre eux; en un mot, ils n'omettaient rien pour entretenir les antipathies dont ils étaient l'objet, et pour faire imaginer aux Français un ancien régime plus odieux que celui qu'on avait détruit. » TOCQUEVILLE, Fragments, Correspondance, t. I, p. 289.

2 FERSEN, Journal, 27 septembre, t. II, p. 38.-Lettre de Lombard, 23 juillet 1792, publiée par H. HÜFFER, Deutsche Revue, 1883.-L'archiduc Charles à l'Empereur, 21 septembre 1792; ZEISSBERG, Archiv für œsterreichische Geschichte, t. LXXIII, p. 50.

3 Souvenirs du comte de Contades. Paris, 1885, p. 45.

4 Montlosier à Mallet du Pan. MALLET, t. I, p. 327.

5 FERSEN, t. II, p. 361, 365, 376.

Lettre à Castries, 17 septembre 1792, Moniteur, t. XIV, p. 382.

Cf. t. II, p. 509, 526-529 et suiv.

populations « Sachez, déclarent les princes aux habitants de Thionville, que ne pas se hater de désavouer les crimes des usurpateurs, c'est y tremper; que rester armés avec des factieux, c'est mériter les peines qui leur sont dues, et qu'il faut ou redevenir Français fidèles ou périr révoltés. "

Calonne demeure l'homme d'État de cette monarchie nomade. Il ramène, avec sa chancellerie volante, tous les procédés qui ont précipité la chute de Louis XVI. Suivi de deux fourgons qui contiennent les appareils d'une fabrique de faux assignats', il fait rétablir partout les anciens impôts. On expulse les prêtres intrus, on réinstalle les prètres réfractaires ; on exige des agents de l'État le serment d'obéir à Louis XVI et « de ne rien entreprendre contre S. M. Prussienne »; on exempte des contributions les personnes bien pensantes et on sauvegarde leurs biens, avec menace de piller le village où elles demeurent, s'il leur est causé quelque dommage. Ce qui rend l'entreprise plus dangereuse pour les émigrés et plus révoltante pour le reste des Français, c'est que la force, le seul instrument de leur politique, les émigrés ne la possèdent point: ils l'empruntent à l'ennemi. Ils ne se montrent pas comme un parti national armé pour une guerre civile, ils ne sont pas les éclaireurs d'une armée royale; ils sont l'arrière-garde d'une invasion étrangère les Prussiens étaient entrés en France dix jours avant eux, le 19 août.

L'armée que le duc de Brunswick commandait et qui marchait sur Paris comptait, y compris le contingent des princes, plus de 80,000 hommes, dont 42,000 Prussiens, avec 200 canons et 5,500 Hessois, qui formaient le centre, soutenus par les Autrichiens, 15,000 à droite, sous Clerfayt, et 14,000 à gauche, sous Hohenlohe-Kirchberg. Le duc de Saxe-Teschen couvrait la Belgique et menaçait Lille avec 25,000 hommes et 4,000 émigrés du duc de Bourbon. 17,000 Autrichiens et le petit corps de Condé, environ 5,000 hommes, protégeaient le haut Rhin et le Brisgau. Le 2 septembre, Verdun capitula.

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L'armée de Sedan était séparée de l'armée de Metz; la première était menacée par Clerfayt, la seconde par Hohenlohe. Brunswick, avec le gros de ses troupes, s'avançait entre les deux. Il comptait balayer, vers le 16 septembre, les Français désorganisés qui se risqueraient à l'affronter, et il se flattait d'arriver à Paris vers le 10 octobre. Les émigrés encourageaient ces illusions et excitaient les alliés aux mesures de rigueur. Les Prussiens, selon ces royalistes, n'y mettaient ni assez d'empressement ni assez de bonne grace. Ils pillaient cependant, saccageaient, brûlaient et pendaient vigoureusement. C'était la guerre telle que les armées de Louis XV, de Frédéric et de Marie-Thérèse la pratiquaient naguère en Allemagne, telle que les alliés la rapportèrent en France en 1814'. Ils levaient des contributions en nature et procédaient à des exécutions militaires dans les villages dont les habitants osaient résister. Le port d'armes était puni de mort 2.

Voilà le péril qui s'amoncelait sur la France dans les derniers jours d'août 1792. Il faut ajouter à l'invasion qui descendait du Nord, la guerre civile qui couvait sourdement dans l'Ouest, guerre de religion autant que de politique. C'était pour l'indépendance de la nation, pour l'intégrité du territoire, pour la liberté des citoyens, pour les conquêtes civiles et sociales de la Révolution, causes désormais indissolublement liées, une question de vie ou de mort. La France ne pouvait opposer aux alliés que 24,000 hommes à l'armée du Nord, 19,000 à l'armée des Ardennes, 17,000 à Metz, 22,000 à l'armée du Rhin, ensemble 82,000 hommes, plus les garnisons; tout compte fait, une centaine de mille hommes échelonnés, en petits paquets, du Rhin à la mer, derrière des

1 Cf. t. I, liv. I, ch. 1, Les mœurs politiques, La guerre, p. 84 et suiv. << Tout passant et surtout tout Français sera fouillé par les postes de la chaîne qui entoure le camp, et celui sur lequel on trouvera une arme offensive quelconque, canne avec une dague ou tout autre moyen homicide, sera puni d'une mort ignominieuse devant le camp, sans rémission et sans aucune forme de procès. » Déclaration du 11 septembre 1792. — Dans les États autrichiens, « tout voyageur français sera regardé comme espion, et doit être traité en conséquence ». Ordonnance du 2 septembre 1792.

places à demi démantelées et dépourvues de munitions. A part l'artillerie, l'arme classique de la France, qui a conservé ses cadres et ses officiers, la troupe est de qualité douteuse et de médiocre consistance. Ce sont des soldats privés de leurs chefs anciens, encore étrangers à leurs chefs nouveaux, désorganisés, désorientés, agités par les par soupçons, travaillés la propagande anarchiste, aigris par les privations, secoués par les paniques. Si le duc de Brunswick eût poussé seulement un corps de 10,000 hommes sur Sedan, affirme Dumouriez, l'armée se serait dispersée dans les places ou aurait fui jusqu'à Paris'. Les volontaires affluent; ce sont ceux de la levée du 11 juillet 1792, qui a suivi la déclaration du danger de la patrie. Bien différents de ceux de 1791, partis spontanément, beaucoup de ces nouveaux venus sont soldés par les communes et rappellent de trop près les anciennes milices. Ils sont très mélangés, indociles, ignorants, turbulents, pillards au besoin. Ils effrayent les pays qu'ils traversent et troublent les corps où ils arrivent. Cependant il y a en eux un fonds solide de courage, de bonne volonté et même d'enthousiasme. Qu'on les habille, qu'on les nourrisse, qu'on les encadre, et ils fourniront à leur tour de bonnes recrues. « Il faut les pacifier et les purger au feu de l'ennemi, disait Servan; il faut remplacer en eux l'exaltation par le patriotisme et le fanatisme par la discipline. On y arrivera; on entrevoit déjà le moyen: « Compléter les troupes de ligne avec les gardes nationales volontaires, écrit Kellermann dès le 20 août 1792; incorporer les nouveaux dans les anciens bataillons, seul moyen d'avoir une armée sans laquelle l'État est perdu2. » C'est ce qu'on appellera l'amalgame, et ce sera le salut de la France. Custine, Dumouriez, Kellermann le discernent en même temps et l'essayent.

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Quant aux officiers, ceux qui sont demeurés à leur poste et ceux que l'on a fait sortir des grades inférieurs pour remplacer les émigrés, leur esprit est excellent, pur et patriotique, tel qu'il

1 Mémoires, liv. V, ch. v.

* Camille ROUSSET, les Volontaires. Paris, 1870, ch. XII et XIII.

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