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très-beau, comme en France en octobre, et même un peu plus chaud.» Dans un autre : « Les habitans de la Russie ne reviennent pas du temps qu'il fait depuis vingt jours; c'est le soleil et les belles journées du voyage de Fontainebleau. L'armée se trouve dans un pays extrêmement riche, et comparable aux meilleures provinces de France.» On eût dit, en lisant ces bulletins, que Bonaparte, maître de la destinée des hommes, commandait aussi aux élémens, et changeait Fordre des saisons,

L'abondance dont l'armée avait joui durant les premiers jours de son arrivée à Moscou faisait place à la disette. Les grands de l'empire russe, profitant de l'exaspération où les malheurs de la guerre réduisaient la masse du peuple, l'armaient toute entière. Ces forces, réunies aux cosaques, interceptaient les convois de vivres destinés pour Moscou. Plusieurs notables de divers villages, arrêtés par ordre de Bonaparte, furent conduits devant lui; il leur enjoignit, sous peine de mort, de maintenir la tranquillité dans leurs cantons respectifs, et de s'opposer aux émigrations; ces hommes, également agrestes et intrépides, faisant peu d'attention à la splendeur dont s'environnait l'empereur des Français, lui répondaient laconiquement: «Attachés par nos sermens à l'empereur Alexandre, nous ne pouvons reconnaître les ordres d'un autre souverain. » Les menaces et l'appareil du supplice ne pouvaient changer leurs résolutions. Placés devant le piquet de grenadiers chargé

de les mettre à mort, ils prenaient dans leurs mains une croix suspendue à leur poitrine, la baisaient et recommandaient leur âme à Dieu. Plusieurs, par cette fermeté, désarmèrent leurs bourreaux.

On ne pouvait se procurer du pain. Les chevaux, manquant de fourrage, périssaient par milhers. Il fallait chaque jour soutenir des combats désavantageux; la moindre perte était irréparable pour une armée éloignée à plus de six cents lieues de sa patrie. Une misère réelle se masquait par une abondance apparente. On n'avait d'autre viande que celle de cheval; mais les tables se couvraient: de confitures, de sucreries et de vins exquis. L'étendue des besoins rendait presque nulle la valeur de l'argent; tout le commerce se faisait par des échanges. Celui qui avait du drap l'offrait pour du vin; on donnait du sucre et du café pour avoir une pelisse. Le mécontentement du soldat commençait à se prononcer; pour tâcher de le diminucr, les projets les plus extraordinaires étaient mis à l'ordre de l'armée; un jour on proposait de marcher vers l'Ukraine; le lendemain, de remonter au nord vers Pétersbourg. Les gens sages répétaient en vain : « Nous n'avons à prendre que la route de Wilna. >>

Le maréchal Kutuzoff, ayant réuni ses forces dans la province de Kalouga, couvrait les provinces méridionales de Russie; il établit son camp sur la rive droite de la Nara, près de la petite ville de Tarutina; dans cette position, son armée, receTome V1.

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vant des vivres en abondance, devenait chaque jour plus redoutable. Des troupes innombrables de cosaques remplissaient la plaine de Moscou, et resserraient étroitement les Français dans les décombres de cette capitale. Les troupes françaises, harcelées perpétuellement, ne connaissaient plus le répos; entourée de toute part, la plus grande partie de la cavalerie étant démontée, elle se voyait contrainte à se replier sur elle-même. On ne pouvait se porter sur Pétersbourg sans renoncer à toute communication avec la Pologne. On ne pouvait aussi se porter sur le Volga, parce que de nouvelles invasions, affaiblissant l'armée, s'éloignaient de ses ressources.

Bonaparte, ne cessant d'entretenir l'Europe de ses continuelles victoires, de l'abondance dans laquelle son armée nageait à Moscou, et de l'anéanissement prochain de la Russie, se voyait prisonnier dans le Kremlin. Pour cacher l'embarras de sa position, il ne cessait de passer en revue cette belle armée destinée à devenir en peu de temps la proie des élémens. Par un examen sévère, il engageait les colonels à maintenir dans les régimens une exacte tenue désormais impossible. Le pillage de Moscou avait enrichi les soldats. Dans les occasions ordinaires, les soldats dépensent rapidement ce qu'ils ont amassé de même. A Moscou, ils ne trouvèrent plus les moyens de s'amuser; l'argent leur resta: cet argent causa la perte de l'armée. On voyait, à la suite des

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régimens, de superbes voitures appartenant à de simples soldats. Ils n'écoutaient plus leurs officiers; l'indiscipline annonçait les malheurs de la retraite.

Elle devenait indispensable. Déjà même, sans attendre les ordres des généraux, un grand nombre de soldats prenaient la route du Dniéper, au rise que de tomber entre les mains des cosaques. L'avenir devenait effrayant. Les villages voisins de Moscou se trouvant épuisés, il fallait aller chercher des vivres au loin; ces courses, chaque jour répétées, détruisaient la cavalerie. L'audace des cosaques redoublait en raison de l'épuisement des Français; ils en donnèrent la preuve en attaquant aux portes de Moscou un village occupé par les dragons de la garde; cinquante dragons et plusieurs officiers tombèrent dans leurs mains. Les généraux français, voulant prévenir de sem→ blables pertes, envoyèrent un corps de cavalerie légère commandée par le comte d'Ornano, an château de Galitzin, entre Moscou et Mozaick; ces troupes délivrèrent les lieux circonvoisins de la présence des cosaques accoutumés à éviter les combats réguliers.

Un corps de quarante mille hommes, com→ posé en grande partie de cavalerie, avait été en→ voyé sur la route de Kalouga aux ordres du roi de Naples. Ce pays offrait des ressources en fourrages, dont l'armée manquait absolument ; mais, au sein de la d'extermination adoptée

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par les Russes, il devenait difficile d'en trouver et plus difficile encore de les envoyer à Moscou. Ce corps d'armée livra plusieurs combats; il perdit en peu de jours dix mille chevaux, moins par le fer de l'ennemi que par le défaut de nourriture. La principale de ces actions eut lieu le 17 octobre. Il avait été conclu un armistice d'avant-garde pour trois jours, afin de laisser quelque repos aux troupes et de rendre les derniers devoirs aux morts. On était au deuxième jour; la moitié de la cavalerie fourrageait dans les campagnes; l'infanterie prenait livraison de la farine avec laquelle on devait fabriquer son pain. Tout-à-coup un houras se fit entendre ; les cosaques, regardant le fourrage fait par les Français comme une infraction de la suspension d'armes, favorisés par quelques pièces d'artillerie cachées dans les bois voisins, attaquaient subitement, au nombre de trente mille, le roi de Naples dont la cavalerie se trouvait dispersée. Les Français perdirent deux mille hommes et vingt pièces de canon. Bonaparte, recevant cette nouvelle, entra dans un accès de colère; il s'écriait : « Les Russes ont attaqué le roi de Naples au mépris du droit des gens; leur conduite est celle des brigands et non des guerriers! » L'ordre d'abandonner Moscou fut donné sur-le-champ; c'était trop tard, non-seulement parce que l'hiver avançait à grands pas, mais surtout parce que l'ennemi avait eu le temps de se fortifier et d'enlever toutes les

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