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sons, que pointes de fer, que soldats, qu'affligeantes images de la servitude et de l'inégalité. Non, peuples heureux, ce ne sont pas là vos fêtes : c'est en plein air, c'est sous le ciel qu'il faut vous rassembler et vous livrer au doux sentiment de votre bonheur. Que vos plaisirs ne soient efféminés ni mercenaires, que rien de ce qui sent la contrainte et l'intérêt ne les empoisonne, qu'ils soient libres et généreux comme vous, que le soleil éclaire vos innocents spectacles; vous en formerez un vous-mêmes, le plus digne qu'il puisse éclairer.

<< Mais quels seront enfin les objets de ces spectacles? qu'y montrera-t-on ? Rien, si l'on veut. Avec la liberté, partout où règne l'affluence, le bien-être y règne aussi. Plantez au milieu d'une place un piquet couronné de fleurs, rassemblez-y le peuple, et vous aurez une fête. Faites mieux encore : donnez les spectateurs en spectacle, rendez-les acteurs eux-mêmes; faites que chacun se voie et s'aime dans les autres, afin que tous en soient mieux unis. Je n'ai pas besoin de renvoyer aux jeux des anciens Grecs; il en est de plus modernes, il en est d'existants encore, et je les trouve précisément parmi nous (à Genève). Nous avons tous les ans des revues, des prix publics, des rois de l'arquebuse, du canon, de la navigation. On ne peut trop multiplier des établissements si utile et si agréables: on ne peut trop avoir de semblables rois. Pourquoi ne ferions-nous pas, pour nous rendre dispos et robustes, ce que nous faisons pour nous exercer aux armes ? La République a-t-elle moins besoin d'ouvriers que de soldats ? Pourquoi, sur le modèle des prix mili

taires, ne fonderions-nous pas d'autres prix de gymnastique, pour la lutte, pour la course, pour le disque, pour divers exercices du corps? Pourquoi, n'animerions-nous pas nos bateliers par des joutes sur le lac? Y aurait-il au monde un plus brillant spectacle que de voir sur ce vaste et superbe bassin des centaines de bateaux élégamment équipés, partir à la fois, au signal donné, pour aller enlever un drapeau arboré au but, puis servir de cortége au vainqueur revenant en triomphe recevoir le prix mérité? Toutes ces sortes de fêtes ne sont dispendieuses qu'autant qu'on le veut bien, et le seul concours les rend assez magnifiques... >>

Rousseau a-t-il été, en ceci, oui ou non, prophète ? Tandis que nous voyons le théâtre arriver d'abaisse-` ment en abaissement au dernier degré de l'ignominie (1), les fêtes publiques, au contraire, les courses, jeux, concerts populaires, régates, revues, voyages, ne prennent-ils pas chaque jour plus de développement?

N'en est-ce pas fait des petits étouffoirs où nos pères, dans leurs villes tortueuses et sombres, allaient autrefois s'entasser? Rousseau nous a donné le goût du plein air, et la vraie salle de spectacle des temps modernes sera de plus en plus la place publique.

Si vous voulez, toutefois, nous rendre le grand art de la France : la comédie (à qui nous devons Tartufe

(1) Jules Janin, dans son feuilleton du Journal des Débats (25 août 1862), flétrissait « les hontes et les fanges de l'art dramatique... >>

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ét Figaro), si vous voulez de nouveau ennoblir le théâtre, ouvrez-en les portes au peuple; il est, pour la denrée dramatique comme pour tant d'autres, le vrai consommateur. Au lieu de places à trois francs, vous crierait Jean-Jacques, donnez-nous, dans des salles. immenses, les places à trois sous. Ce qui est exclusif n'a plus vie dans l'atmosphère moderne... Diminuer le prix d'entrée au théâtre, c'est y rappeler la famille, et, partant, la moralité. Hors de là pas de salut! Le théâtre, dans ses anciennes données, ne se relèvera pas.

Toutefois, au siècle dernier, l'art dramatique conservait encore quelque séve, et Rousseau comprit bien que, de son vivant, ces doctrines ne seraient point admises; aussi fait-il quelque part cet aveu, qu'il voudrait,« s'il faut absolument un théâtre, que M. de << Voltaire pût le remplir toujours de son génie. » Ceci n'est pas un simple compliment adressé par déférence au grand écrivain dramatique du temps; Rousseau, en condamnant le théâtre sous son ancienne forme, n'en était pas moins très-sensible aux enchantements d'un art qu'au fond il n'eût voulu qu'agrandir pour le mettre à la portée de tous. Personne, dans sa jeunesse, ne fréquenta plus le spectacle, personne ne s'amusait, n'admirait davantage, ne riait de meilleur cœur aux comédies de Molière. Lui-même a raconté, dans une lettre à madame de Warens (13 septembre 1735), qu'à l'une des premières représentations d'Alzire (il avait . alors vingt-cinq ans) son émotion fut telle qu'il y perdit la respiration et en resta malade plusieurs jours.

Lorsqu'il cherchait encore ses voies et sa langue, il voulut, lui aussi, faire quelques pièces de théâtre, mais il sentit bien vite que, sous, cette forme, il s'adressait à un auditoire qui n'était pas le sien. Eût-il pu, devant un public aristocratique, enseigner « qu'il y a vingt contre un à parier que tout gentilhomme descend d'un fripon? » Il se préparait autre chose dans son âme que des amusements pour les classes privilégiées, et ce n'était pas précisément pour les divertir qu'il devait un jour écrire le Contrat social.

Aussi pourrait-on difficilemet imaginer rien de plus nul que ses essais dramatiques, écrits dans un temps où, loin de connaître les hommes, il ne connaissait pas encore sa propre pensée.

Le théâtre, qui avait été la gloire du dix-septième siècle, mais qui, malgré Zaïre, Mérope, Mahomet et le dernier acte de Brutus, n'était plus qu'un heureux et brillant reflet de cette époque, eut pourtant au dix-huitième siècle une heure de vrai réveil avec Beaumarchais. Le long drame qui, du Barbier de Séville au Mariage de Figaro et à la Mère coupable, paraissait destiné à remplir trois grands jours de fêtes, était un renouvellement de l'essai déjà tenté par Molière dans ses dernières pièces, de réunir tous les arts, la musique, la danse, les décorations splendides; joignez à cela un but utile: l'éducation populaire et la représentation d'événements contemporains comme au temps d'Eschyle et d'Aristophane, et vous reconnaîtrez que si le théâtre eût continué de marcher dans ces voies, il n'eût pas, sans doute, comme il l'a fait, succombé sous l'anathème de Jean

Jacques, anathème renouvelé de nos jours par Proudhon, dans une lettre à Jacques Bornet.

Voltaire donc, malgré son habileté, malgré son entente de l'art dramatique, n'a été au théâtre, dans ses meilleurs jours, que le premier disciple de nos grands maîtres. Du reste, on en peut dire autant de quelques autres de ses écrits: la Henriade, ses odes, ses traités de géométrie, d'astronomie, de chimie, de physique, de mécanique, ne sont peut-être, lorsqu'on les isole du grand ensemble de ses travaux, que des œuvres de deuxième ordre; mais réunis, mêlés à sa correspondance, lus chronologiquement, ils forment un monument littéraire unique dans le monde. Aucun homme n'a laissé une bible de cette importance.

Ce qui étonne dans ses traités scientifiques, c'est que la science y est toujours mise sur le chemin des grandes découvertes. Un pas de plus, et ces découvertes étaient faites par lui: celles de Priestley, de Lavoisier, de Volta, sur la composition de l'atmosphère, y sont, peu s'en faut, indiquées. Dans l'Essai sur la nature du feu et sa propagation, à une époque où, loin de connaître les lois de la combustion et du calorique, on ignorait jusqu'au principe du refroidissement par l'évaporation, lorsque la chimie n'en était pas même au phlogistique, quand l'air passait encore pour un élément, n'est-il pas curieux de voir Voltaire entrer dans les voies mêmes qui, un demi-siècle plus tard, conduiront Lavoisier à la découverte de l'oxygène? Il constate qu'une masse de fer, depuis une jusqu'à deux mille livres, est plus lourde après avoir été rougie au feu, et ne peut s'expli

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