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ques mots à moitié flatteurs, à moitié épigrammatiques. Mais aux conversations du matin les deux grands hommes, débarrassés de l'influence des esprits jaloux, se retrouvaient tout entiers et se quittaient chaque fois plus charmés l'un de l'autre.

Cependant Voltaire, seul, malade, presque sexagénaire et entouré d'ennemis, dans une cour étrangère, n'en était pas moins effrayé d'avoir senti deux ou trois fois, au milieu des caresses du roi, des égratignures de tigre. Il a souvent des étonnements naïfs; il écrit à sa nièce (après lui avoir raconté le propos de l'écorce d'orange):

....

«< Un roi qui a gagné des batailles et des pro<«< vinces, un roi du Nord qui fait des vers en notre << langue, un roi enfin que je n'avais pas cherché et « qui me disait qu'il m'aimait! Pourquoi m'aurait-il « fait tant d'avances? Je m'y perds... je n'y conçois << rien...

« Je ne sais pourtant, en relisant ses vers, je suis « tombé sur une épître à un peintre nommé Pène, qui <<< est à lui; en voici les premiers vers :

Quel spectacle étonnant vient de frapper mes yeux !
Cher Pène, ton pinceau te place au rang des dieux.

« Ce Pène est un homme qu'il ne regarde pas. Cepen« dant c'est le cher Pène, c'est un dieu. Il pourrait bien << en être autant de moi; c'est-à-dire pas grand'chose. « Peut-être que dans tout ce qu'il écrit, son esprit seul <«<le conduit, et le cœur est bien loin. Peut-être que << toutes ces lettres où il me prodiguait des bontés si

<< vives et si touchantes ne voulaient rien dire du << tout. >>

Tout cela ne fut pas sans lui donner bien des heures de mélancolie; il commence ainsi une autre lettre à madame Denis (après quatre mois de séjour à Berlin):

«Je vous écris à côté d'un poêle, la tête pesante et << le cœur triste, en jetant les yeux sur la rivière de la « Sprée, parce que la Sprée tombe dans l'Elbe, l'Elbe « dans la mer, et que la mer reçoit la Seine, et que << notre maison de Paris est assez près de cette rivière « de Seine; et je dis : Ma chère enfant, pourquoi suis« je dans ce cabinet qui donne sur cette Sprée, et « non pas au coin de notre feu? »

Et plus loin il ajoute : « Que j'ai de remords, ma « chère enfant! »

XXX

Il était donc peu probable qu'il restât longtemps à Berlin. D'ailleurs, il lui tardait de voir Rome, et le pape, et Saint-Pierre, et la ville souterraine. Une de ses joies, au milieu de ses tribulations, c'était de porter au souverain pontife quatre gracieux vers d'un roi huguenot. Il prenait plaisir à jouer ce rôle de réconciliateur entre le pape et un monarque hérétique. Il devait avoir à Rome le titre d'ambassadeur de Prusse; mais Frédéric comptait bien qu'il reviendrait de là s'établir définitivement auprès de lui. Voltaire

ne s'expliquait pas trop sur ce point. Avant de s'engager à rien, il observait les choses avec soin. Il avait vu tant de fois le pauvre la Mettrie pleurer comme un enfant de s'être donné un tel maître, que cela le faisait réfléchir. Ces régiments de grenadiers qui entouraient le palais et la ville l'inquiétaient; s'il se sentait libre d'esprit dans les appartements royaux, il ne se sentait pas assez libre de sa personne. Il réfléchissait qu'il serait difficile de fuir d'un tel séjour. Ce royaume de Frédéric n'était rien autre chose qu'une vaste prison. On entrait, on sortait, mais point sans permission, et jamais frontières ne furent mieux surveillées.

Comment s'était-il laissé prendre à venir s'établir dans un pays despotique? Voilà ce qu'il se demandait tous les jours. S'il n'eût eu que sa personne dans ce pays, il n'eût pas tardé à en être bien loin; mais son argent, ces deux millions imprudemment engagés, comment les tirer de là discrètement? Il s'entendit avec un certain juif, pour faire sortir du Brandebourg une partie de ses fonds; mais ce juif le vola. Voltaire, qui avait l'œil à tout, s'en aperçut dès les premiers symptômes. Il y voulut mettre ordre; le juif, indigné de cette clairvoyance, voulut se venger profitant de ce que Voltaire est entouré d'ennemis, il lui intente un procès ridicule. Fréderic, piqué de ce que Voltaire, dans ses États, ait pu craindre pour son bien et pour sa liberté, fait semblant de le croire coupable, refuse quelque temps de le voir. Maupertuis alors triomphe et insulte son rival. Heureusement Voltaire gagne son procès. Le roi revient à lui le premier avec les plus

douces caresses. Voici de nouveau les jaloux confondus! Mais ceci ne fit qu'exciter davantage, parmi eux, “ l'esprit de cabale. La fièvre les saisit; ils publient des brochures les uns contre les autres, et le roi, le croirat-on? fait un pamphlet contre eux tous! C'était un feu roulant de brocards, d'épigrammes en vers et en prose. Voltaire, comme les autres, fit un libelle. Il n'y avait plus, dans cette mêlée, ni roi, ni grand philosophe, mais une troupe d'écoliers en bataille.

Il n'y avait plus ni roi, ni grand philosophe !... Erreur !... ils se retrouvaient toujours dans le tête-à-tête. Débarrassés alors, on l'a vu, de ce malheureux entourage de gens de lettres, Voltaire et Frédéric reprenaient leur niveau. Plus ils se connaissaient, moins ils se comprenaient peut-être, mais plus ils s'étonnaient et se confondaient l'un l'autre. En dépit de leurs tracasseries, ils se sentaient faits pour s'aimer. Cependant quelque chose encore en Frédéric affligeait Voltaire, et c'était précisément ce qu'il avait tant redouté : son mépris pour les hommes. De ce côté, il lui rappelait quelquefois milord Bolingbroke, quoique avec un esprit d'une bien autre étendue. A la vérité, ce n'était plus une recommandation, à ses yeux, que de ressembler à Bolingbroke; son admiration pour le célèbre sceptique avait beaucoup baissé, surtout depuis la publication de ses mémoires, qui précisément venaient de paraître, et que Voltaire avait lus avec dégoût.

Mais il faut dire un mot de la brochure que l'auteur de la Henriade avait lancée dans la mêlée de Berlin, et qui eut pour lui des suites si cruelles.

XXXI

Maupertuis venait de publier un livre de science si singulier que n'en pas rire eût été impossible à Voltaire, et pourtant on a pu remarquer que depuis la mort de madame du Chatelet il n'avait pas eu un moment de gaieté.

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Mais à la lecture du livre de Maupertuis le rire lui revint. Le roi riait aussi, comme on peut le penser; mais il défendit qu'on se moquât publiquement du président de son Académie, choisi, nommé par lui.

-Eh! sire, disait Voltaire, c'est moi qui vous l'ai fait connaître, mais il n'était pas fou alors. Voulezvous laisser se répandre sans protestation des rêveries capables de déshonorer les sciences. Séparons au moins la cause des vraies sciences de celle de ce malheureux visionnaire.

Mais le roi n'en persista pas moins à interdire les railleries publiques contre son président. Voltaire alors, voulant faire sentir à Frédéric lui-même le néant de son autorité royale devant l'autorité du bon sens, s'avisa du plus étonnant pamphlet qui eût jamais paru, et par lequel il fit chorus aux pamphlets de Maupertuis, de Koenig, de la Beaumelle, et du roi luimême, puisque Sa Majesté, pour se divertir, voulait des pamphlets.

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