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vous me suivrez donc à peu de distance. » J'étais fort souffrant de ma maladie : c'est pourquoi l'empereur ne voulut pas que je partisse sur le siége comme je le lui demandai, afin de pouvoir lui donner tous mes soins, auxquels il était habitué; il me dit : « Non, Constant; vous me suivrez en voiture, et j'espère que vous pourrez arriver un jour au plus tard après moi. » Il partit avec M. le duc de Vicence, et Roustan sur le siége; on fit dételer ma voiture, et je restai, à mon grand regret. L'empereur était parti dans la nuit.

Le lendemain à la pointe du jour, l'armée savait tout; l'impression que fit cette nouvelle ne peut se peindre; le découragement fut à son comble, beaucoup de soldats blasphémaient et reprochaient à l'empereur de les abandonner; cétait un cri de malédiction générale. Le prince de Neufchâtel était dans une vive inquiétude, et demandait à tout le monde si l'on savait des nouvelles, quoiqu'il dût en recevoir le premier; il redoutait que Napoléon ne fût enlevé par les Cosaques, car il avait une faible escorte, et si l'on avait pu apprendre son passage, nul doute que l'on eût fait les plus grands efforts pour s'en

emparer.

Cette nuit du 6, le froid augmenta encore; il fallait qu'il fût bien vif puisque l'on trouva à

terre des oiseaux tout raidis par la gelée. Des soldats qui s'étaient assis, la tête dans les mains et le corps incliné, pour sentir moins le vide de leur estomac, se laissèrent aller au sommeil, et furent trouvés morts dans cette position. Quand nous respirions, la vapeur de notre haleine allait se congeler à nos sourcils; de petits glaçons blancs s'étaient formés aux moustaches et à la barbe des soldats; pour s'en débarrasser, ils se chauffaient le menton au feu des bivouacs; on conçoit qu'un bon nombre ne le fit pas impunément; des ar tilleurs approchaient leurs mains des narines des chevaux pour y chercher un peu de chaleur au souffle puissant de ces animaux. Leur chair était la nourriture ordinaire des soldats; on les voyait jeter sur les charbons de larges tranches de cette viande, et comme le froid la gelait, alors elle se transportait sans se gâter, comme du porc salé, la poudre des cartouches tenait lieu de sel.

Dans cette même nuit nous avions avec nous un jeune Parisien d'une famille fort riche, qui avait voulu un emploi dans la maison de l'empereur; il était fort jeune, et avait été reçu dans les garçons d'appartement; le pauvre enfant faisait son premier voyage. Il fut pris de la fièvre en quittant Moscou, et il était si mal ce soir-là qu'on ne put l'enlever du fourgon de la garde-robe dans lequel on l'avait

mis pour qu'il fût mieux; il y mourut dans la nuit, fort regretté de tous ceux qui le connaissaient. Le pauvre Lapouriel était d'un caractère charmant, d'une grande instruction, l'espoir de sa famille; c'était un fils unique. La terre était si dure qu'on ne put lui faire une fosse, et nous éprouvâmes le chagrin d'abandonner ses tristes restes sans sépulture.

Je partis le lendemain muni d'un ordre du prince de Neufchâtel pour que sur toute la route on me donnât des chevaux de préférence à tout autre. A la première poste après Smorghoni, d'où l'empereur était parti avec le duc de Vicence, cet ordre me fut de la plus grande utilité, car il n'y avait de chevaux que pour une seule voiture; je m'y trouvai en concurrence pour les avoir avec M. le comte Daru, arrivé en même temps que moi. Je n'ai pas besoin de dire que sans l'ordre de l'empereur de le rejoindre le plus tôt possible, je n'aurais pas usé de mon droit pour prendre le pas sur l'intendant-général de l'armée; mais commandé par mon devoir je montrai l'ordre du prince de Neufchâtel à M. le comte Daru, qui, après l'avoir examiné, me dit : « C'est juste, M. Constant; prenez les chevaux ; mais, je vous en prie, renvoyezles-moi le plus vite possible. >>

Que cette retraite fut désastreuse! Après bien des

peines et des privations, nous arrivâmes à Wilna; il fallait passer sur un pont long et étroit pour entrer dans cette ville; l'artillerie, les fourgons encombraient l'espace de manière à empêcher toute autre voiture de passer; on avait beau dire. «Service de l'empereur; »> on était accueilli par des malédictions. Voyant l'impossibilité d'avancer, je descendis de ma calèche, et vis alors le prince d'Aremberg, officier d'ordonnance de l'empereur, dans un état pitoyable; sa figure était décomposée, il avait le nez, les oreilles et les pieds gelés. Il était assis derrière ma voiture. J'en fus navré. Je dis au prince que, s'il m'avait prévenu de son délaissement, je lui aurais donné ma place. A peine s'il pouvait me répondre. Je le soutins quelque temps; mais, voyant combien il était urgent pour tous les deux d'avancer, je pris le parti de le porter. Il était mince, svelte, de taille moyenne. Je le pris dans mes bras, et, avec ce fardeau, coudoyant, pressant, heurtant et heurté, j'arrivai enfin, et déposai le prince au quartiergénéral du roi de Naples, en recommandant qu'il reçût les soins que réclamait son état; après quoi je m'occupai de ma voiture.

Nous manquions de tout. Long-temps avant d'arriver à Wilna, les chevaux étant morts, nous avions reçu ordre de brûler nos voitures avec tout ce qu'elles contenaient. Je perdis considéra

blement dans ce voyage. J'avais fait emplète de plusieurs choses de prix. Tout fut brûlé avec mes effets, dont j'avais toujours une grande quantité dans mes voyages. Une grande partie des effets de l'empereur furent perdus de la même manière.

Une fort belle voiture du prince Berthier, qui venait d'arriver et n'avait point encore servi, fut aussi brûlée. A chacun de ces feux se tenaient quatre grenadiers qui, la baïonnette en avant, devaient empêcher que personne ne prît ce qui de

vait être sacrifié. Le lendemain on fit la visite des voitures qui avaient été épargnées pour s'assurer qu'il n'y restait aucun effet. Je ne pus garder que deux chemises. Nous couchâmes à Wilna. Mais le lendemain de grand matin l'alarme se répandit. Les Russes étaient aux portes de la ville. Des gens arrivaient tout effarés en criant: Nous sommes perdus. Le roi de Naples fut réveillé brusquement, sauta de son lit, et en un instant l'ordre fut donné pour que le service de l'empereur partît sur-lechamp. Je laisse à penser avec quelle confusion tout cela se fit. On n'eut le temps de faire aucune provision. On nous obligea à partir sans retard. Le prince d'Aremberg fut mis dans une voiture du roi avec ce qu'on put se procurer pour les besoins les plus pressans. Nous étions à peine sortis de la ville, que nous entendîmes de grands cris

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