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Chez l'un et chez l'autre on jouait beaucoup, et je gagnai au krebs beaucoup d'argent. Tout l'or de ces messieurs, comme celui des généraux Wassiltchikoff et Borosdine et du général prince Alexis Stcherbatoff passa dans ma poche.

Pendant ce repos momentané, des bruits de paix se répandirent; mais bientôt les mouvements recommencèrent et tout espoir de paix s'évanouit. Malgré l'épuisement de ses ressources, Napoléon n'en paraissait pas moins redoutable, et sa seule présence équivalait à 50.000 hommes. L'idée seule de sa présence faisait naître des hésitations dans tout ce que les chefs entreprenaient.

Marche de Winzingerode et de Tchernitcheff sur Reims. Mon rôle lors de la reprise de la ville. - Après quelques jours, le maréchal Blücher ordonna de rétablir le pont de Berryau-Bac et prescrivit au général Winzingerode de s'emparer de Reims. Le général Tchernitcheff, commandant l'avantgarde, s'empara en effet de la ville, mais, n'y ayant laissé qu'un régiment de Cosaques, ce petit corps en fut chassé par les dragons du maréchal Mortier qui, ayant fait volte-face, les culbutèrent et en prirent un certain nombre.

J'étais auprès du général Winzingerode lorsqu'il reçut le rapport du général Tchernitcheff qui lui mandait qu'il était maître de la ville. Winzingerode, y courant lui-même au grand galop, ne fut pas peu surpris lorsqu'il apprit par un feu bien nourri que l'ennemi l'occupait encore. Il se fâcha sérieusement contre le général Tchernitcheff et crut un moment que la nouvelle qu'il lui avait donnée était une fanfaronnade de sa part; mais bientôt il apprit par le général Tchernitcheff lui-même l'événement qui venait d'avoir lieu.

Surpris de ce brusque retour de l'ennemi, le général Woronzoff forma ses colonnes et se prépara à reprendre Reims de vive force. Mais, comme nous n'avions que de la cavale

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rie et de l'artillerie volante, on se contenta, jusqu'à l'arrivée de notre infanterie, de canonner la ville et de parlementer Mais, tant que l'ennemi ne vit point paraître de l'infanterie, il ne voulut pas entendre parler ni de capitulation, ni de retraite. Il avait barricadé les portes, et une canonnade très vive s'engagea sur les deux rives de la Vesle et aux portes de Laon et de Rethel.

Le général Belliard, qui commandait à Reims, voyant qu'il aurait tout le corps de Winzingerode sur les bras et qu'il allait être bientôt cerné de tous les côtés, sentit qu'il fallait faire bonne mine à mauvais jeu, et, pour nous tromper, il nous canonna jusqu'à la chute du jour.

Le général Winzingerode, surpris d'une résistance si opiniâtre, supposa Reims gardé par une forte garnison et ne crut pouvoir s'en rendre maitre que par une escalade. Il arrêta la marche de ses colonnes et ramassa toutes les échelles des villages environnants.

Le major Borck, ayant été envoyé en parlementaire, ne fut pas reçu. Un officier de l'état-major, suédois d'origine, fut tué pour avoir voulu s'approcher d'une sentinelle et entrer en pourparlers.

J'avais fait le tour de l'enceinte du côté de la belle promenade avec cet officier et, quelques moments après, il fut tué.

Je m'aperçus, lors de ma tournée, que tous les postes français n'étaient composés que de dragons. Je n'avais pas remarqué un seul fantassin.

Je courus aussitôt communiquer mon observation au général Winzingerode en lui proposant de me donner 2 pièces de canon et que je me chargeais d'aller enfoncer la porte de Laon, pourvu qu'il me fasse soutenir par un bataillon de chasseurs pour pouvoir l'occuper de suite. Mes instances furent si pressantes, mes arguments lui parurent si clairs qu'il me

donna 2 pièces et chargea le général Krasoffsky de me soutenir avec le 14 régiment de chasseurs.

Je fis avancer les pièces à bout portant, ne me souciant pas des coups de carabine qu'on me tirait du haut de la muraille, et après que l'officier les eût bien pointées, le feu commença. Au cinquième coup, la porte fut brisée. Une vingtaine de chasseurs avec des haches me suivirent, et bientôt je fus maître de la porte. Ce qui me désolait, c'est que je la trouvai palissadée à l'intérieur, et que de plus, àla hâte, on avait creusé un fossé profond. J'étais bien maître de la porte, mais non de l'entrée.

Mais, avec de l'ardeur et un peu d'intelligence, on surmonte tous les obstacles. Je parvins à déplacer quelques piquets de palissades et à me glisser entre eux, de sorte que j'étais dans l'enceinte de la ville. Mais j'y étais seul. Les chasseurs avec leur havresac ne purent passer aussi aisément. Car moi-même, tout mince et maigre que je suis, j'eus de la peine à passer.

Les chasseurs, en attendant, canardaient tous ceux qui voulaient s'approcher pour me prendre. A la fin, des coups de bêche firent tomber les palissades; des planches furent mises sur le fossé et une compagnie passa et se plaça en bataille déjà dans l'intérieur de la ville.

L'ennemi renonça alors à toute résistance et se retira. N'ayant point de cavalerie à portée, nous ne pûmes le poursuivre. J'avançai cependant avec mes chasseurs.

Le long de la rue qui mène à la municipalité, je rencontrai alors quatre personnes avec des flambeaux ; je reconnus aussitôt le maire de la ville, M. Andrieux.

Je fus enchanté de cette rencontre, et, l'ayant conduit jusqu'aux palissades de la porte, je le remis entre les mains du général Krasoffsky et, lui ayant demandé comment se portait son intéressante famille, qui m'avait témoigné tant d'amitié lors de mon premier séjour à Reims, il me dit que

ces dames se tenaient toutes cachées dans l'une des caves et avaient une peur extrême.

Je m'acheminai, sans réfléchir sur le danger que je pouvais courir encore, jusque chez ces dames. C'était une grande étourderie car rien ne me donnait encore la certitude que la ville fût totalement abandonnée par l'ennemi, et le général Krasoffsky ne voulut pas même hasarder de faire avancer une compagnie de plus sur la place de la Municipalité, qui n'est pas très éloignée de la porte.

Enfin j'arrivai heureusement et sans accident jusqu'à la maison d'Andrieux. Je fus longtemps à heurter avant qu'on ne m'ouvrit. A la fin, une vieille portière parut et ne voulut absolument pas m'ouvrir. Je me fis connaître pour une bonne connaissance de la maison, en nommant Me Clémentine et Me Louise, qui étaient les charmantes filles de la maison. J'ajoutai que je venais pour les assurer que tout danger avait cessé et qu'elles n'avaient qu'à reparaitre au grand jour. La portière alors m'ayant reconnu ne tarda pas d'ouvrir la porte et me conduisit à la cave, où je trouvai toute la famille réunie. Leur joie fut extrême, lorsqu'elles m'aperçurent, et tout le monde de venir m'embrasser.

On fit aussitôt sauter les bouchons de quelques bouteilles de vin de Champagne, dont la cave était remplie, et les dames se mirent à décrire et à raconter leur peur, leurs angoisses, leurs craintes et puis leur joie en me voyant. Elles m'engagèrent à boire encore et à me réjouir avec elles d'être sauvées d'un si grand danger. En effet les boulets et obus que nous avions lancés avec profusion leur avaient fait une belle peur, et l'idée qu'on livrerait un assaut leur avait fait dresser les cheveux.

Après les avoir fait sortir de la cave et les avoir installées dans leurs appartements, je quittai cette charmante famille pour aller encore rassurer une jeune et intéressante femme

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nommée de Meaupou, chez laquelle j'avais demeuré précédemment.

J'arrivai avec beaucoup de peine jusqu'à sa maison, car la nuit était sombre, et pas une lanterne ne brûlait.

Je frappe à la porte; on n'ouvrit pas. Mais le mari, bourru et mal élevé si jamais il en fut, mit la tête à la fenêtre en demandant qui j'étais. Je lui répondis: ami! et lui déclinai

mon nom.

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La-dessus il me demande si j'avais un billet de logement. Je fus si indigné de cette question qui, dans un moment où nous venions de prendre la ville de vive force, me parut si mal placée que je ne pus m'empêcher de lui répondre que : lorsqu'on enfonçait les portes d'une ville à coups de canon, on savait se passer de billet de logement; que d'ailleurs j'étais venu pour rassurer Madame son épouse sur le sort de la ville et d'elle-même, et que j'étais fàché pour lui, pour lequel, assurément, je ne me serais pas exposé à traverser toute la ville, la nuit, qu'il ne sentit pas la générosité de mon procédé qu'assurément sa femme saurait apprécier ».

Me de Meaupou arriva dans ce moment à sa fenêtre en profond négligé, engagea son mari à me faire ouvrir et me pria de monter. Elle me remercia beaucoup et me pria d'accepter un logement chez eux. Mais j'étais si indigné des procédés de M. de Meaupou que je refusai malgré toutes ses instances, et j'allai réveiller le bon et brave David Gadiot, qui avait été aide de camp du général Kléber, et je pris un logement chez lui. Mais, pour punir M. de Meaupou, j'installai chez lui mes gens, mes chevaux et mes Cosaques d'ordonnance, qu'il fut forcé de défrayer pendant tout le temps que nous occupâmes Reims.

Le bon Gadiot me recut à bras ouverts et ne put assez me remercier d'avoir pensé à lui dans cette nuit désastreuse et dans cette bagarre.

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