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Le tapage que cela fit était épouvantable. Mais je mis tant de célérité dans cette expédition que mes bottes de foin étaient déjà liées et placées sur les chevaux lorsque le colonel arriva pour défendre son magasin. Mais c'était trop tard. Les fourrages étaient déjà enlevés.

Il écumait de rage et partit de suite pour se plaindre au comte Woronzoff, qui me renvoya un aide de camp pour me demander de me justifier de la violence que je venais de commettre.

Je fus moi-même chez lui, et je lui expliquai les motifs qui m'avaient fait agir ainsi. Il ne put s'empêcher de sourire et trouva que le premier devoir d'un chef est de pourvoir aux besoius de sa troupe, que le moyen que j'avais employé était violent, mais qu'il ne pouvait s'empêcher d'avouer qu'à ma place il n'aurait pas agi autrement.

Le comte Woronzoff me fit asseoir là-dessus dans sa calèche pour me mener au grand quartier-général du prince royal et du général Winzingerode. Ce dernier m'avait mandé auprès de lui, et nous arrivâmes à Zerbst, où il était établi.

Le comte Woronzoff m'avoua plus tard que cet acte, quoique violent, lui avait donné une bonne opinion de mon caractère. Étant d'ailleurs très doux de caractère dans les circonstances ordinaires, il n'a jamais eu occasion de me blåmer pour des actes violents à propos de bottes.

Je dine chez Winzingerode. Nouvelle mission. Le général Winzingerode me reçut très bien et me fit diner avec lui.

Le prince Wolkonsky, chez lequel je m'étais arrêté, me fit voir la liste des personnes que le général Winzingerode se proposait de présenter à l'Empereur pour être récompensées et il me montra mon nom, qui était apostillé de la manière la plus favorable.

Après le diner, le général Winzingerode me fit entrer dans son cabinet et me donna l'ordre de partir dans deux heures avec ma brigade, qui serait encore renforcée d'un régiment que le général Staal devait me fournir, de passer l'Elbe avec le général Tchernitcheff et d'occuper le terrain entre la Saale et la Mulde, d'envoyer de forts détachements sur Magdebourg et de rassembler tous les bateaux que je trouverais dans la Saale, de les faire entrer dans l'Elbe pour faciliter la construction d'un pont à Aken. (Acken)

Me voilà donc derechef en l'air. Plusieurs jeunes gens du quartier-général voulurent être de cette expédition. La bonne prise que je venais de faire et l'éclat que j'avais eu à l'ouverture de la campagne leur avaient fait venir l'eau à la bouche. Mais le général Winzingerode refusa leur demande, et j'en fus bien aise car ils sont ordinairement de peu d'utilité et enlèvent les récompenses qui reviennent de droit à de braves officiers, qui n'ont pour eux que leur bravoure, et les fatigues et les dangers.

Après avoir revu avec plaisir mes anciens camarades, au nombre desquels était le général baron de Pahlen que j'avais été voir dans son bivouac et avec lequel nous avions vidé quelques bonnes bouteilles de vin, je partis pour rejoindre le général Tchernitcheff.

Deuxième querelle avec le colonel Latchinoff. Au moment de traverser le village dans lequel se trouvait le colonel Latchinoff, je lui enlevai, sans m'en douter, un de ses guides, qui ne demanda pas mieux que de me suivre, d'autant plus que je parlais l'allemand et que l'autre n'en savait pas un mot.

Lorsque le colonel m'aperçut, il me rejoignit tout furieux et me demanda raison de l'acte arbitraire que je venais encore de commettre. Je lui répondis que je n'avais pas

d'autre explication à lui donner que celle que j'en avais besoin pour le moment et que lui, étant encore sur place, était dans le cas de s'en procurer un autre. Alors, il me dit que, l'ayant offensé deux fois, je devais lui donner une satisfaction personnelle.

« Volontiers, lui répondis-je, mais pas dans ce ment, car, étant chargé d'une expédition, je ne suis pas le maître de disposer de ma personne; mais, au premier moment que j'aurai de libre, je serai à votre service, et j'espère qu'alors vous ne me donnerez pas un guide pour l'autre monde, comme vous venez de m'en fournir un pour passer l'Elbe. »

Cette raison lui parut suffisante d'autant plus qu'elle était accompagnée d'une bonne plaisanterie, et nous nous donnâmes la parole de nous battre à la première occasion.

Heureusement pour moi, il fut tué bientôt après, ce qui me fit de la peine, car c'était du reste un fort brave homme. Mais je dus pourtant me féliciter d'avoir échappé à un duel qui aurait pu tourner mal pour moi comme pour lui, quoiqu'en temps de guerre, où on est exposé tous les jours, une balle de plus ou de moins ne soit pas chose très effrayante.

Je rencontrai en chemin le comte Woronzoff et le général Poncet, qui venaient de la rive de l'Elbe, où mon passage devait avoir lieu. Au moment où je les rencontrai, je venais de courir un lièvre et d'en prendre de suite un autre que je fis mettre dans la voiture du comte Woronzoff. Ils me dirent que je ne trouverai pas d'autre moyen de passer l'Elbe qu'à la nage, ce qui n'était pas très agréable.

Passage de l'Elbe. Marche vers la Saale. Le général Tchernitcheff avait fait construire un petit radeau sur lequel il faisait passer ses canons et le harnachement de ses hus

sards. Il pleuvait à verse lorsque j'entrepris le passage. On ne voyait que les oreilles des chevaux et leurs museaux audessus de l'eau: mais, grâce à Dieu, tout se passa sans accident. Je n'eus qu'un cheval de noyé. Le lieutenant-colonel Beker, avec un bataillon de grenadiers, protégea notre passage'.

Aussitôt arrivé de l'autre côté de l'Elbe, je partis de suite pour gagner la Saale et je m'établis, la nuit, au bord de cette rivière, au château de Rosenberg. Ce château appartenait au prince royal de Suède qui, comme maréchal de France, l'avait reçu de Napoléon. J'y trouvai un excellent gite. L'intendant, M. Henig, était un homme très aimable, sa femme jolie et remplie d'esprit.

J'étais mouillé jusqu'aux os et j'étais occupé à me sécher devant un bon feu, lorsqu'un aide de camp du général Tchernitcheff arriva pour me mander auprès de lui. Il avait aussi effectué son passage sans accident et avec beaucoup de bonheur, il s'était établi à une demi-lieue de Rosenberg.

Tchernitcheff a ordre de rebrousser chemin. Je me décide à rester seul sur la Saale. — Quoique je fusse bien contrarié d'être forcé de courir la nuit chez lui par un temps pluvieux et obscur, il n'y avait cependant pas à dire non, et je partis.

L'ayant joint, il me dit qu'il venait de recevoir dans le moment même l'ordre de rebrousser chemin. Le prince royal venait d'apprendre qu'un corps ennemi de 4 à 5.000 hommes était parti de Magdebourg pour occuper Bernburg et le cours de la Saale et qu'il était probable que nous serions attaqués le lendemain, et, étant inférieurs en force, probablement noyés dans l'Elbe, n'ayant aucun point de retraite assuré. Le prince lui ordonnait par conséquent

1. Nuit du 2 au 3-14 au 15 septembre.

de commencer de suite son mouvement rétrograde. Le général se préparait par suite à l'exécuter dans la nuit même, et il me conseillait de le suivre, d'autant que pareil ordre ne pouvait tarder à m'arriver.

Mon expédition étant séparée de celle du général Tchernitcheff, je n'avais d'ordres à recevoir que du comte Woronzoff. Je lui dis par conséquent que je n'oserais point suivre ses conseils et que j'attendrais les événements et les ordres qui peut-être m'arriveraient encore. Il me fit observer que je m'exposais à une très grande responsabilité : car, si on l'avait cru trop faible pour s'opposer à l'ennemi, je l'étais, moi, encore bien plus. Il termina en me disant :

« L'avis que je vous donne doit vous suffire, et il y a des circonstances où un avis doit remplacer des ordres. >> Je trouvais qu'il avait raison; mais j'avais déjà pris mon parti de rester et je m'y tins.

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(( Je vous abandonne donc à votre sort, me dit-il avec amitié mais ne m'en voulez pas si je ne justifie pas votre décision.

((

Je vous remercie pour vos conseils, mon général. J'aurais même désiré pouvoir me rendre à vos désirs; mais, en attendant, permettez que je fasse mon devoir. »

Il partit, et je restai. J'envoyai de suite des partis de tous côtés pour être bien éclairé et instruit de tout. Je fis passer à un officier prussien, beau-frère de la dame du château et qui s'y trouvait en cachette pour avoir un rendez-vous avec sa jeune et jolie femme, la Saale avec 50 Cosaques pour s'assurer de la marche de la colonne ennemie. Cet officier, nommé Klitzing, s'y prit avec tant d'intelligence qu'il enleva en chemin 100 voitures chargées d'avoine et de vivres qui se dirigeaient sur Magdebourg et étaient destinées à approvisionner la place. Il me fit le rapport qu'il n'avait même pas entendu parler d'une colonne ennemie qui devait passer ou

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