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Et il partit, me souhaitant le bonsoir et riant sous cape, je crois, du tour qu'il me préparait - et moi, je me moquai intérieurement de lui et de son avidité et je me proposai bien de ne pas l'épargner le lendemain.

A minuit, je partis et tout fut, comme je l'avais prévu. A deux heures, des coups de pistolet et un bruit infernal se firent entendre dans le bivouac de Prendel, et bientôt 3 ou 400 Cosaques accoururent à toute bride droit au bivouac que j'avais quitté, et Prendel à leur tête.

Mais quel fut son étonnement lorsqu'il me vit à la tête de 100 Cosaques venir en ordre à sa rencontre.

J'avais été impatient de voir de mes propres yeux le dénouement de cette farce, et je m'étais transporté moimême sur les lieux où elle devait se passer.

Prendel, lorsqu'il m'aperçut, me cria de loin:

(( Retirez-vous bien vite. L'ennemi vient de forcer ma position et me pousse avec vigueur.

((

Et moi, lui répondis-je, je vais à sa rencontre, et si vous ne vous arrêtez pas de suite, je vous brûle la cervelle. » Voyant que je n'étais pas disposé à plaisanter et qu'il n'y avait ni fourgons ni camp, il cria à ses Cosaques :

((

Arrêtez, arrêtez, ralliez-vous. Voilà du soutien. Retournons et chassons l'ennemi.

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A la bonne heure, lui dis-je en riant, allez, retournez vous coucher, et moi je vais me coucher aussi. » C'est ainsi que cette farce se termina,

Le lendemain, j'eus ordre du général en chef de quitter ma position de grand matin pour me joindre au corps de Tchernitcheff, de sorte que je n'eus pas occasion de voir Prendel. Sans cela je me serais joliment moqué de lui et je l'aurais fait rougir, si toutefois un homme comme Prendel est encore capable de rougir.

Comme je l'ai déjà dit plus haut, Prendel n'avait aucun

genre de mérite. Il avait été espion, et encore un mauvais espion, à Vienne et à Paris. Les renseignements qu'il avait pu donner devaient nécessairement se ressentir des moyens qu'il possédait pour les apprécier. Il n'avait aucune éducation, aucune connaissance et peu de discernement. Il avait le courage nécessaire pour affronter le gibet, mais pas celui d'entendre siffler les balles 1.

Le colonel Tchetchmsky qui commandait sous ses ordres et qui était d'une bravoure extrême, fit longtemps toute la besogne et Prendel en recueillait les fruits. Il était rusé, mais d'une façon qui ne s'amalgame guère avec celle dont un militaire peut faire usage. Aussi son rôle fut-il bientôt joué, et il ne put jamais se relever. Le comte Woronzoff, sous les ordres duquel il tomba, le devina bien vite et s'en défit. Il a été depuis nommé commandant de Leipzig. Accepter une place de ce genre en temps de guerre prouve déjà la valeur de l'homme.

Enfin, j'avais échappé belle au plan infernal de ce bandit en uniforme et je mis tous mes soins à préserver mes fourgons d'autres dangers qui les menaçaient de tous côtés.

1. Prendel était Tyrolien, et c'est à sa nationalité qu'il dut très probablement la protection et la bienveillance que lui témoignait Winzingerode. (L.)

Cf. La cavalerie des armées alliées par le capitaine Weil. Paris, 1886. Le colonel Prendel, d'après le témoignage de ses compagnons d'armes et de ses contemporains ne brillait pas par le courage. Il ne visait qu'à l'effet, cherchant à répandre la terreur par l'aspect effrayant qu'il donnait à sa physionomie, ses yeux lançaient des éclairs, ses longues moustaches, le bruit que faisait son long sabre traînant par terre et tout l'arsenal qu'il portait sur lui, les jurons effroyables, les menaces qu'il proférait sans cesse frappaient d'épouvante tous ceux auxquels il avait à faire; mais pour nous servir de l'expression même employée par ses compagnons d'arme « son cœur était mou et il ne brillait pas par le courage ». Pendant tout le cours de sa carrière militaire, on ne saurait mettre à son actif aucun fait de guerre remarquable, aucun coup de main exécuté sous le feu de l'ennemi. Tout son rôle comme partisan s'est borné à ramasser des isolés et des trainards, à composer avec leurs interrogatoires des rapports interminables et pleins d'exagération. « De tels hommes, ajoute un auteur russe, sont non seulement inutiles, mais dangereux. »

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J'envoie mes fourgons à Potsdam et de là à Berlin. Toutes les dispositions du prince royal de Suède prouvaient qu'il avait l'intention d'offrir la bataille au maréchal Oudinot. J'avais l'ordre de continuer à harceler le flanc gauche de l'ennemi et de combiner mes opérations avec celles du général Tchernitcheff.

Étant très embarrassé des fourgons que je menais avec moi et avec lesquels on fait mal le métier de partisan, je me décidai à les envoyer à Potsdam et de là à Berlin sous la surveillance du major Barnenkoff. Je demandai moi-même un congé de deux jours pour aller à Berlin et me refaire un peu de mes fatigues qui avaient délabré ma santé, mais surtout pour déposer mon trésor chez un banquier.

Le prince Wolkonsky, à qui j'avais écrit à ce sujet, me répondit:

«Le général baron Winzingerode m'a chargé de vous dire qu'il désirerait bien que vous gardiez encore pour quelques jours le commandement de vos régiments. Mais, si votre santé ne vous le permet absolument pas, remettez le commandement au major Barnenkoff. En tout cas, le général espère que vous resterez pour le moment présent où de grands événements se préparent et où le général ne veut pas se passer de vous, trouvant difficilement à vous remplacer.

«Son Excellence me charge en même temps de vous témoigner sa reconnaissance pour la manière brillante dont Vous vous êtes acquitté de votre commission. Quant à la manière dont doivent agir vos régiments, toutes les instructions données au général Tchernitcheff ont aussi rapport à vous. « Prince S. WOLKONSKY. »

J'eus beau réfléchir, il n'y avait pas moyen de quitter la partie. Je voulais et je devais rester à la bataille qui allait

se donner. J'abandonnai donc la conduite de la caisse à Barnenkoff et je lui donnai 50 Cosaques pour escorte, les recommandant à la Providence.

Il n'avait pas fait une lieue qu'il envoya me faire dire que les chevaux de trait ne marchaient plus dans les sables et qu'il ne répondait pas de pouvoir traverser avec des chevaux aussi fatigués les sables jusqu'à Potsdam et qu'en outre l'ennemi n'était éloigné que d'un quart de lieue du chemin par lequel il lui fallait encore passer, qu'enfin il était dans le plus grand danger et prévoyait des embarras insurmontables.

Je courus aussitôt à son secours avec 200 chevaux et, ayant chassé deux escadrons ennemis d'un village qu'ils occupaient comme poste d'observation, je fis chercher des chevaux de paysans et j'attelai jusqu'à 20 chevaux devant chaque fourgon. De cette manière, ils furent mis en mouvement et je les côtoyai jusqu'à ce qu'ils eussent atteint le grand chemin de Belitz. Une fois mes caisses hors de danger, je repris ma direction et je recommençai à harceler l'ennemi de toutes mes facultés, espérant que pendant ce temps Barnenkoff arriverait jusqu'à Belitz et Potsdam sans accident et, qu'une fois arrivé jusque-là, il saurait prendre ses mesures, en cas que nous perdions la bataille, de traverser rapidement Berlin et d'attendre les événements et surtout mon arrivée.

Le général Tchernitcheff me donna le premier des nouvelles que mon trésor avait dépassé Belitz. Il m'écrivit :

Bien des grâces, mon excellent ami, pour votre aimable poulet. J'ai été bien sensible à votre marque de souvenir.

«Tout ce que m'a dit le général Winzingerodė sur vous m'a enchanté à titre de votre ancien ami. J'espère que sous peu on vous rendra plus de justice et que vous n'aurez plus à vous plaindre d'ingratitude.

« Je vous prie de m'informer sur ce que vous saurez des mouvements de l'ennemi. Il faut s'attendre demain ou aprèsdemain au plus tard à des événements sérieux. Alors il faut que nous travaillions bien ces messieurs sur leurs derrières. J'attends très incessamment des nouvelles du général Winzingerode. Alors je vous les ferai passer sans retard.

«Si vous avez besoin d'être soutenu, je serai à même de le faire d'ici. Si je fais un mouvement en avant demain, je vous en avertirai.

« Vous avez déjà tant pris d'argent à l'ennemi que, si je me trouve un peu M. d'Argentcourt, je m'adresserai à vous. Adieu, je réclame votre ancienne amitié, et vous prie d'être assuré de toute la mienne.

«TCHERNITCHEFF.

<< Belitz, ce 10/22 août 1813, dix heures du soir. »

Je ne demandai pas mieux que de donner de l'argent à tous ceux qui m'en demanderaient, pourvu que mes fourgons arrivassent seulement sains et saufs.

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Bataille de Gross-Beeren. La bataille de Gross-Beeren1 eut lieu; les généraux Bülow et Tauenzien se couvrirent de gloire. Le corps de Winzingerode ne prit presque pas part à ce glorieux combat, excepté la cavalerie légère et les Cosaques qui eurent beaucoup de besogne. Je fis quelques centaines de prisonniers et, la nuit de la bataille, je surpris un détachement à Lückenwalde, que je chassai à la grande joie des habitants, qu'on avait déjà commencé à piller et à maltraiter.

La bataille de Gross-Beeren fut gagnée et le maréchal Oudinot forcé à la retraite.

1. 11/23 août 1813.

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