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les formes. On voit que presque à toute occasion la pensée ou le sentiment de Le Brun se tournait naturellement en vers, et que la plupart de ses épigrammes ont été les fruits du moment. Elles représentent en quelque sorte la scène mobile du monde, et lui mêlé parmi les acteurs et les actrices, touché du bien, choqué da mal, s'amusant des ridicules, lançant et recevant des traits; c'est ce qui donne à son recueil un caractère tout particulier. Si un homme d'esprit affecte devant lui de louer ses épigrammes aux dépens de ses odes, il le regarde, et laisse échapper ce quatrain :

Dans l'épigramme au moins j'ai su te plaire;

Là, je suis bon, tu le dis, je le croi;
Je n'ai pourtant jamais parlé de toi :

O mon ami! la meilleure est à faire.

Il trouve une tourterelle chez une femme un peu légère, qu'il appelait son joli rien; il adresse à l'oiseau cette question naïve :

De la fidélité doux et touchant modèle,

Que fais-tu chez une infidèle ?

Gaston, qui n'avait point encore traduit l'Enéide, et qui était peu connu, lui fait je ne sais quelle tracasserie dans un Lycée. Le Brun se le fait nommer, et ce nom ne lui apprenant rien, il dit avec simplicité, mais avec une fierté qui paraît excusable :

De cet homme que j'ignore

En vain me suis-je informé ;
Depuis qu'on me l'a nommé

Je le connais moins encore.

Il commençait à perdre la vue; il veut prier une jolie femme de l'aider à se conduire et fait sur-le-champ ce quatrain :

Las! j'y vois peu ; l'amour qui n'y voit guère
Veut me guider; en ce péril commun
Secourez-nous, bel ange de lumière :

Vous conduirez deux aveugles pour un.

Il était devenu tout-à-fait aveugle; l'habile oculiste Forlenze lui fait l'opération de la cataracte; l'opération à

peine finie, Le Brun dicte ces quatre vers, qui ont un
sens relatif à la position dans laquelle il était alors :
Un art divin me rend les yeux :

L'amour et l'amitié devant moi vont paraître ;
Grace à Forlenze, j'y vois mieux;

Demain j'y verrai trop peut-être.

Enfin pour ne pas multiplier ces exemples autant qu'il serait aisé de le faire, il se laisse mener à la campagne; on lui fait entendre de mauvaise musique, composée par la maîtresse de la maison et chantée par elle avec une prétention ridicule; il s'en console en faisant en luimême ce dixain naïf et comique, qui l'amusa beaucoup et qu'il n'a peut-être jamais dit à personne.

Bonjour, madame du corbeau !

Vous êtes le vrai Gluck femelle ;
Vous chantez mjeux que Philomèle ;
Vous savez l'art mieux que Rameau.
Par un accord bien sympathique,
A votre voix, de ces étangs
Les mélodieux habitans

Joignent leur orchestre aquatique.

Bonsoir, madame du corbeau :

Votre concert est vraiment beau!

Il est plus que tems de finir; mais comment se fixer et se borner dans une si grande abondance? L'espace et le tems manquent avant la matière. J'aurais pourtant encore à parler des Poésies diverses, qui terminent ce troisième volume. Plusieurs pièces, fort agréables, étaient déjà connues, telles que les vers sur l'arrivée de Voltaire à Paris, le Jugement de l'Amour sur les yeux noirs et les yeux bleus, l'idylle intitulée : l'Amour et les Oiseleurs; plusieurs morceaux écrits dans la guerre poétique contre les femmes poëtes, etc. D'autres étaient inédites, et l'on distingue sur-tout, dans ce nombre, des stances spirituelles et piquantes sur La Fontaine, qui finissent par celle-ci :

Qu'un petit docteur au front chauve
Dise que ces jeux (4) sont maudits;

(4) Les contes.

Je n'en crois rien; si l'esprit sauye,
La Fontaine est en paradis.

Il faudrait aussi dire quelque chose du quatrième volume qui contient la correspondance de Le Brun avec Voltaire, Buffon, d'Alembert, etc. et quelques morceaux de prose, particulièrement des réflexions sur le génie de l'ode, où Le Brun a si bien loué J. B. Rousseau, le seul rival qu'il eût à craindre; mais déjà forcé d'avouer qu'il était plus que tems de finir, j'aurais trop mauvaise grace à ne point finir encore.

Je me crois dispensé de tirer de tout ce que j'ai dit un dernier résultat sur le génie de Le Brun, sur le genre de son talent, sur ses beautés, ses défauts, et sur le rang que je crois lui être dû parmi nos poëtes.. Dans l'Ode dans l'Elégie et dans l'Epigramme, je ne pense pas qu'on puisse lui en assigner un au-dessous du premier, quoiqu'il ait quelques défauts que n'ont pas ceux auprès desquels il y sera placé ; mais c'est à la postérité à prononcer là dessus en dernier ressort. J'ai mis, par des citations multipliées, le public en état de pressentir ce jugement; je l'ai fait sans autre passion que mon zèle pour un art que je cultive peut-être mal, mais que j'aime toujours et que j'ai beaucoup étudié. C'est le même zèle qui m'a soutenu dans les soins assidus que j'ai pris, pendant dix-huit mois, de l'édition de ces quatre volumes, au milieu d'occupations multipliées, et sans aucun intérêt quelconque, sans nulle autre récompense que la persuasion intime d'avoir, par cette publication, accrú les richesses poétiques et la gloire littéraire de mon pays. GINGUENÉ.

LA MORT DE PYTHAGORE.

LYSIS de Tarente, Timée de Locres et Euryphames de Syracuse, s'avançaient dans un vallon solitaire, peu éloigné de la ville de Métapont. Tous trois gardaient le silence, et souvent de profonds soupirs s'exhalaient de leurs poitrines oppressées. Ils arrivèrent dans un bois, et Lysis dit à ses deux compagnons : C'est ici qu'il faut nous arrêter; c'est près de ce rocher, si je ne me trompe, que notre mai

tre veut que nous l'attendions. Les trois philosophes s'assirent sur le tronc d'un vieux cyprès qu'une tempête avait abattu, et la tristesse dont ils étaient pénétrés, les empêcha pendant quelque tems de s'entretenir comme ils avaient coutume de le faire; car, lorsqu'ils se trouvaient réunis loin de tout profane, ils répétaient les préceptes, qu'ils avaient reçus de la bouche de celui qui leur avait enseigné. la sagesse.

Enfin, Euryphames s'adressant à Lysis, lui dit: Il est donc vrai qu'après avoir passé sa vie à étudier la sagesse. et à la faire aimer, notre maître n'a plus d'asile sur la terre Forcé de fuir de contrée en contrée, comme un criminel, il est souvent réduit à chercher un abri dans l'antre d'une bête sauvage. Les lions et les tigres sont moins cruels que son implacable ennemi. Un jeune homme qui n'est presque qu'adolescent, poursuit un illustre octogémaire, avec celte ardeur qu'une jeunesse inconsidérée et pervertie met toujours à satisfaire ses passions. Quel est donc ce malheureux Cylon qui empoisonne lui-même son ame en s'enivrant de haine et de vengeance? Cher Lysis vous étiez à Crotone; vous avez été témoin de tout ce qui s'y est passé. Daignez m'en instruire; car, depuis son départ pour la Sicile, je n'ai pas vu Pythagore.

Notre maître, répondit Lysis, a visité la plupart des princes qui règnent dans celte île, et ses discours sages ont contribué, dans presque toutes les villes, à rendre le sort des peuples plus heureux. Le tyran de Centorupine en fut si touché, qu'il déposa la tyrannie; et même, afin de vaquer sans distraction à l'étude de la sagesse, il donna à sa sœur une partie de ses biens, laissa l'autre à la ville, et ne se réserva que ce qui lui était nécessaire pour vivre dans l'état d'un simple particulier.

En arrivant à Agrigente, Pythagore vit sur la place l'épouvantable machine que Pérille inventa pour seconder les fureurs de Phalaris. Un courtisan subissait alors cet horrible supplice. L'ardeur des flammes dont on échauffait le taureau d'airain où cet infortuné était enfermé, lui faisait pousser des cris qui ressemblaient au mugissement d'un bœuf. Pythagore, pénétré de douleur, se rendit au palais du tyran pour essayer d'adoucir cette ame féroce.

Phalaris avait souvent entendu parler de Pythagore; il fut curieux de juger par lui-même d'une éloquence qui avait opéré tant de prodiges, et il ordonna que le philosophe lui fût présenté en présence de toute sa cour. Dans

cette assemblée, composée des satellites du plus cruel des tyrans, Pythagore parla avec liberté, avec force, avec autorité, comme s'il eût été au milieu de ses disciples. Il leur dit que les ames sont filles du ciel, et qu'elles en descendent pour venir habiter sur la terre, pendant un petit nombre d'années; qu'elles y sont comme dans un lieu d'assemblée, où les unes travaillent pour la gloire, et les autres pour le profit, tandis qu'un petit nombre d'ames, éclairées sur leurs véritables intérêts, foulent aux pieds l'avarice et la vanité, étudient la nature, et cherchent à se mettre sur le chemin de la vertu. Il leur montra aussi l'œil de la Providence fixé sur les hommes, sans qu'il leur soit possible de se dérober un seul instant à ses regards.

Ces vérités ne touchèrent point le tyran, mais elles l'effrayèrent; il aurait voulu les anéantir, et s'imagina pouvoir y parvenir, en quelque sorte, en faisant périr celui qui les enseignait. Pythagore fut jeté dans un cachot, avec le scythe Abaris qui l'accompagnait, et le jour de leur trépas fut publiquement annoncé; mais Phalaris avait comblé la mesure de ses crimes: il fut lui-même frappé par la mort quelques heures avant celle où les deux philosophes devaient subir leur supplice.

Pythagore revint ensuite à Crotone et reprit le cours de ses instructions. Il enseignait, comme auparavant, les femmes dans le temple de Junon, et les enfans dans celui d'Apollon.

Les disciples se présentèrent en foule à son école, et sollicitaient avec empressement la faveur d'être initiés dans la partie la plus mystérieuse de nos maximes. Chaque jour il en arrivait, non-seulement de l'Italie, mais aussi des villes les plus célèbres de la Grèce, car le voyage de Pythagore avait étendu au loin sa réputation; mais la crainte de verser l'huile précieuse et pure de la sagesse dans des vases corrompus, obligeait notre maître à prendre des précautions scrupuleuses, pour connaître parfaitement ceux qui demandaient à être instruits.

Le jeune Cylon, fier du crédit que lui donnaient dans Crotone une naissance distinguée et des richesses immenses, se présenta dans l'école. Il croyait honorer Pytha gore en se rangeant au nombre de ses disciples. Le philosophe promit de lui donner, quelques jours après, une réponse positive. Il examina la physionomie de Cylon; elle lui parut annoncer à-la-fois la bassesse et l'orgueil; il

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