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citerez encore ce malicieux Voltaire qui, en fait de poëme, n'aimait même pas la prose d'Ossian, et qui nous a montré un Florentin improvisant une épopée ossianique en prose, avec une rapidité capable de déconcerter tous les Bardes ressuscités par Macpherson. Je vous demanderai d'abord s'il y aurait un si grand mal à rendre faciles les moyens de nous amuser, et je vous dirai, en second lieu, que la carrière de l'épopée en prose n'est pas si facile; qu'elle demande, à la versification. près, tout ce qu'on exige d'une épopée en vers: une action grande et intéressante, variée par des épisodes qui s'y rattachent naturellement; des caractères divers et fortement dessinés ; une peinture de mœurs brillante et fidèle; des tableaux de la nature pleins d'énergie et de vérité ; un style toujours noble et correct, et qui soit empreint tour-à-tour des différentes couleurs que le sujet demande. Je vous dirai plus: on dit en termes de coulisse, qu'il faut à l'Odéon des pièces plus corsées qu'au théatre Français, parce qu'à l'Odéon on ne compte ni sur l'harmonie des vers ni sur le charme du style. Eh bien! comme, dans un poëme en prose, on ne peut pas compter sur le style et sur l'harmonie, autant que dans une épopée en vers, il faut aussi que la fable soit plus corsée, c'est à dire plus compliquée, plus remplie d'évènemens, plus romanesque; d'où il suit qu'elle est plus difficile à imaginer.

Ces principes bons ou mauvais, sont du moins ceux d'après lesquels j'ai cru devoir examiner les Bergères de Madian, ou la Jeunesse de Moïse, et j'avoue même qu'ils me prévenaient favorablement pour un ouvrage dont l'auteur a fait tant de romans. Je me croyais à peu-près sûr de trouver, sinon un poëme dans toute la rigueur du mot, du moins une nouvelle fort intéressante ; j'ai lu ; et puisqu'il faut le dire, j'ai été cruellement détrompé. Mais qu'on ne me croie pas sur parole, je devais juger la Jeunesse de Moïse; c'est au lecteur à me juger à mon

tour.

L'exorde du poëme m'a d'abord un peu surpris : « Filles brillantes de l'erreur (s'écrie Mme de Genlis), muses séduisantes et trompeuses, ce n'est plus vous que

je puis invoquer ! Je ne veux plus m'égarer sur les bords du Permesse et de Castalie.... » Diantre! me suis-je écrié à mon tour, (pardonnez, lecteurs, cette exclamation un peu populaire) Mme de Genlis ne veut plus invoquer les muses profanes; elle les a donc invoquées autrefois. Elle a donc fait plus d'un poëme un peu païen; et je n'en ai pas connaissance! Et sans perdre de tems je vais consulter un catalogue des œuvres de Mme de Genlis publié en 1808. J'y trouve 48 volumes in-12, 2 vol. in-8°, un vol. in-18, de théâtre, de romans, d'ouvrages d'éducation, de morale, de piété, mais pas un pauvre petit poëme. Si elle en a mis au jour depuis, je prie son libraire de me l'apprendre; mais en attendant, je penserai que Mme de Genlis s'est permis une fiction assez forte, tout en renonçant à la fiction.

Cependant, Horace l'a dit; en fait d'invention tout est permis au peintre et au poëte, et quoiqu'il ne parle pas expressément des poëtes en prose, je ne veux pas chicaner plus long-tems Mme de Genlis. Venons à la fable de son épopée; elle est fort simple, comme on va le voir. Au premier chant on voit Moïse en fuite après avoir tué un Egyptien. Il s'endort, et Dieu lui envoie un songe prophétique, à l'imitation de celui qui est envoyé à Henri IV par S. Louis. Après avoir dormi, il se réveille, ce qui est fort naturel, et il arrive fort naturellement encore au pays des Madianites où il allait. Au chant second, Moïse s'assied auprès d'un puits. Sept jeunes filles viennent y tirer de l'eau. Le farouche Ithamar, à la tête d'une troupe de pâtres, veut les enlever. Moïse, comme tous les héros de poëme et de roman, met les ravisseurs en fuite, et comme dans tous les romans et dans tous les poëmes, le père des sept jeunes filles accueille leur libérateur. Les chants troisième el quatrième n'ont pas coûté davantage à l'imagination de l'auteur. Moïse, quoique bègue, comme chacun sait, y parle seul d'un bout à l'autre sans que ses auditeurs soient fatigués. Il raconte dans le troisième tout ce que l'Ecriture nous apprend de sa naissance et de la manière dont il fut sauvé des eaux. Il fait des emprunts à l'historien Josephe pour nous parler de

son éducation, et Mme de Genlis lui prête seulement les détails de son retour chez ses parens, et la noble résolution de partager leur esclavage. L'Ecriture fait pour le quatrième chant les frais d'un sacrifice dans le désert; elle fournit l'histoire de l'Egyptien tué par Moïse, et de sa fuite causée par l'indigne reproche qu'il reçut à ce sujet d'un Hébreu. Mme de Genlis n'y a ajouté que la conversion de la fille de Pharaon opérée par Moïse, plus promptement et à bien meilleur marché que celle de Félix par Polyeucte, tant il est vrai que tout renchérit dans ce monde.... jusqu'aux conversions!

L'action recommence à marcher avec le cinquième chant. Moïse devient amoureux de Sephora, l'aînée des sept vierges qu'il a sauvées. Séphora devient en même tems amoureuse de lui. En même tems aussi Jethro, père de Séphora, conçoit le projet de les unir, et le poëme finirait sans ce farouche Ithamar qui avait aussi des vues sur elle. Il soulève tout Madian contre Moïse. Il vient en force pour l'enlever et le déchirer; mais pendant qu'il parlemente avec Jéthro, Moïse, tout en gardant les troupeaux, tue un lion, grand ennemi des Madianites, et il rentre chez Jethro en triomphe, à la barbe de son rival.

C'est avec le secours du R. P. Dom Calmet que Mme de Genlis ouvre le sixième et dernier chant par la fête de la Gerbe sacrée. Elle envoie ensuite en Egypte demander aux parens de Moïse leur consentement à son mariage avec Séphora. Le consentement arrive, mais Ithamar n'est pas mort. Il conspire de nouveau contre Moïse, et cette fois il prend pour complice le prophète Balaam; ici c'est encore la Bible qui contribue. Mme de Genlis la quitte cependant bientôt pour mener Ithamar et Balaam en guet-à-pens surprendre et assommer Moïse; mais la Sainte-Ecriture tire le prophète de ce nouveau danger; il se retourne, son visage rayonnant met ses ennemis en fuite, et il épouse Séphora.

On pensera sans doute avec moi que la faculté d'invention n'a pas été prodigieusement fatiguée chez Mme de Genlis pour la composition de cet ouvrage; mais on pourra dire aussi que l'invention des faits n'est pas une

chose très-essentielle; que le bon La Fontaine n'en a point inventé, et que l'imagination peut se déployer dans les détails d'une manière tout aussi brillante. Voyons donc si, sous ce point de vue, l'examen de la Jeunesse de Moïse sera plus favorable à Mme de Genlis. On voit des combats dans tous les poëmes, et j'en trouve deux dans le sien. Le premier est soutenu par Moïse contre Ithamar et son détachement. Les pâtres ont fait une espèce de farandole autour des filles de Jéthro. Ithamar a saisi Séphora, mais tout-à-coup Moïse, qui était à cent pas, le saisit lui-mêmeet le terrasse. On le laisse faire; on le laisse mettre ses derrières en sûreté en s'adossant au mur du puits, et c'est alors seulement qu'un pâtre s'approche armé d'une massue. Que fait Moïse qui n'a qu'une baguette pour se défendre? Il enlève d'une main le téméraire, le suspend sur le puits, lui fait un long discours qu'écoutent paisiblement ses camarades; puis imitant le quos ego de Virgile, il laisse tomber le pauvre pâtre sur le gazon. Vous pensez peut-être que le farouche Ithamar et ses compagnons vont le venger? Rien moins que cela : la frayeur les saisit, et ils prennent la fuite. Ithamar seul s'arrête à cinquante pas; il met un caillou dans sa fronde, et le lance contre Moïse. Le caillou devient en l'air une flèche homicide et va frapper Moïse au pied; mais aussitôt Moïse le ramasse, et quoique la flèche soit redevenue caillou, il le lance à Ithamar et lui casse l'épaule. Ithamar tombe, les bergers l'emportent, et voilà le combat fini. Je le crois tout-à-fait neuf et très-différent de ceux que l'on a pu voir dans l'Iliade et dans l'Enéide; mais je suis fâché qu'il soit aussi invraisemblable que nouveau. Quant au second exploit de Moïse, je m'y arrêterai moins long-tems; c'est le combat avec le lion, que j'ai annoncé d'avance. Ce qu'il a de plus remarquable, c'est que, pendant que l'animal fond sur Moïse, Moïse lui lance successivement et avec une extrême promptitude deux cailloux aigus qui lui crè vent les deux yeux. C'était un rude frondeur que ce Moïse! Il est malheureux que son récit ressèmble un peu à celui du baron de Munichhausen, le plus grand craqueur de l'Allemagne, qui, avec deux grains de plomb

dans sa carabine, creva aussi les deux yeux d'un pauvre lièvre qui avait l'insolence de le regarder.

On veut aussi des amours dans un poëme, et il y en a dans les Bergères de Madian. On a déjà vu, il est vrai, qu'elles sont assez brièvement traitées, puisque les amans et les parens y sont d'acord au premier mot: mais ce premier mot est dit par Moïse avec une finesse, une galanterie, dont nous ne voulons pas priver nos lecteurs. Dans le grand combat contre Ithamar, l'agneau chéri de Séphora avait été blessé legèrement, et ensuite sauvé par Moïse. Dès le lendemain matin, Séphora, toute amoureuse et toute rêveuse, tenait cet agneau sur ses genoux; elle pensait au départ de Moïse, qu'elle croyait prochain, attendu que la veille il n'avait rien répondu à l'offre obligeante que Jéthro lui avait faite de rester chez lui pour garder ses troupeaux. « Pauvre petit agneau, disait-elle, toi qui m'es si cher, après son départ je t'offrirai en sacrifice dans le temple... » Je ne sais si l'agneau était très-sensible à cette marque d'amitié; mais, un moment après, Moïse arriva. Séphora rougit, puis posant son agneau à terre : « Il est guéri, dit-elle; mais je ne le joindrai point aux troupeaux; je le garderai près de moi tant que vous resterez avec nous... Ainsi, répondit Moïse, il ne vous quittera donc jamais. » Dorat n'aurait pas pu mieux dire, mais peut-être pensera-t-on que les patriarches s'exprimaient un peu différemment.

En général, malgré les secours de la Bible et de Dom Calmet, Mme de Genlis n'a pas été assez fidèle aux mœurs et au costume. Je ne veux pour preuve que cette description du désert, qu'elle met dans la bouche de Moïse : ་ Qu'ils sont beaux ces asyles silencieux de la paix et de l'indépendance! Que j'aimais à m'enfoncer dans ces vastes forêts livrées à la nature, à parcourir ces plaines, ces vallons où l'industrie humaine, plus inconstante encore qu'ingénieuse, n'a jamais rien changé, rien détruit! Avec quel ravissement j'arrêtais mes regards sur ces paysages admirables où l'on retrouve en-, core le dessin primitif, tracé par la main divine du créa teur! Avec quel attendrissement je découvrais toutes les richesses, tous les trésors du désert rassemblés là, sans

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