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à la rencontre d'un convoi attendu de la Guadeloupe et chargé de dix-huit cents hommes de troupes, pour le conduire à l'île qu'on veut préserver.

Ce convoi était tombé sous le vent; et, au bout de vingt heures de recherche, M. de Bouillé l'aperçoit à une trop grande distance pour qu'il lui soit possible de le rejoindre. Il invite alors le commandant de l'Iphigénie à le conduire à Sainte-Lucie; mais cet officier lui oppose les ordres du comte d'Estaing. Découvrant enfin un petit corsaire de dix canons qui s'approche, Bouillé s'y jette avec l'un de ses aides de camp et son secrétaire. Il arrive ainsi, à l'entrée de la nuit, en vue de l'escadre française, mouillée dans la baie du Choq. Au risque de se faire prendre, il avance toujours, et, à neuf heures du soir, se trouve près de M. d'Estaing qui d'abord veut le retenir jusqu'à l'instant où luimême il doit aller se mettre à la tête des troupes de terre. Dès le lendemain cependant, Bouillé peut se faire débarquer et rejoindre celles-ci. Au moment où il commence à les disposer pour l'attaque, M. d'Estaing arrive, change le plan d'opérations, engage l'affaire, la dirige et, en quarante-huit heures, la laisse aboutir à un échec meurtrier, à la suite duquel il remet à M. de Bouillé le soin de la retraite, puis du rembarquement quelques jours après. Par de sages mesures et grâce à la ferme attitude des troupes, Bouillé exécute l'une et l'autre sans laisser à l'ennemi le moyen de rien entreprendre contre ses mouvements; et si le gouverneur particulier obtient une capitulation honorable pour les habitants et pour sa faible garnison, il en est redevable à l'exemple d'indulgence et de modé

ration par lequel le marquis de Bouillé avait signalé sa conquête de la Dominique. Il en résultait, ainsi que le remarque l'historien anglais déjà cité, « une émula«<tion de courtoisie et de générosité très honorable << pour les deux nations, au milieu de leurs hostilités1. »

Ainsi tomba sous la puissance britannique cette île qu'avec quelques renforts on aurait pu mettre d'avance à l'abri de toute surprise, si la cour n'en eût méconnu l'importance. Les Anglais la firent bien apprécier durant le reste de la guerre. Elle devint leur place d'armes, le point de réunion de leurs forces navales aux Antilles. De là ils purent surveiller constamment et sans danger nos mouvements dans la rade du FortRoyal, et intercepter les convois qui auraient cherché à atterrer sur la Martinique par le canal de SainteLucie.

M. d'Estaing ressentait de sa défaite un chagrin vivement exprimé dans la lettre qu'il adressa, le 3 janvier 1779, au ministre de la marine. « Monseigneur, « y disait l'amiral, de chute en chute et d'un malheur « à l'autre. L'escadre du roi réunie ici, prête à con« quérir, n'a pu défendre ou du moins reprendre << Sainte-Lucie..... M. le marquis de Bouillé, débar« qué avec les troupes, avait fait forcer par M. le marquis de Livaro, colonel en second du régiment d'Ar« magnac, un poste avancé des ennemis..... M. de « Bouillé, M. de Lowendal et moi nous trouvâmes au « même point; un engagement général en fut la suite, « et une redoute anciennement construite dans le bois

(1)Andrews, tome III, page 187.

« et emportée avec vigueur devint le fruit d'une « attaque très meurtrière, et que j'ai commis la faute « de vouloir rendre décisive..... La retraite à été faite << d'après les dispositions de M. de Bouillé, par M. le « vicomte de Damas qui a replié tous les postes avec « autant d'ordre que de sagesse. Les ennemis ne nous << ont point interrompus..... La profonde douleur dont « je suis pénétré n'influe pas sur mes démarches, mais je ne vous dissimule pas que mon dévouement total « pour le service du roi peut seul me faire résister à « l'enchaînement inconcevable de circonstances acca«< blantes elles ont sans cesse annulé le zèle et les

<< moyens1. »

Pour soulager l'amertume de cette douleur, M. d'Estaing allait avoir le tort de faire circuler des mémoires accusant ses divers coopérateurs de désobéissance, de faiblesse, de malveillance ou de mauvaise conduite. Vis-à-vis de l'opinion publique, il devait toutefois rencontrer un appui chez les négociants francais en général, dont depuis lors il ne cessa réellement de soutenir avec efficacité les intérêts dans nos colonies. A cet égard, M. de Bouillé lui rendait complète justice. « C'est, a-t-il dit*, le seul amiral français que j'aie vu << tirer parti de ses frégates pour éclairer l'ennemi « désoler son commerce et protéger le nôtre; qui ait « fait sortir des divisions de vaisseaux pour l'inquiéter << et le tenir en échec; qui ait accéléré les réparations << de son escadre et ait eu la précaution d'avoir toujours

(1) Archives du ministère de la marine.

(2) Dans ses mémoires inédits.

<< un certain nombre de vaisseaux de garde, prêts à « faire voile pour exécuter sur-le-champ les signaux et <«<les mouvements que les circonstances imprévues << peuvent exiger. >>>

Mieux cependant que par de violentes et calomnieuses imputations, M. d'Estaing sut encore, avec ses forces qui furent presque aussitôt augmentées, se procurer, peu de mois après, un dédommagement et une satisfaction en s'emparant des îles de Saint-Vincent et de la Grenade, contre de faibles garnisons de quelques centaines d'hommes, il est vrai, auxquelles il imposa de très dures conditions1. Objet principal de sa jalousie et de son animosité, M. de Bouillé se voyait exclu de ces expéditions après en avoir fourni le plan; et réciproquement il venait de solliciter son propre rappel,

(1) Andrews.

Lettre de lord Macartney à lord Germaine, au sujet de M. d'Estaing. «< 5 juillet 1779, Grenade, Saint-Georges.

J'ignore jusqu'à quel point sa conduite si contraire aux ⚫ usages ordinaires dans cette circonstance, les ordres qu'il a donnés • pour le pillage, ou sa persévérance à nous refuser une capitulation

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juste et à insister sur une autre qui était inadmissible, j'ignore,

dis-je, jusqu'à quel point de pareils procédés peuvent être approu⚫vés de sa nation; mais dans le cours de la guerre ce sont certaine⚫ment les Français qui auront le plus à souffrir des exemples qu'ils viennent de donner. »

a

(2)

(Archives du ministère de la marine.) Lettre du marquis de Bouillé au ministre de la marine.

<< De la Martinique, 31 mars 1779.

Il m'est impossible de servir plus longtemps sous les ordres de . M. d'Estaing. Si le sort des colonies lui est confié et que je ne re⚫çoive pas mon congé, je vous préviens que je pars, et vraisembla⚫blement plusieurs officiers supérieurs en feront autant. Je suis prêt

au moment où lui arrivèrent les témoignages du contentement du roi au sujet de la prise de la Dominique. Bientôt il reçut du ministre une lettre qui lui confirmait la nouvelle de l'ordre donné à M. d'Estaing de rentrer en France, et qui contenait l'assurance que désormais il n'aurait plus à servir avec cet amiral. Mais contrairement aux volontés de la cour, dont il déclina l'exécution avec colère, M. d'Estaing allait emmener (20 juillet 1779) plus de trois mille hommes de troupes, emporter tous les fonds et toutes les munitions, sans accorder à M. de Bouillé un seul bâtiment armé qui pût mettre les îles françaises à l'abri d'un coup de main, ni même des insultes d'un corsaire.

Presque dépourvu de tout moyen de défense et encore plus d'attaque, Bouillé ne devait pas moins réussir pourtant à conserver nos nombreuses possessions dans les Antilles, tour à tour menacées par les Anglais pendant l'absence des forces navales françaises employées vers le nord de l'Amérique. « Partout où << l'ennemi se présenta, il trouva Bouillé, a dit un bio༥ graphe1, et Bouillé valait à lui seul une armée par la << confiance qu'il inspirait à la garnison de chacune << des îles et par la crainte que son nom imprimait à << l'ennemi. >>

Son commandement s'étendait alors sur la Martinique, la Guadeloupe et leurs dépendances, sur la Do

à faire au roi tous les sacrifices possibles, je consens même à être • aux ordres d'un officier général de mer si le bien du service l'exige, mais celui-là est au-dessus de mes forces. »

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(Archives du ministère de la marine.) (1) Biographie universelle de Michaud, Paris, 1812, t. V, p. 311.

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