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Pourquoi donc cette fière devise, mise en regard de celle des sectes: le droit est dans la force, n'eut-elle pas le bonheur de triompher?

C'est qu'après l'expulsion de la royauté légitime en 1830, le lien qui unissait les grandes monarchies dans un but de mutuelle défense était brisé, car, devant la force, elles n'avaient pas même protesté pour le droit ; c'est que la Sainte Alliance, dont les congrès de souverains avaient, sous la Restauration, constaté la vitalité relative, n'était plus qu'un souvenir.

Dès lors les sociétés secrètes n'avaient pas de frein; les appels de Metternich au concert des cabinets, dans les questions qui engageaient l'avenir des peuples, demeuraient stériles.

La France appartenait à la Révolution, sous des formes trompeuses de modération et de paix ; l'Angleterre trempait dans les complots. Comment l'Italie, la Suisse, l'Allemagne pouvaient-elles résister au travail continu en faveur du mal?

Et puis ne laissait-on pas, par de coupables inerties, pénétrer l'ennemi commun dans les places qu'il désirait envahir? La Prusse se mettait à la tête de la coalition protestante contre les droits et les libertés imprescriptibles de l'Église? La Russie, pour déraciner la nationalité polonaise, faisait par la violence et par la ruse une guerre lamentable à ses croyances religieuses. Le rationalisme et par suite l'esprit de sédition ravageaient au delà du Rhin les universités et les gymnases. En face de tant de périls, les répressions matérielles étaient inefficaces. Il fallait invoquer les vrais principes. Là était le droit qui avait la force de tout sauver, sinon de tout préserver. Quand donc Metternich, parcourant d'un regard satisfait son long ministère, dans le testament qu'il léguait à la postérité, applaudit à ses actes comme à ses intentions, il ne méconnaît pas les écueils où sa fortune devait échouer, mais peut-être, sans s'arrêter aux surfaces, ne va-t-il pas jusqu'au tuff, si nous pouvons ainsi dire, d'une situation qui bravait son génie.

A tout prendre, Metternich est la plus grande figure d'homme d'État qui ait illustré notre siècle. Il n'est point de ceux dont la mémoire ne résiste pas à la justice du temps. Vue à distance, elle ne perd rien de son éclat. En rentrant, pour y finir ses jours, au foyer domestique. qu'il honorait par ses vertus et charmait par son cœur, il restait sans peur dans les ruines amoncelées autour de lui. Ce n'était pas l'orgueil du stoïcien qui soutenait son courage, c'était le sentiment du devoir accompli, la joie austère d'avoir combattu pendant un demi-siècle les bons combats.

GEORGES GANDY.

V

LES PRÉTENDUES POÉSIES DE CATHERINE DE MEDICIS.

Tous ceux qui prennent quelque intérêt aux hommes et aux choses du xvIe siècle n'ont pas été médiocrement surpris par la publication récente d'une série d'articles portant ce titre plein de promesses: Les poésies inédites de Catherine de Médicis 1. On n'a pas vainement passé vingt ou trente ans de sa vie à étudier l'histoire des Valois, sans être pris d'une légitime curiosité et même d'un peu de dépit, en apprenant tout d'un coup que le hasard a permis à un jeune écrivain de découvrir et de mettre en lumière tout un côté de la physionomie et du génie d'une femme illustre, que l'on croyait connaître à fond, et qui, sur un point spécial, en astucieuse italienne qu'elle était, aurait pendant plus de trois siècles dérobé son secret aux plus laborieux et plus habiles historiens. Ceux particulièrement qui se sont préoccupés depuis longtemps de recueillir tous les souvenirs, tous les papiers publics ou privés, toutes les pièces d'archives, toutes les correspondances concernant Catherine de Médicis, un La Ferrière, un A. Baschet, un L. Lalanne, pour ne citer que les plus connus, ont dù se précipiter avec un enthousiasme mêlé de quelque inquiétude sur les quatre livraisons de la grave Revue dans laquelle cette révélation paraissait pour la première fois.

Leur curiosité a dû être singulièrement déçue, en ne rencontrant dans les deux premiers articles que des renseignements absolument vulgaires et des détails d'une banalité digne des dictionnaires historiques. A la rigueur cela pouvait passer pour une introduction obligée, et, avec la troisième partie, on arrivait évidemment au but, puisque ce chapitre portait en sous-titre : Les cinq épitres de la ReineMère 2.

D'où venaient ces poésies inédites? Dans quel manuscrit ignoré avaient-elles été découvertes? Dès la seconde page le secret était

1 Correspondant des 10 et 25 mars, 10 et 25 mai 1883: Les poésies inédites de Catherine de Médicis, par M. Edouard Frémy, premier secrétaire d'ambassade.

2 Correspondant du 10 mai 1883, t. CXXXI.

dévoilé. Les précieuses pièces se trouvaient tout simplement dans un manuscrit du fonds français de la Bibliothèque nationale, portant le n° 883, format in-folio parvo, et contenant 93 feuillets. Point de titre d'ailleurs au volume, ni d'indication touchant l'origine de ces pièces de vers, écrites sur des sujets fort différents. Mais, du folio 30 au folio 36, on y peut voir les « cinq épîtres, » adressées par Catherine de Médicis à Philippe II et à sa fille Élisabeth de France, épouse de ce prince. Comment M. Frémy a-t-il été amené à croire que ces poésies avaient pour auteur celle que si longtemps on a appelé « la reine-mère ? » La trouvaille n'a rien de personnel : l'auteur a jugé bon seulement de se l'approprier, et il est le premier depuis trente-cinq ans qui ait eu cette pensée.

En 1848, M. Paulin Paris publiait son grand travail intitulé : Les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, l'un de ces précieux catalogues qui ont précédé l'oeuvre vraiment gigantesque à laquelle M. Léopold Delisle attachera son nom. Dans le tome VII, à la page 88, et à la table du même volume, M. Paris indique par une simple note que les pièces contenues dans ce volume sont de Catherine de Médicis et des autres princesses de la maison de Valois. Où le savant chartiste a-t-il puisé ce renseignement? Sans doute dans un précédent catalogue, dans une indication fournie par les possesseurs antérieurs du manuscrit. Au demeurant, il ne s'engage pas d'une façon absolue, et il n'attache pas plus d'importance à cette dénomination qu'à celle des milliers de volumes manuscrits qu'il s'est donné pour tâche de cataloguer. Son autorité n'est donc ici que très récusable; et on l'aurait bien étonné lui-même en le donnant pour seul juge de l'attribution véritable de ces poésies qu'il avait inventoriées en passant.

Toujours est-il qu'avant d'exploiter pompeusement une si rare découverte, il fallait mettre en avant d'autres preuves d'authenticité. C'est ce que n'a point fait M. E. Frémy: au contraire, toutes les indications accessoires qu'il donne à l'appui de sa thèse sont autant d'arguments propres à en démontrer l'inexactitude historique.

« Les Epitres adressées par Catherine de Médicis au roi et à la reine d'Espagne furent vraisemblablement écrites, dit l'auteur 1, dans le courant de l'année 1575, pendant et après le séjour d'Élisabeth de Valois sur la frontière française, » à l'occasion de la fameuse entrevue de Bayonne. C'est évidemment 1565 qu'il faut lire, puisque la reine d'Espagne est morte en 1568, et que la rencontre de la mère et de la fille eut lieu trois années auparavant. Nous n'insistons pas sur cette erreur d'impression; mais ce qui est plus grave, c'est que la

1 Correspondant du 25 mars 1883, p. 1105.

première des « Épitres » venant à parler de Cauterets, M. Frémy s'empresse de mettre en note, pour donner plus d'authenticité à la pièce et lui assurer en quelque sorte date certaine : « Dans cette lettre, Catherine décrit les eaux de Cauterets, où elle se trouvait alors avec sa fille; elle invite le prince à venir les rejoindre. »

:

Ici l'impossibilité devient absolue ; et l'auteur s'est laissé volontairement égarer par une circonstance qui justement aurait dû le ramener dans le droit chemin. Jamais Catherine de Médicis et sa fille Élisabeth n'ont été séjourner aux eaux de Cauterets. Dans cette année 1565, tous leurs jours sont comptés, et nous pouvons sans peine en rétablir minutieusement l'emploi. Il suffit de se reporter à deux documents bien connus, qui se trouvent reproduits dans le tome Ier des Pièces fugitives du marquis d'Aubais le Voyage de Charles IX en France d'Abel Jouan,et l'Itinéraire des rois de France. On y voit toutes les dates des passages successifs de la reine-mère et de son fils dans les diverses villes du royaume pendant l'été de 1565. Le 12 avril, la cour quitte Bordeaux; le dimanche 3 juin, elle fait son entrée à Bayonne. La reine d'Espagne y demeure dix-sept jours, et le roi son frère trente-trois. Ils en partent ensemble le 2 juillet; et,dès le lendemain, Élisabeth retourne en Espagne, accompagnée jusqu'au-delà de la frontière française par son autre frère le jeune duc d'Orléans. Le 14 juillet, séjour de Charles IX à Dax ; le 18, à Mont-de-Marsan ; Catherine de Médicis l'accompagne toujours : elle est marraine avec lui le 5 août. Ils s'arrêtent ensuite quelques jours à Angoulême, jusqu'au 18 août. Le 14 septembre, le roi fait son entrée à La Rochelle ; le 12 octobre, il est à Nantes; le 22 décembre, à Moulins, où a lieu l'assemblée politique célèbre. Où placer cette saison aux eaux de Cauterets avec la reine d'Espagne, et comment admettre que Catherine ait pu écrire à son gendre même en vers pour lui demander de venir les rejoindre? Philippe II avait déclaré ne pas vouloir aller à Bayonne ; il ne se souciait pas plus que sa belle-mère de se retrouver ensemble. M. Frémy ne l'ignore pas, puisqu'il dit plus loin en parlant des résultats de. l'entrevue de Bayonne : « Loin d'avoir effacé ou atténué leurs griefs réciproques, les deux cabinets avaient pu mesurer l'abîme qui séparait leur politique1. » Les «< cabinets » de Catherine de Médicis, de Charles IX ou de Philippe II ! Autant parler tout de suite de groupes parlementaires ou de majorité ministérielle!

Ce qu'il importe de retenir, ce n'est pas l'invraisemblance historique, c'est l'inexactitude fatale des dates. L'examen matériel du

I Correspondant du 10 mai, p. 512.

1

texte des poésies n'est pas plus probant. On lit, en effet, à propos de la seconde épître : <<< Il est à remarquer qu'en tête de la pièce qui commence à la page 32 et qui porte pour titre : La royne à Madame Isabel rayne d'Espagne, les trois derniers mots sont écrits par la reine-mère de sa propre main. » Nous nous sommes reportés à la page 32 du manuscrit; nous avons examiné les trois mots sans parti pris; nous les avons fait voir à d'habiles paléographes: il est évident qu'ils sont d'une autre écriture que le texte; mais jamais Catherine n'a pu les écrire. Il existe à la Bibliothèque nationale nombre de lettres autographes de Catherine; on connaît sa grande écriture incorrecte et lâchée: il n'est pas un habitué de la salle des manuscrits qui, sans être expert-juré, ne déclare à première vue que les trois mots en question n'ont rien de commun avec « la propre main » de la reine-mère.

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Continuant de soutenir sa thèse si contestable, et commentant les épîtres suivantes, l'auteur ne craint pas d'affirmer que « Catherine de Médicis avait pris goût à ce genre de composition poétique épistolaire. » Mais, comprenant que la poésie française, même au XVIe siècle, était peu compatible avec la connaissance imparfaite que la reinemère avait de la langue, il ajoute en note: « La prononciation et l'orthographe de Catherine étaient seules restées défectueuses; cette princesse ne l'ignorait pas, et confiait ses épîtres à un copiste chargé d'atténuer les incorrections de ces manuscrits dont, malheureusement, les originaux ne sont point parvenus jusqu'à nous 2. »

Voilà, ce semble, une supposition bien gratuite. Pourquoi Catherine aurait-elle pris un copiste ou un correcteur pour ses seules poésies, quand sa prose était non moins incorrecte? Comment personne, ni Brantôme, ni Hilarion de Coste, ni les ambassadeurs vénitiens ou florentins, ni les historiens qui sont dans toutes les mains et dont M.E. Frémy cite complaisamment les témoignages, n'auraient-ils jamais parlé de ce copiste, pas plus qu'ils n'ont signalé les poésies de la reinemère? Tout a été dit sur Catherine, sur ses habitudes, sur ses talents, sur ses goûts, sur ses dépenses, sur sa << vie et ses déportemens; >> et il ne se serait pas trouvé un écrivain pour raconter ou pour insinuer seulement qu'elle ne dédaignait pas de s'essayer dans le langage de Ronsard?

M. Frémy n'a point raison contre tout le monde, et surtout il n'a point appuyé son opinion d'un réel commencement de preuve. Non, Catherine de Médicis n'a jamais écrit en vers français. Son génie même était absolument réfractaire à ce genre d'exercice. Diplomate

1 Correspondant, t. CXXXI, p. 509. Correspondant du 10 mai, p. 613.

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