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Comment a-t-on pu trouver ici une description des chevaliers romains? A la fin du second siècle, les chevaliers romains n'étaient certes pas en position d'attirer à ce degré l'attention des voyageurs; le sénat, du reste, les a toujours éclipsés. Si Abercius avait cru devoir relever dans son épitaphe une catégorie de Romains, on peut croire que les viri clarissimi, les membres de l'amplissimus ordo, auraient eu la préférence. Du reste, il ne s'agit pas d'une catégorie, mais d'un peuple, adv. Combien n'estil pas plus naturel, en présence de ce peuple marqué d'un sceau glorieux, de se rappeler le peuple saint, les chrétiens, marqués au baptême du sceau du Christ et de l'Esprit Saint. Ce point acquis, l'interprétation du vers précédent devient aisée. La princesse toute chamarrée d'or, c'est l'Église, comparée si souvent dans les Écritures et dans les Pères à une reine aux brillants atours, sponsa ornata monilibus suis, regina formosissima, etc.; c'est l'Église romaine dont l'éclat au milieu de la chrétienté universelle est comparable à celui de la ville éternelle au centre de l'empire; c'est l'Église romaine que nous voyons tout le long du second siècle, visitée et vénérée par les chrétiens de tout pays, de toute condition et de toute nuance, asiatiques, orientaux, égyptiens, évêques, philosophes, orthodoxes, gnostiques, unitaires, montanistes, quartodécimans. Si Abercius avait eu l'idée de rappeler le souvenir d'une guérison miraculeuse opérée par lui, une idée, pour le dire en passant, qui ne vient guère aux saints personnages il lui eût été facile d'introduire dans ses

vers le mot izci ou quelque autre analogue.

Le voyage de retour se déduit tout aussi clairement de l'inscription. On y rattache le titre d'apôtre que saint Abercius portait sans doute dans le pays, comme saint Martial à Limoges. Le biographe tient beaucoup à mettre ce titre en relief. Il le fait décerner à Abercius par les habitants de Nisibe, qui s'autorisent, pour le lui donner, des longs voyages qu'il a faits et qui ressemblent aux pérégrinations des apòtres'.Revenu à Hiéropolis, le saint évêque ne tarde pas à mourir. Ici se place une description de son tombeau, préparé longtemps à l'avance. Ce tombeau lui-même est un souvenir de voyage. L'énorme pierre qui le surmonte et sur laquelle est gravée l'inscription a été apportée de Rome par

Se rappeler ici que le nom de saint Paul figurait à cet endroit dans l'inscription.

le démon dont les exorcismes d'Abercius ont délivré la princesse. A côté de ces développements qui rentrent assez naturellement dans l'épitaphe, il faut noter quelques détails empruntés aux souvenirs locaux. Ainsi le saint obtient de l'impératrice la construction d'un établissement de bains auprès d'une source thermale qu'il a fait jaillir par ses prières; c'est aussi à lui que l'on devait une distribution annuelle de froment, accordée par le fisc impérial aux pauvres d'Hiéropolis et maintenue jusqu'au règne de Julien l'Apostat. Cette partie du récit montre bien que les gens d'Hiéropolis voyaient dans Abercius un bienfaiteur de leur pays, et que son souvenir vivait parmi eux, même indépendamment de l'impression que son imposant monument pouvait avoir fait sur leurs esprits. En ce qui regarde l'établissement thermal, on peut espérer retrouver sur les lieux quelque trace de la source. M. Ramsay déclare1 qu'il n'en a pas aperçu ; mais il ajoute qu'Hamilton 2 signale dans la vallée de Sandukly, c'est-à-dire dans le pays d'Hiéropolis, un cours d'eau appelé en turc Hammam Sou (eau chaude ou bains chauds); il dit même qu'on lui avait parlé de sources thermales situées à peu de distance de sa route, mais qu'il n'avait pas eu le temps de les visiter.

Il y a aussi la légende de l'outre enchantée où le saint avait mêlé ensemble toutes ses provisions de voyage, huile, vin, vinaigre, et qui versait à son commandement celui de ces liquides dont il avait besoin; et l'histoire des laboureurs peu compatissants qui lui vannent du blé en plein visage et lui refusent à manger, ce pourquoi ils sont l'objet d'un châtiment céleste. Ces récits, d'une touche si populaire, n'ont absolument rien à voir avec l'inscription. Le biographe les aura recueillis sur les lèvres des gens de son pays.

Ainsi, sauf certains détails conservés et sans doute embellis par l'imagination populaire, toute l'histoire d'Abercius rentre aisément dans son épitaphe. Mais cette épitaphe elle-même, l'aspect somptueux du monument qui la portait, le style symbolique du poème, la vivacité des images, la profondeur des idées, les longs voyages du défunt, tout montre qu'Abercius a été pour ses contemporains un homme au-dessus de l'ordinaire. Ce n'est

1 The tale of s. Abercius, p. 13.

* Travels in Asia minor, II, p. 169, 170.

pas un chrétien quelconque qui aurait ainsi parlé du saint Pasteur, de la foi, du baptême, de l'eucharistie, des grandes églises de Rome et d'Orient; ce n'est pas un souvenir médiocre que l'instinct populaire eût ainsi consacré en lui rattachant l'origine des institutions utiles de la localité et en l'ornant de brillantes légendes.

Etait-il évêque? L'inscription ne le dit pas; cependant il ne faut pas se presser de tirer des conclusions de son silence, car, comme je l'ai déjà dit, on a tout lieu de croire qu'elle se terminait par une formule en prose où la qualité du défunt pouvait être mentionnée. Pour l'auteur de sa vie, il n'y a aucun doute. Abercius a été évêque d'Hiéropolis; il a même eu un successeur du même nom que lui. Dans les procès-verbaux du concile de Chalcédoine on trouve la signature suivante: 'AéрzioÇ Èλάуiσтos ἐπίσκοπος τῆς Ἱεραπολιτῶν πόλεως Φρυγίας Σαλουταρίας.

Le monument d'Abercius existait déjà au commencement de l'année 216. Cela ne veut pas dire qu'il contînt déjà la dépouille qu'il était destiné à recevoir. Abercius l'avait préparé de son vivant ; il est même possible qu'il ne fût pas encore mort au moment où Alexandre, fils d'Antoine, lui faisait l'honneur de copier son épitaphe. Cependant, comme il l'avait rédigée à soixante-douze ans, on ne peut guère admettre qu'il ait vécu bien des années après 216; il est même naturel de croire qu'il aura plutôt anticipé cette date.

IV

ABERCIUS MARCELLUS ET LE CHRISTIANISME EN PHRYGIE

AU TEMPS DE SEPTIME-SÉVÈRE.

En réunissant tous les renseignements que nous fournissent l'inscription d'Alexandre, nouvellement découverte, l'épitaphe d'Abercius et la tradition locale dont témoigne sa Vie, nous pouvons conclure qu'il a existé à Hiéropolis, vers la fin du

L'auteur de sa vie lui fait désigner, avant sa mort, son successeur immédiat, qui s'appelle aussi Abercius. Celui-ci pourrait bien être celui du concile de Chalcédoine, rapproché indûment de l'évêque du second siècle. De loin, les distances s'effacent, en histoire comme sur le terrain; les exemples de ce phénomène sont innombrables.

2 Act. VI et XVI; Hardouin, t. II, p. 480 et 633.

second siècle et peut-être pendant les premières années du troisième, un chrétien considérable, très probablement évêque du lieu, appelé Abercius.

Or, l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe nous a conservé des fragments importants d'un traité antimontaniste écrit précisément dans cette partie de l'Asie-Mineure et de la Phrygie et adressé à un certain Abercius Marcellus. En voici le commencement Voilà longtemps, bien longtemps, cher Abercius « Marcellus, que vous m'ordonnez d'écrire un livre contre l'hérésie des gens de Miltiade. Jusqu'ici j'ai éprouvé quelque répugnance à le faire, non que je me sentisse incapable de « réfuter le mensonge et d'attester la vérité, mais parce que je craignais de paraître donner un supplément aux livres du « Nouveau Testament, auxquels un fidèle disciple de l'Évangile ne doit rien ajouter ni retrancher. Ces temps derniers, étant à Ancyre de Galatie, je trouvai l'église du Pont agitée par cette « nouvelle prophétie, comme disent ses partisans, ou plutôt par « cette prophétie mensongère comme je montrerai qu'elle est en « effet. Selon mon possible et avec l'aide du Seigneur, je discutai, plusieurs jours durant, dans l'assemblée des fidèles, sur ce « sujet et sur les raisons que faisaient valoir les novateurs. Ces « conférences tournèrent à la joie de toute l'église qui se trouva « fortifiée dans la vérité; les adversaires furent repoussés pour le moment et les ennemis de Dieu furent affligés. Les prêtres << du lieu nous demandèrent, à moi et à notre collègue en sacerdoce, Zotique d'Otrous, qui était là aussi, de leur mettre par « écrit ce que nous avions dit contre les hérétiques. Nous nous «y refusâmes pour le moment, mais en promettant de le faire ici, avec l'aide du Seigneur, et de leur envoyer notre ouvrage 2.» Il résulte de ce prologue que l'auteur inconnu, Zotique d'Otrous et Abercius Marcellus étaient des prêtres, ou plutôt des évêques voisins; celui des trois qui paraît avoir le plus d'autorité c'est Abercius Marcellus, puisqu'il donne à son collègue des

La dédicace de ce livre, conservée par Eusèbe, écrit au vocatif 'Aoviprie Mapzeλλ. L'épitaphe et le concile de Chalcédoine ont tous deux la forme Afizios. Ce nom ne se rencontre pas ailleurs qu'à Hiéropolis; il ne paraît pas se rattacher à une racine latine ou grecque; c'est sans doute un nom phrygien hellénisé.

* Eusèbe, Hist. eccl., V, 16.

exhortations que celui-ci appelle des ordres. Le nom de la ville d'Otrous, dont Zotique était évêque, permet, grâce aux récentes découvertes de M. Ramsay, de déterminer le canton asiatique où vivaient ces trois personnages. Otrous est nommée par Hiéroclès, avec Eucarpia, Hiéropolis, Stectorion et Brouzos, en tète de la liste des villes de la Phrygie Salutaire, relevant de la métropole de Synnada. Or, M. Ramsay a découvert l'emplacement de Brouzos, dans la vallée de Sandukly, à l'ouest de Cassaba, l'ancienne Synnada. Le village de Kara-Sandukly, qui est évidemment une localité antique, contient un monument en place où se lit le nom de Brouzos. Un peu plus loin, au village de Kelendres, qui, lui, est complètement moderne, il a trouvé deux marbres apportés là du voisinage; sur l'un d'eux, se lit l'épitaphe d'Alexandre, fils d'Antoine, avec le nom d'Hiéropolis; sur l'autre une dédicace à l'empereur Septime-Sévère, avec la mention de magistrats locaux qui paraissent être ceux d'Otrous. Il reste un peu d'incertitude sur la position exacte d'Otrous et d'Hiéropolis, mais il est certain qu'à Kelendres on n'en est pas loin et que ces localités antiques sont à chercher aux environs, dans la vallée de Sandukly.

Bien avant que l'on eût ces données géographiques, alors qu'on ne savait où était Otrous et qu'on identifiait l'Hiéropolis d'Abercius avec Hierapolis ad Lycum, la plupart des critiques admettaient comme très probable l'identité de l'Abercius de l'inscription avec l'Abercius Marcellus du traité antimontaniste. Cette probabilité devient une certitude, maintenant qu'il est démontré: 1o que l'Abercius de l'inscription était habitant et probablement évêque d'Hiéropolis près Synnada; 2° que cette ville d'Hiéropolis était très voisine de la ville d'Otrous dont l'évêque, Zotique, paraît avoir été un ami commun de l'anonyme et d'Abercius Marcellus. On peut même dire que la concordance des temps n'est pas moins grande que la concordance des lieux et des qualités, car l'inscription d'Abercius et le traité de l'anonyme nous reportent également aux environs de l'an 200, vers le règne de Septime-Sévère. Mais il y a intérêt à préciser les dates qui nous viennent de ces deux côtés et je vais m'en occuper maintenant.

L'anonyme écrivait en un temps où le montanisme avait déjà une histoire assez longue. L'initiateur du mouvement, Montan, était mort; quelques-uns de ses principaux adeptes, et notam

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