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fallut rien moins que les lenteurs et les hésitations de la lutte au 9 thermidor entre la Convention et la Commune de Paris pour permettre l'intervention de la jeunesse, qui joua le rôle décisif1. Depuis ce jour elle apparaît comme une sorte de corps politique, dirigé dans sa prompte organisation par des chefs aussi intrépides que désintéressés, traitant souvent d'égal à égal avec le pouvoir et chassant à coups de bâton la lâche horde des Jacobins. Quand le canon de vendémiaire eut écrasé sur les marches de SaintRoch les courageux incroyables de la jeunesse dorée, la France retomba dans les proscriptions.

Louis XVI eût pu avoir ses clichiens. L'argent de la cour s'en alla à Mirabeau, qui promettait toujours, et mourut sans avoir trouvé un remède pratique; il s'égara entre les mains des utopistes et des faiseurs de projets, troqués sans cesse les uns contre les autres; il fut détourné par les chevaliers d'industrie et les policiers de bas étage, prélevant une trop forte dime sur ces tristes fonds secrets de la caisse royale qui ne pouvaient tenir tête à ceux de l'émeute. Dans l'espace de huit à neuf mois, on fit dépenser au Roi deux millions et demi pour la police des tribunes, où rien cependant ne fut changé. Les deux entrepreneurs de cette opération ont été accusés, non sans quelque motif, d'avoir distrait à leur profit tout ou partie de la somme. En effet, l'un fit des acquisitions pour douze à quinze cent mille francs, l'autre pour sept à huit cent mille. Sur les fonds secrets du ministère des affaires étrangères, on employait un intrigant nommé Durand. Par les mains de cet homme, M. de Montmorin fit remettre à Danton plus de cent mille écus pour des motions aux Jacobins, que le tribun, fidèle à son marché, proposa, tout en les assaisonnant de diatribes contre la cour.

Sous la Législative, les ministres prirent des mesures plus suivies et mieux combinées pour réorganiser la police royale. Le corps d'espions, formé, comme nous l'avons déjà dit, par Alexandre Lameth, passa sous la direction de M. de Lessart. Il

et c'est malgré lui qu'il se livre à celui qui le flatte le plus. (Schmidt, Tableaux, t. 1, p. 165.) Voy. dans le même ouvrage (t. 1, p. 74), la remarquable réponse du directoire du département à une circulaire de Roland (12 juin 1792), d'où il résulte que les agitateurs sont la plupart étrangers, et qu'en fermant les Jacobins on mettrait fin à la Révolution.

D'Héricault, La révolution de thermidor, p. 481.

se composait alors de trente-cinq individus, payés, suivant leur capacité et les services qu'ils pouvaient rendre, dix livres, cinq livres et trois livres. Ils devaient jouer leur rôle aux tribunes de l'assemblée, à celles des Jacobins et des Cordeliers, surveiller les groupes des Tuileries et du Palais-Royal, les cafés principaux, les cabarets des faubourgs. Gilles Clermont recevait chaque matin les rapports, qu'il transmettait à M. de Lessart, ensuite à BertrandMoleville, son successeur. L'alsacien Buob, ancien associé de la maison de banque Duvernoi, devenu juge de paix de la section de l'Observatoire, conduisait cette affaire avec autant d'intelligence que de courage. Il se servait de ces agents pour porter devant lui (on sait qu'à cette époque les juges de paix remplissaient les fonctions aujourd'hui dévolues aux juges d'instruction) les agissements des scélérats de tous les pays dont Paris était infesté.

Bertrand-Moleville, ayant été prévenu qu'il devait être attaqué à l'Assemblée avec une grande violence, fit venir un vainqueur de la Bastille qui lui avait des obligations particulières, et le chargea de racoler dans le faubourg Saint-Antoine deux cent cinquante ouvriers vigoureux, avec la promesse de cinquante sous de salaire, recrue d'autant plus facile que la réaction enchérissait de dix sous sur les enragés.

Cette nouvelle troupe ne manqua pas de se présenter de très bonne heure aux tribunes pour s'emparer des premiers rangs avant l'arrivée des claqueurs des Jacobins, qui, depuis longtemps maîtres absolus de la place, croyaient pouvoir en prendre à leur aise. Ce manège se renouvela les jours suivants. Afin de sauver les apparences, la transition fut habilement ménagée. A la première séance, les nouveaux venus se contentèrent d'applaudir, froidement et à d'assez rares intervalles, les orateurs de la gauche, tandis qu'ils accueillaient par de faibles murmures les défenseurs de l'ordre. Au bout de quelques jours, les plus beaux mouvements oratoires des révolutionnaires retentissaient au milieu d'un silence glacial. Les Jacobins, qui voyaient comme auparavant les tribunes garnies de gens en guenilles, ne comprenaient rien à ce changement. Enfin, à leur grande colère, les huées furent pour eux et les applaudissements pour leurs adversaires. Au sortir de la séance, ils interrogèrent quelquesuns des ouvriers descendant des tribunes. Les bons apòtres, qui T. XXXIV. 1er JUILLET 1883.

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avaient le mot d'ordre, répondirent unanimement qu'ils étaient envoyés par Pétion, ce qui attira au malheureux girondin une querelle et des reproches bien immérités. Le succès était donc complet et pouvait avoir d'importantes conséquences, quand le Roi arrêta l'entreprise, dans la crainte que ses ennemis en éveil n'arrivassent à la découverte de la vérité.

Au début de la Législative, en novembre 1791, Durand, l'intermédiaire du comte de Montmorin, proposa à M. de Lessart une négociation dont le succès pouvait être autrement décisif pour le salut de la royauté. Il promettait l'appui des chefs de la Gironde, Brissot, Isnard, Vergniaux, Guadet, l'abbé Fauchet, moyennant une pension mensuelle de six mille livres pour chacun d'eux. L'état des finances de la cour ne permit pas sans doute de conclure ce marché 1.

Telle est du moins l'assertion de Bertrand-Moleville, souvent contestée, il faut bien le dire, ou passée sous silence par la plupart des historiens. D'un autre côté, le comte Louis de Narbonne, l'adversaire de Moleville dans le ministère et qui, dans l'intérêt du Roi, eut un pied dans les deux camps, publiait, en septembre 1792, sa liste de républicains pensionnés par la cour, parmi lesquels figuraient, à côté de Gensonné, les montagnards Lacroix, Thuriot, Bazire, Albitte, Chabot et Merlin de Thionville. Nous n'osons pas sans doute nous prononcer d'une manière affirmative sur le point en litige, en présence des dénégations de nos prédécesseurs; il est pourtant difficile de ne pas accorder quelque crédit à la parole de deux hommes honorables, d'ailleurs divisés entre eux. Louis Blanc lui-même a établi, d'une façon incontestable, la vénalité de Danton, quoique sans épuiser toutes les preuves; Fauchet, dont la moralité fut toujours très suspecte et qui plusieurs fois avait défendu Narbonne à la tribune, donnait créance à ces bruits. Quant à Brissot, très décrié de son temps et mêlé à Londres à des affaires douteuses, il a repris faveur aujourd'hui et trouvé des défenseurs ailleurs que parmi les anarchistes. Sans prétendre confondre les Girondins avec des déprédateurs publics tels que Lacroix, nous abandonnons la solution de ce problème historique au hasard de découvertes ultérieures. Nous ne pouvons cependant nous défendre d'une

réflexion.

1 Mémoires particuliers de Bertrand-Moleville, t. I, p. 341, 355, et t. II, p. 8, 54 et suiv.

Brissot poursuivit Lessart de son animosité implacable, jusqu'à ce qu'il eut obtenu contre lui un décret d'accusation et le renvoi devant la haute cour nationale; le malheureux ministre devait être immolé à l'orangerie de Versailles avec ses compagnons de captivité.

Particulièrement désigné aux assassins de septembre, Montmorin fut égorgé avec des raffinements de férocité; Buod, le courageux juge de paix, périt aussi à l'Abbaye, avec son collègue Bosquillon, de la section Poissonnière. Tous deux, obéissant à leur devoir, n'avaient pas craint de commencer une instruction contre les auteurs de la journée du 20 juin1. Narbonne et Bertrand-Moleville échappèrent à la mort par la fuite.

Ainsi les triomphateurs du 10 août se hâtaient d'en finir, non seulement avec ceux qui avaient essayé de se mettre en travers de leurs projets, mais encore avec les dépositaires de secrets. dangereux 2.

ANATOLE DE GALLIER.

1 Mortimer-Ternaux, t. III, p. 255.

Une lettre de Pellenc au comte de la Marck (28 décembre 1792) jette une lumière un peu confuse sur les relations des chefs révolutionnaires avec la cour: «On était à peu près certain que le roi serait sauvé, quand les papiers de l'armoire de fer ont été trouvés. Tous les partis ont été compromis par ces papiers; il a fallu des arrangements secrets pour en cacher une partie et dès lors vous avez vu que tout le monde a été d'accord sur le jugement du roi; le parti Roland n'a pas perdu l'espoir de le sauver, soit par le renvoi aux assemblées primaires, soit par l'absolution ou par quelque mouvement populaire. C'est dans ce motif qu'il faut trouver l'explication du décret contre les Bourbons. En effet, deux jours auparavant, Brissot dit à Robespierre: « Vous voulez assassiner le roi, il le sera; mais vous ne sauverez pas le duc d'Orléans. » (Correspondance de Mirabeau,t. III, p. 360.)

LOUIS XVII AU TEMPLE

SOUS LA SURVEILLANCE DU GARDIEN LAURENT1

8 novembre 1794

29 mars 1795.

I

On sait quelle part décisive prit le conventionnel Barras à la journée du 9 thermidor. Nommé commandant en chef de la force armée par la Convention nationale au moment où celle-ci, menacée par l'insurrection, semblait perdue sans ressource, il se mit à la tête des sections fidèles, marcha à minuit sur l'hôtel de ville occupé par les insurgés, les mit hors la loi et fit arrêter Robespierre et ses complices.

A peine Robespierre fut-il abattu, que Barère, dans un rapport aussi violent que mensonger, se déchaîna contre lui, au sein de la Convention restée en permanence. « Il eut l'audace, » dit Barras dans ses Mémoires encore inédits, d'accuser le tyran « d'avoir voulu rétablir le fils de Louis XVI sur le trône et d'avoir, pour son propre compte, projeté d'épouser Mademoiselle, fille de ce monarque... » « A la suite du rapport de

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1 M. R. Chantelauze a découvert aux Archives nationales de nombreux documents inédits de la plus haute importance sur Louis XVII, documents qui, jusqu'à ce jour, avaient échappé aux recherches des historiens, et même à celles de M. de Beauchesne. La découverte de ces précieux documents a inspiré à M. Chantelauze la pensée de les mettre en œuvre pour une nouvelle histoire de ce charmant et malheureux petit prince, qui fut la plus innocente et la plus touchante victime de la Révolution. Nous sommes heureux de pouvoir offrir aux lecteurs de la Revue, sur un point des plus curieux, la primeur de l'important travail de M. Chantelauze. Hâtons-nous d'ajouter que le livre que nous annonçons apportera des preuves nouvelles, appuyées sur les textes les plus authentiques, à la thèse si péremptoirement établie ici-même par notre éminent collaborateur M. de la Sicotière.

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