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de certains tarifs et de la suppression des prohibitions m'a paru ressortir de l'histoire économique de la France depuis deux siècles, je me suis attaché, dans le résumé que j'ai fait des discussions et des débats qu'ont occasionnés, notamment dans les trente dernières années, les présentations des lois de douane de quelque importance, à reproduire, aussi exactement qu'il m'a été possible, toutes les raisons que les partisans des tarifs élevés et des prohibitions ont données à l'appui de leur opinion 1.

Personne n'ignore que la question à l'ordre du jour, en matière de douanes, et la seule qui soit en discussion, est celle de savoir s'il convient ou non de maintenir les tarifs actuels et les prohibitions qui y sont inscrites. Cependant, pour la commodité de la thèse qu'elles ont à soutenir, quelques personnes apostrophent d'imaginaires partisans de la liberté illimitée et immédiate des échanges et les accablent de leur dialectique. Quoi! parce que des hommes, qu'aucun intérêt personnel ne guide, réclament, dans les lois de leur pays, des modifications dont la plupart ne seraient, on en trouvera la preuve positive dans ce volume, qu'un retour à la législation douanière de la

Cependant, comme il ne serait pas impossible que, malgré tout mon désir d'être impartial dans une question dont je crois avoir bien compris toute la gravité, je n'eusse pas, au gré de quelques personnes, tenu la balance toujours exacte entre les deux systèmes économiques qui partagent la France, je ne saurais mieux faire que d'indiquer à ceux qui voudraient s'éclairer à fond sur la question de principe au point de vue de la prohibition, l'ouvrage que· M. Charles Gouraud a publié récemment en faveur du statu quo industriel, sous le titre d'Essai sur la liberté du commerce des nations. Examen de la théorie anglaise du libre échange.

Dans un autre sens, un travail vraiment remarquable, l'Examen du système commercial connu sous le nom de système protecteur, publié en 1852, par M. Michel Chevalier, devra compléter cette étude.

On peut ajouter à ces ouvrages une récente publication de M. Jean Dollfus,. l'un des plus grands industriels de l'Alsace, qui fait, avec un certain nombre d'autres industriels, ses collègues, des vœux sincères pour la réforme du tarif, L'écrit de M. Dollfus est intitulé: Plus de prohibition sur les filés de coton. Exposé des avantages d'une réforme douanière en France pour les articles de coton (Paris, 1853 ).

Enfin, je n'ai pas besoin de rappeler le discours que M. Thiers a prononcé au mois de juin 1851 à l'Assemblée législative, et qui eut un si grand retentissement.

France au temps même de Colbert, est-il loyal de donner aux expressions de libre échange un sens radical, que personne n'y a jamais attaché? Ne pourra-t-on plus, sans être accusé de faire un appel aux plus mauvaises passions 1, demander que les fers, la houille, le blé, les laines, les viandes salées, les bestiaux étrangers, c'est-à-dire les instruments de travail, les vêtements et la nourriture du peuple, soient traités, à leur entrée en France, comme ils l'étaient par les tarifs de Colbert, et comme ils le furent plus tard par l'Assemblée constituante?

On se figure généralement qu'en Angleterre (il n'est pas prudent, je le sais, de prononcer ce nom à propos de tarifs) les professeurs de la science économique ont toujours caressé un sentiment national, en demandant la réduction des droits de douane. L'extrait suivant, d'Adam Smith lui-même, prouvera combien de préjugés la Science et les plus grands hommes d'Etat d'Angleterre ont dû vaincre pour amener les Anglais euxmêmes à comprendre qu'ils allaient diametralement contre leurs intérêts en fermant leur patrie aux produits du dehors.

«Il est dangereux, de nos jours, disait l'illustre profes«seur écossais, d'entreprendre de diminuer en quoi que ce « soit le monopole que nos manufacturiers ont obtenu contre «< nous-mêmes. Ce monopole a tellement grossi leur nombre, « que, comme une armée permanente démesurée, ils se sont «rendus formidables au gouvernement, et parviennent, en « beaucoup d'occasions, à intimider la législature. Le membre « du Parlement qui soutient toute proposition ayant pour but « de renforcer leur monopole est sûr d'acquérir non-seule«ment la renommée d'un grand homme d'affaires, mais en

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1 « Qu'est-ce que cette inégalité des manufacturiers et des consommateurs Comment ne tremble-t-on pas, dans un siècle où l'envie a fait dans les âmes de si tristes progrès, d'ameuter, que dis-je, de sanctionner les plus dangereuses attaqués au principe de la propriété ?... En poursuivant une fraternité romanesque, le libre échange n'aboutit qu'à constituer, sur les débris de la liberté du travail, des marchés et des mers, un despotisme épouvantable ! En voulant faire de nous plus que des hommes, il en ferait des esclaves. Enfin, comme dit énergiquement Pascal, en voulant, lui aussi, faire l'ange, le libre échange fait la béte. Trait de nature qui suffirait à le peindre! » (Essai sur la liberté du commerce des nations, par M. Charles Gouraud, p. 65, 340 ět passim.)

<< core beaucoup d'influence et de popularité, parmi des hommes << auxquels leur grande richesse donne beaucoup d'importance. << Si, au contraire, il s'oppose à ces priviléges, si surtout il a << assez d'autorité pour les combattre, ni la probité la plus re<< connue, ni le rang le plus élevé, ni les services publics les plus <<< incontestables ne pourront le protéger contre les outrages et « les calomnies les plus infâmes, contre les injures person« nelles et même contre les dangers réels suscités par l'outra << geuse insolence des monopolistes déçus et furieux 1...>>

Voilà ce qu'on écrivait en Angleterre, vers 1770. Cinquante ans après, tous les monopoles, toutes les entraves dont s'indignait le patriotisme d'Adam Smith, existaient encore. Il a fallu les longs efforts de lord Canning, d'Huskisson, de Richard Cobden, de sir Robert Peel; il a fallu soixante-quinze ans de luttes incessantes contre les fabricants de soieries et de machines, les armateurs et les propriétaires, pour que ces monopoles et ces entraves, qui raréfiaient le travail et doublaient les dépenses de la vie, tombassent enfin. S'ensuit-il de là que la France doive imiter à l'aveugle les réformes commerciales de l'Angleterre? Non, sans doute. Mais puisque, malgré une opposition et des résistances presque séculaires, l'Angleterre, à laquelle on ne refusera pas, du moins, l'esprit positif et la pratique des affaires, est parvenue, à son grand avantage, à modifier le système de douanes que lui avait légué le moyen âge, ne poussons pas l'aveuglement jusqu'à craindre de porter la main à nos tarifs, par ce motif ridicule qu'en abaissant les siens, elle n'a pas eu seulement en vue d'accroître sa prospérité, mais encore de ruiner, par suite de leur infériorité relative, toutes les nations qui seraient assez folles pour faire comme elle. En un mot, décidons-nous par notre seul intérêt; il serait déraisonnable d'agir autrement; mais, encore une fois, ne nous refusons pas à simplifier, à réduire nos tarifs, et à les débarrasser des prohibitions, par cette considération vraiment absurde que l'Angleterre ne l'a fait avant nous que pour nous leurrer par son exemple et nous jouer ainsi, cela se répète tous les jours, un tour de sa façon".

Adam Smith, Richesse des Nations, liv. IV, chap. II.

* On croira peut-être que j'exagère. Or, voici ce qu'on lit dans l'ouvrage de

Heureusement pour les travailleurs et pour les consommateurs français, ces idées et ces craintes ne sont pas partagées par le gouvernement de Napoléon III. Un décret du 22 novembre 1853, qui a rempli d'espoir les amis des réformes progressives, et que le pays a accueilli, avec un assentiment presque unanime, a réduit les droits d'entrée en France, des houilles, des fers, des fontes et des aciers venant de l'étranger. D'autres décrets doivent, dit-on, lui succéder, et introduire par degrés dans nos tarifs les adoucissements que l'ancien gouvernement avait, à plusieurs reprises, tenté d'y apporter, mais qui furent toujours repoussés par la force d'inertie de ces coalitions funestes qui paralysèrent son bon vouloir. Déjà précédemment, le gouvernement de Napoléon III avait, à raison du renchérissement des grains et de toutes les denrées nécessaires à la subsistance du peuple, réduit de 55 fr. à 3 fr. 30 c., comme avant 1822, le droit d'entrée des boeufs étrangers. Tout fait espérer que cette mesure, qu'en 1847 MM. Léon Faucher et Blanqui aîné avaient, dans des circonstances analogues, demandée sans succès, bien qu'avec la plus vive insistance, à la Chambre des députés, deviendra, lorsque les conséquences en auront été exactement appréciées, un fait permanent et définitif 1.

M. Charles Gouraud: « Vous souvient-il de la Cléopâtre de Corneille? L'implacable reine, sentant le trône lui échapper, prend une coupe où elle-même a versé le poison; elle la boit à moitié, et, composant son visage, elle offre le reste à ses successeurs. La libre-échangiste Angleterre agit comme Cléopâtre, avec une chance de salut seulement que celle-ci n'avait pas, Cléopâtre, en empoisonnant ses successeurs, n'en devait pas moins toujours mourir. Si le monde, au contraire, boit après les Anglais dans la coupe fatale qu'ils lui tendent, sa liberté est perdue, mais leur grandeur est sauvée : la ruine universelle, en effet, ne leur doit-elle pas servir d'antidote ? » ( Essai, etc., p. 259.)

1 Qu'on me permette d'appeler ici l'attention du lecteur sur un fait qui résulte de la correspondance administrative de Colbert. Le 29 novembre 1666, l'intendant de Caen, Chamillart, écrivait de Bayeux à Colbert: « Je vous dois ◄ donner un advis très-important, que les bœufs et moutons qui viennent des pays estrangers et se consomment à Paris, diminuent beaucoup le prix de « ceux de cette province. » (Pièces justificatives, p. 268.) A cette époque, bœufs, gras ou maigres, venant de l'étranger, payaient un droit d'entrée de 3 livres par pièce. L'année suivante, le 18 avril 1667, Colbert fit modifier le tarif des droits d'entrée et aggrava dans une proportion sensible ceux imposés sur

les

Et maintenant, je laisse la parole aux faits. Or, il en est un qui ressortira avec une entière évidence de l'histoire des tarifs en France depuis deux siècles, c'est que, à toutes les époques, des penseurs, des ministres, des administrateurs éminents, ont fait des voeux en faveur du développement des échanges industriels, de peuple à peuple. Un célèbre publiciste du seizième siècle, Jean Bodin, et un grand ministre, Sully, se sont tout à fait prononcés dans ce sens. Colbert, tout en ayant adopté un autre système, recommande expressément de ne pas s'en rapporter aux marchands pour les questions où leurs intérêts sont en jeu. Au dix-huitième siècle, Montesquieu reconnaît que « l'effet naturel du commerce est de porter à la paix, que deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes, et que toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. » A la même époque, Turgot et Quesnay sèment les principes économiques que l'Assemblée constituante introduira dans les lois. Un peu plus tard, Chaptal, et ensuite M. Portal, qui a laissé depuis, au département de la marine, la réputation d'un administrateur consommé, prouvaient, par des arguments sans réplique, les inconvénients de l'exclusion des marchandises étrangères, et des tarifs prohibitifs. Lorsque, au plus fort de la guerre avec l'Angleterre, Napoléon Ier revint au système des prohibitions, il présenta la mesure comme un acte commandé par les circonstances, mais essentiellement temporaire. Ce ne fut que sous la pression de la grande propriété et de quelques grands industriels que Louis XVIII s'engagea encore-plus avant, par les lois sur les céréales, les bestiaux, les fers et les houilles, dans les voies de la protection exagérée. Mais alors, comme toujours, des voix persistantes protestèrent contre cette exagération. Au nombre de ceux qui déplorerent le système restrictif de la Restauration, il faut placer, en première ligne, un homme d'une sagesse éprouvée, le comte Mollien, ancien ministre du Trésor sous l'Empire',

les draps, cuirs, bas, etc., venant de l'étranger. Quant aux droits sur les bestiaux, il n'y apporta, malgré les avis de Chamillart, aucun changement.

1 Le comte Mollien a développé ses idées à ce sujet dans une note remar

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