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que le fil d'or de Milan fût taxé à vingt-huit sols, ils l'admettaient cependant à vingt-un sols « pour en faciliter l'apport « et en attirer une plus grande quantité », les six corps des marchands ajoutaient, en ce qui concernait cet article, que tout le monde trouvait son compte à cette diminution, attendu que l'or filé de Milan, qui se vendait huit écus le marc dans cette ville, en valait vingt après avoir été travaillé ; que cela permettait d'occuper une foule de pauvres gens qui, sans cette ressource, auraient été réduits à mendier; que si les nouveaux droits étaient maintenus, cette fabrication nous serait enlevée au profit de quelques villes limitrophes, ce qui nous priverait d'objets que nous vendions avec beaucoup d'avantage à l'Espagne, à l'Allemagne et même à plusieurs Etats d'Italie.

« A dire vrai, continuaient les représentants de l'industrie << parisienne, nous n'avons que le commerce et nos manu«factures qui attirent l'or et l'argent par le moyen duquel « les armées subsistent. Nous envoyons aux étrangers les << toiles, les serges et étamines de Reims, celles de Châlons, « les futaines de Troyes et de Lyon; les bas de soie et de << laine, les bas d'estame, de fil, de coton et poil de chèvre « qui se font aux pays de Beauce et Picardie, à Paris, à Dour<< dan et Beauvais; toutes sortes de marchandises dépen<< dantes de la bonneterie, qui se débitent en Espagne, en << Italie et jusqu'aux Indes; toutes sortes de pelleteries et << quincailleries, de couteaux et ciseaux; toutes sortes de << merceries, comme rubans et dentelles de soie, or et argent << tant fin que faux, épingles, aiguilles, gants et une infinité << d'autres menues merceries; les draps de soie, d'or et d'ar<< gent de Lyon et de Tours; les chapeaux qui se font à Paris « et à Rouen, dont presque tous les peuples de l'Europe, << même des Indes occidentales se servent... >>

Les six corps des marchands faisaient en outre observer que « les impositions établies en France sur les marchandises, tant du pays qu'étrangères, étaient plus fortes que dans tous les autres États de l'Europe, d'où il résultait que les étrangers payant moins de droits pour les matières qui en

traient dans leurs marchandises pouvaient les faire meilleures, et que si les Français voulaient les faire aussi bien, il fallait, pour se tirer d'affaire, qu'ils les vendissent plus cher... >>

« Si nos ouvriers, ajoutaient-ils, tirent profit de leur in<«<dustrie, ce n'est pas sans l'aide des étrangers qui nous four<< nissent toutes les laines fines, car nous n'en avons que de << grossières; aussi bien que les drogues pour les teintures, les « épiceries, les sucres, les savons et les cuirs dont on ne peut «< se passer et qui ne se trouvent point dans le royaume. Les « étrangers ne manqueront pas, pour nous rendre le <«< change, de charger toutes ces marchandises de grosses «< impositions, d'où il arrivera que nous n'en tirerons plus << ou qu'ils défendront l'entrée de nos manufactures. Par - «< ce moyen, nos ouvriers demeureront sans emploi, et le << nombre des inutiles et des mendiants augmentera '... »

Ainsi s'exprimaient, en 1654, les six corps des marchands, composés, comme ils le disaient eux-mêmes, des plus considérables habitants de Paris, centre du commerce de tout le royaume. Ce document établit donc que, bien que les matières premières payassent, à leur entrée en France, un droit plus élevé que celui qu'elles avaient à supporter chez les nations voisines, l'industrie française n'en était pas moins déjà très-variée et très-active.

En ce qui concerne les corporations, dont l'influence sur la situation économique du pays était immense et n'a pas besoin d'être démontrée, leur existence remontait, comme on sait, aux premiers siècles de la monarchie; mais, depuis longtemps aussi, elles avaient été attaquées comme nuisibles au développement de l'industrie, à l'intérêt des consommateurs, et contraires à la liberté du travail. Le pouvoir royal s'était même, à plusieurs reprises, préoccupé de ces critiques et y avait eu égard dans une certaine mesure. En 1348, un édit permit à tous ceux qui étaient habiles d'exercer leur art sans être reçus maîtres. Dix ans plus tard, Charles V recon

1 Recherches et considérations sur les finances de France, par Forbonnais, édit. in-40, t. I, p. 274 et suiv.

naissait que « les corporations étoient faites plus en faveur et proufit de chaque métier que pour le bien commun. » Obligé de s'appuyer sur les gens des métiers, dans la lutte qu'il avait à soutenir contre la féodalité, Louis XI leur rendit tous leurs priviléges, et l'on sait combien ils en abusèrent. La condition du chef-d'œuvre, imposée à tous ceux qui aspiraient à devenir maîtres, date de cette époque. En même temps, les droits de réception furent aggravés, et, successivement, les métiers se subdivisèrent à l'infini, ce qui donna lieu à une multitude de procès dont les frais, en ce qui regardait Paris seulement, s'élevèrent, avec le temps, à près d'un million par an. Les ordonnances d'Orléans, de Moulins, de Blois, essayèrent, à la vérité, de corriger ces abus, sur lesquels un édit de 1581 jette une vive lumière. D'après cet édit, « les pauvres << artisans étoient contraints à d'excessives dépenses pour << obtenir la maîtrise, contre la teneur des anciennes ordon«nances, étant quelquefois un an et davantage à faire un << chef-d'œuvre tel qu'il plaisoit aux jurés, lequel étoit enfin « par eux trouvé mauvais et rompu, s'il n'y étoit remédié « par lesdits artisans avec infinis présents et banquets. »

Au commencement du dix-septième siècle, la plupart de ces entraves au droit sacré du travail avaient été rétablies, grâce à l'influence des corporations et à un vœu funeste exprimé par l'Assemblée des Notables, qui eut lieu à Rouen en 1597. Frappés des inconvénients qui y étaient attachés, les États généraux de 1614 demandèrent formellement « que toutes les maîtrises créées depuis 1576 fussent étein«< tes, qu'il n'en pût être rétabli d'autres; que l'exercice des « métiers fût laissé libre à tous pauvres sujets du roi, sans << visite de leurs ouvrages par experts; que tous les édits con«< cernant les arts et métiers fussent révoqués, sans qu'à l'a« venir il pût être octroyé aucunes lettres de maîtrise ni fait «< aucun édit pour lever denier, à raison des arts et métiers; « que les marchands et artisans n'eussent rien à payer ni << pour leur réception, ni pour lèvement de boutique, soit « aux officiers de justice, soit aux maîtres-jurés et visiteurs « de marchandises. » Enfin, les Etats demandèrent que les

marchands et artisans ne fussent astreints à aucune dépense pour banquets ou tous autres objets, sous peine de concussion de la part des officiers de justice et maîtres-jurés '.

Ces demandes ne furent malheureusement pas accueillies, mais il est permis de croire que, depuis cette époque jusqu'à l'avénement de Colbert au ministère, les règlements sur les corporations et les maîtrises n'avaient pas été exécutés avec une grande sévérité.

On voit par ce court exposé:

1o Qu'en 1660, l'Angleterre et l'Espagne repoussaient les articles que la France pouvait fabriquer concurremment avec elles, soit par une prohibition absolue, soit par des droits plus élevés que ceux établis en France sur les marchandises de même nature originaires de ces deux pays;

2o Que, nonobstant ces entraves, l'industrie française avait atteint un développement relativement considérable, et qu'elle exportait une grande quantité de marchandises variées, notamment en articles de bonneterie, de quincaillerie et de pelleterie;

3o Que les matières premières dont les nations étrangères avaient besoin pour leurs manufactures supportaient des droits moins élevés qu'en France;

4o Enfin, que le système des corporations et des maîtrises avait depuis longtemps été battu en brèche par le pouvoir royal lui-même, et que, cédant tacitement en quelque sorte au vœu de l'opinion, si fortement exprimé par les États généraux de 1614, Louis XIII ne tint que très-faiblement la main à l'exécution des nombreux règlements contre lesquels ces États s'étaient élevés.

Telle était la situation lorsque, le lendemain de la disgrâce de Fouquet, Colbert fut nommé intendant des finances, puis, successivement, contrôleur général, secrétaire d'État de la marine, surintendant des bâtiments et des manufactures. Chargé, à ces divers titres, de toutes les parties de l'administration dans lesquelles les intérêts de l'industrie, de l'agriculture et du commerce pouvaient se trouver engagés, 1 Histoire de Colbert, etc., p. 216 et suiv.

Colbert fit adopter, dans les six premières années de son ministère, cette série de mesures formant, par leur ensemble, le système économique auquel il a laissé son nom. Quelles ont été les conséquences de ces mesures sur le bien-être des populations et sur le développement de la richesse publique? Ces conséquences se sont-elles fait sentir jusqu'à nos jours, et, dans l'affirmative, le pays doit-il s'en applaudir ou le regretter?

Pour répondre à ces diverses questions, il est nécessaire de passer d'abord en revue les diverses réformes opérées par Colbert, et qui se rattachent plus ou moins directement à ce qui constitue véritablement son système économique.

Cette étude terminée, il sera plus facile de se rendre compte des conséquences de ce système et d'en suivre les résultats depuis l'époque de son application jusqu'à nos jours.

Arrivé à ce point, les conclusions découleront naturellement de l'exposé des faits, et il suffira en quelque sorte de les formuler.

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