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rappelle, il n'était pas spécialement question des fers, mais d'entreprises lointaines et d'expéditions maritimes qu'on voulait protéger en armant nos douanes contre les rivalités du dehors:

<< Dans le temps où les deux derniers Stuart (1670), qui auraient voulu abolir tous les actes du gouvernement de Cromwell, toutes les traces de son passage, étaient cependant obligés de confirmer et de maintenir son acte de navigation et ses tarifs prohibitifs, parce qu'alors le commerce anglais lui attribuait ses nouvelles prospérités ; où l'industrie encore novice et timide de la France attendait le commencement des siennes d'un système à peu près semblable (qu'un ministre comme Colbert ne pouvait adopter que comme étant momentanément convenable pour l'enfance des arts utiles qui nous manquaient); où cependant le commerce de l'Europe, qui n'avait fait encore sur le terrain natal que quelques pas mal assurés, ambitionnait, dans ses désirs vagues, des conquêtes éloignées; déjà il se trouvait à Paris quelques esprits méditatifs qui, sans intriguer contre les ministres, analysaient leurs actes quelquefois mieux que les ministres eux-mêmes, et qui se faisaient entre eux les questions suivantes :

« Est-il de l'intérêt de la France d'imiter l'Angleterre et la Hollande dans l'établissement des colonies lointaines que ces deux puissances essentiellement maritimes vont fonder en Amérique, en Afrique et dans l'Inde ?

<«< Sous un prince auquel on répète sans cesse qu'il doit imposer à toute chose le caractère de sa propre grandeur, la fondation de pareilles colonies ne pourrait-elle pas coûter à la France le double, le triple de ce qu'ont coûté à l'Angleterre et à la Hollande des établissements de ce genre, qui ont, en outre, l'avantage de la priorité ?

L'intérêt du capital nécessaire pour mettre leur territoire en valeur et les frais de leur administration par le gouvernement, comme de leur exploitation par de nouveaux habitants, n'élèveront-ils pas le prix de leurs productions fort au-dessus de celui des productions pareilles provenant des colonies étrangères? Et cependant n'imposera-t-on pas à la métropole, envers les colons, l'onéreuse obligation de n'admettre à sa consommation que ce qu'auront produit ses colonies, à quelque prix que ce soit?

« D'un autre côté, la France devant compensativement imposer à ses colonies la condition de ne recevoir d'Europe que des marchandises françaises, ne doit-il pas arriver que nos armateurs cherchent naturellement à tirer parti de ce monopole, en faisant payer le plus cher possible aux colons les fournitures qu'ils leur feront, en même temps que les colons aussi, par réciprocité et par nécessité, mettront un prix d'autant plus élevé aux objets d'échange qu'ils livreront?

<< La condition des divers intérêts engagés dans ce cercle vicieux ne sera-t-elle pas alors :

«Que notre gouvernement aura, sans augmenter ses ressources, créé divers genres de gênes et de charges nouvelles pour les consommateurs français, et n'aura accru la marine militaire et marchande que pour préparer une meilleure proie aux puissances maritimes;

«Que les colons propriétaires seront réduits bientôt, pour couvrir leurs frais démesurés de premier établissement, à des emprunts qui, en peu d'années, feront passer entre les mains de prêteurs usuriers leur propriété dégradée;

a Que les armateurs français éprouveront, indépendamment des chances

de la guerre et des risques de la mer, tous les mécomptes qui sont la conséquence et la peine de l'appétit des profits exagérés ;

« Qu'enfin les consommateurs regnicoles achèteront et payeront 12 ou 15 millions au-dessus du prix naturel leur consommation en café et en sucre récoltés par des colons ruinés sur un territoire dont la garde aura coûté au gouvernement dix ou douze fois plus que les taxes locales n'auront pu produire... »

« Les mêmes raisonneurs disaient encore à la même époque (1670): Si quelque extension de territoire est désirable pour la France, au lieu de l'acheter si chèrement et si loin, ne serait-il pas préférable pour elle de porter ses vues sur la Lorraine par exemple, qui lui est si homogène, comme aussi sur la Belgique, terre classique de toutes les industries déjà cultivées en France?

La France est appelée, par son climat, par la nature de son sol, à perfectionner la culture des céréales, l'éducation des diverses races de bestiaux, la fabrication de toute espèce d'étoffes ; elle a maintenant des avances sur tous les autres peuples par ses beaux tissus de soie. Elle peut acquérir et conserver une supériorité semblable pour tous les autres tissus; elle est en même temps en possession des vignobles les plus productifs et les plus estimés de l'Europe. Pour disposer des richesses des quatre parties du monde, il ne lui faut que mettre judicieusement en valeur les siennes propres. Les véritables richesses ne sont-elles pas celles qui assurent pleine et salutaire satisfaction à tous les besoins réels de l'humanité? Et quelle nation peut être mieux placée pour tous les genres d'échanges, que celle à laquelle toutes les autres doivent avoir recours pour diverses nécessités, tandis que la plupart ne peuvent lui offrir que quelques superfluités ?

< Mais, pour conserver tous ses avantages, il faut que la France se contente de ses priviléges naturels, sans prétendre à s'approprier précairement, à force d'artifices et d'efforts coûteux, ceux dont l'équitable nature a doté d'autres climats envers lesquels elle a été bien moins généreuse que pour la France.

« Et, par exemple, sur la foi de ces hommes toujours dupes de la première apparence, qui ne connaissent d'autre signe de la prospérité que la présence et le son du numéraire, de l'argent, et qui pensent que tout est au mieux quand l'argent ne sort pas du pays, et quand il ne va que d'une bourse dans l'autre, sans jamais passer la frontière, il ne faudrait pas, si quelque imprudent spéculateur entreprenait de fabriquer en France telle chose dont la matière et la main-d'œuvre, pour être mise en valeur, coûteraient moitié plus qu'ailleurs, que le gouvernement prohibât un produit pareil de fabrication étrangère, en faveur de la fabrication nationalisée de force, qui ferait payer son produit 100 pour 100 de plus, sans qu'il fût meilleur; car, quand on achète le travail de son concitoyen beaucoup plus cher que ne coûterait le même travail provenant d'une main étrangère, encore bien que l'argent ne paraisse pas sortir du pays, il n'en résulte pas moins que le consommateur, qui a supporté une dépense plus forte, a perdu l'occasion, soit de faire une

1 La Lorraine n'a été réunie à la France que dans le règne suivant.
(Note de M. Mollien.)

2 Il paraît qu'en 1670 cette réunion n'aurait pu être contrariée par aucune grande puissance, et n'aurait pas contrarié elle-même alors quelques industries qui ne se sont formées en France que dans le dix-huitième siècle. (Note de M. Mollien.)

utile économie, soit de satisfaire un autre besoin avec ce qui lui serait resté disponible. L'industrie qui se montre la plus habile est celle qui ménage le mieux l'argent du consommateur.

Toute industrie ne peut jeter de profondes racines et les étendre que dans un pays riche: or, ce n'est pas en payant plus cher sa propre œuvre qu'un pays s'enrichit; c'est par les réserves qu'il peut faire après avoir satisfait à ses besoins. Les capitaux proprement dits, qui, dans tous pays, sont si utiles au développement progressif de toute industrie, ne sont que le résultat des économies lentement obtenues chaque année sur les revenus.

S'il arrive jamais qu'un travailleur s'enrichisse, parce que des lois prohibitives l'auront laissé sans rivaux, on peut être sûr qu'il aura fait perdre aux consommateurs approvisionnés par lui, conséquemment à tont son pays, beaucoup plus qu'il n'aura gagné lui-même.

Il faut sans doute accorder à cet instrument d'échange qu'on nomme l'argent, une petite place parmi les capitaux, et une part de service utile dans ce mouvement continuel de marchés, qui est la vie du corps social; mais déjà aujourd'hui on a tellement multiplié, dans notre langue, les diverses acceptions du mot argent, qu'il deviendra chaque jour plus difficile à ce médiateur de remplir également bien tous les rôles qu'on veut lui faire jouer, etc., etc.»

Ces réflexions sont extraites de diverses notes laissées par un homme d'Etat du dix-huitième siècle, qui, jeune encore, avait pu consulter avec fruit quelques contemporains de Colbert; et elles révèlent même mieux que les préambules d'ordonnances, dans lesquels ce grand ministre ne pouvait pas tout dire, les motifs de la législation qui rétabli l'ordre dans les finances et donné la vie au commerce français. L'empreinte de ce double intérêt se remarque dans le tarif de 1664, comme dans ceux qui l'ont suivi: Chaque taxe sur son approvisionnement réclamé par les besoins de la vie où du travail y était combinée dans une proportion telle, qu'à mérite égal, les produits français restaient assurés de la préférence; que les produits étrangers n'y pouvaient suppléer qu'en cas d'insuffisance, sans que leur renchérissement pút aggraver les effets de la disette; et que, dans cet état, l'impôt modéré, qui atteignait la consommation, secourait efficacement le fisc, en même temps que chaque contribuable semblait rester en possession de régler la mesure de sa contribution par celle de sa consommation.

Colbert n'a pas toujours été compris par ceux qui ont voulu se faire appeler ses continuateurs. Certes, le ministre qui mettait tant de prix à ce que l'industrie ne fût jamais stationnaire, ne voulait pas rendre immuables après lui les taxes dont il entourait son berceau. Jamais surtout il ne lui serait venu la pensée d'accoler, dans ses tarifs, à des taxes modérées, recouvrables par le Trésor public, d'autres taxes qui n'auraient été établies que pour qu'elles ne fussent pas recouvrées par l'Etat, telles, par exemple, que celles que notre législation, et particulièrement les lois de décembre 1814 et juillet 1822, liennent suspendues sur le fer étranger. L'effet de ces taxes est bien d'écarter de la consommation de la France le fer fabriqué au dehors; mais elles maintiennent le prix du fer indigène de plus de 100 pour 100 au-dessus du prix du fer étranger; elles ont occasionné une augmentation de plus de 20 pour 100 dans le prix de tout le bois qui se consomme en France. On a créé ainsi, et l'on maintient, au delà des autres impôts, une surcharge trèsréelle, quoique inaperçue, de plusieurs dizaines de millions sur tout le

pays, au seul profit d'une industrie qui reste d'autant plus dans son infériorité et d'une espèce de propriété qui n'a acheté par aucun nouveau sacrifice celui qu'elle a imposé au consommateur.

On ne cite que ces deux substances, et, sans doute, elles sont trèsutiles; mais elles le deviendraient bien plus en se faisant payer moins cher.

Ce qui aggrave surtout le mal sur le fer, sur le bois et sur quelques autres matières, c'est que, tout nécessaire qu'il est, le remède ne peut être que lent, veut être administré avec circonspection, et doit être longtemps prévu d'avance.

Un ministre comme Colbert n'était pas un homme qu'on pût facilement recommencer, ni surtout qu'on pût imiter, quand on n'était capable de le copier; on n'a fait alors qu'appliquer inopportunément à d'autres temps ce qui n'était bon que pour le sien.

On ne pouvait se rendre utilement propre le bien que ce grand ministre avait fait qu'en s'en servant comme d'un point d'appui pour s'élever plus haut et faire mieux ; il en avait ouvert la route.

Ce n'est pas un homme tel que Colbert, qui aurait pu regarder comme éminemment protectrice, pour quelque industrie que ce fut, une mesure qui, d'un côté, aurait indéfiniment prolongé son enfance, en éloignant d'elle les meilleurs moyens d'émulation et de perfectionnement, et qui, de l'autre, en l'autorisant à faire payer plus cher son travail, aurait diminué d'autant la consommation possible de ses produits.

L'industrie la plus habile n'a pas besoin qu'une loi commande la préférence qui lui est due : loin de vouloir faire payer ses services plus cher qu'on ne les achèterait ailleurs, et de s'ériger ainsi en un impôt de plus, elle s'honore de ce qu'elle épargne à ceux qui l'emploient; elle sait que le travail qui, par des procédés plus intelligents, parvient à modérer son salaire, n'a pas seulement le mérite d'introduire dans le pays le meilleur élément de prospérité, mais qu'il se crée à lui-même, par les économies qu'il opère, par le fonds de réserve qu'il rend libre dans les fortunes privées, les moyens les plus constants d'activité et de richesse.

Deux conditions suffisent à toute industrie pour s'élever à ce degré de supériorité. Les voici faire mieux et à meilleur marché. Hors de ces deux conditions, il n'y aura plus bientôt de succès durable pour aucun travail humain.

MOLLIEN.

PIÈCE N° 13.

LA LIBERTÉ COMMERCIALE ET LES PROHIBITIONS D'APRÈS ADAM SMITH, J.-B. SAY, ROSSI, ET M. CHARLES DUNOYER.

(Extraits.)

ADAM SMITH 1.

Des entraves à l'importation seulement des marchandises étrangères qui sont de nature à être produites par l'industrie nationale.

En gênant, par de forts droits ou par une prohibition absolue, l'importation de ces sortes de marchandises qui peuvent être produites dans le pays, on assure plus ou moins à l'industrie nationale qui s'emploie à les produire, un monopole dans le marché intérieur. Ainsi, la prohibition d'importer ou du bétail en vie, ou des viandes salées de l'étranger, assure aux nourrisseurs de bestiaux, en Angleterre, le monopole du marché intérieur pour la viande de boucherie. Les droits élevés mis sur l'importation du blé, lesquels, dans les temps d'une abondance moyenne, équivalent à une prohibition, donnent un pareil avantage aux producteurs de cette denrée. La prohibition d'importer des lainages étrangers est également favorable à nos fabricants de lainages. La fabrique de soieries, quoiqu'elle travaille sur des matières tirées de l'étranger, vient d'obtenir dernièrement le même avantage. Les manufactures de toiles ne l'ont pas encore obtenu, mais elles font de grands efforts pour y arriver. Beaucoup d'autres classes de fabricants ont obtenu de la même manière, dans la Grande-Bretagne, un mouopole complet, ou à peu près, au détriment de leurs compatrioles. La multitude de marchandises diverses dont l'importation en Angleterre est prohibée d'une manière absolue, ou avec des modifications, est fort au delà de tout ce que pourraient s'imaginer ceux qui ne sont pas bien au fait des règlements de douanes.

Il n'y a pas de doute que ce monopole dans le marché intérieur ne donne souvent un grand encouragement à l'espèce particulière d'industrie qui en jouit, et que souvent il ne tourne vers ce genre d'emploi une portion du travail et des capitaux du pays, plus grande que celle qui aurait été employée sans cela. Mais ce qui n'est peut-être pas tout à fait aussi évident, c'est de savoir s'il tend à augmenter l'industrie générale de la société, ou à lui donner la direction la plus avantageuse.....

Accorder aux produits de l'industrie nationale, dans un art ou genre de manufacture particulier, le monopole du marché intérieur, c'est en quelque sorte diriger les particuliers dans la route qu'ils ont à tenir pour l'emploi de leurs capitaux, et, en pareil cas, prescrire une règle de conduite est presque toujours inutile ou nuisible. Si le produit de l'industrie nationale peut être mis au marché à aussi bon compte que celui de l'industrie étrangère, le précepte est inutile; s'il ne peut pas y être mis à aussi bon compte, le précepte sera en général nuisible. La maxime de tout chef de famille prudent est de ne jamais essayer de faire chez soi la chose qui lui coûtera moins à acheter qu'à faire. Le tailleur ne

1 Richesse des Nations, liv. IV, chap. 1.

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