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comme devant être l'effet de la liberté entière du commerce des grains, est dénuée de fondement. Les approvisionnements de blé que peuvent livrer les pays producteurs par excellence sont très-limités : nous en faisons cette année la triste expérience. Si les débats parlementaires qui ont eu lieu dans la Grande-Bretagne, si les renouvellements de baux qui s'y sont effectués depuis que la liberté du commerce des grains y a été proclamée, ont un sens, c'est que l'influence de la liberté complète de l'importation ne saurait avilir les prix au dedans, et se réduirait presque à prévenir les grands écarts, les fortes hausses. Il est constant, en effet, que les baux qui ont été renouvelés depuis que la loi a établi en Angleterre la libre entrée des céréales1, l'ont été aux mêmes conditions que par le passé.

Dans la période de transition où l'on maintiendrait un droit sur les céréales, le droit sur les farines, qui présentement est exagéré relativement à celui des grains, devrait y être exactement proportionnel.

Révision des Règlements de la douane.

Nous demandons enfin que les règlements des douanes soient soumis à une révision générale. Afin d'obtenir une perception des droits qui fût mathématiquement exacte, on a compliqué ces règlements à l'infini, on les a rendus minutieux et vexatoires; il faut qu'ils deviennent simples, conciliants et expéditifs. Ce sera une mesure de haute et intelligente protection pour l'industrie; pour le Trésor public, ce sera un profit tout net, puisque le personnel des douanes pourra être beaucoup moins nombreux. La douane paraît ignorer que le temps est précieux pour le commerçant, qu'un délai de quelques jours, et même de quelques heures, quand il s'agit des pays les plus voisins, suffit pour rendre une opération impossible. Pareillement, elle semble avoir pour principe que tout commerçant est un fraudeur-né et ne peut être autre chose. De là le penchant de la douane à multiplier les formalités, à hérisser les règlements de clauses pénales et de dispositions arbitraires. La justice ordinaire a été suspectée, on lui a retiré l'appréciation morale des délits, et on lui a lié les mains dans l'application de la loi. On a créé, au moyen des parts d'amendes et des confiscations, un intérêt personnel, pour chacun des agents de la douane, chefs et inférieurs, à la découverte et à la rigoureuse punition pécuniaire de la moindre fraude réelle ou supposée, volontaire ou non. On a donné par là au commerce vingt mille surveillants fondés à le considérer comme une proie. C'est une source inépuisable de vexations pour les commerçants, les voyageurs, les armateurs, et tout le personnel maritime. Il faut attribuer, au moins en partie, à cette cause les visites domiciliaires qu'on s'est imprudemment remis à exercer avec une rigueur nouvelle, après qu'on semblait y avoir renoncé, envers un grand nombre de commerçants honorables, dans le sein même de la capitale. La fortune des citoyens, même les plus observateurs des lois, qui se livrent aux échanges internationaux, surtout lorsque c'est par la voie maritime, est sans cesse sous le coup d'une confiscation; car pour constituer un délit qui retombe sur le capitaine et sur l'armateur, et dont le corps même du navire répond, il suffit qu'on trouve à bord quelque objet qui n'aura pas été déclaré, ou qu'on n'en retrouve plus un autre dont la déclaration aura été faite.

On est allé plus loin encore : sans tenir compte des sentiments d'hon

1 Les céréales ne seront plus soumises, en Angleterre, à partir du 1er février 1849, qu'à un droit d'un schelling par quarter (43 cent. par hectolitre).

neur dont l'autorité doit donner l'exemple, surtout dans ses rapports avec des hommes honorables, on encourage publiquement la délation, pendant qu'on pousse à la fraude, non le commerce qui se respecte, mais quelques subalternes, par l'exagération des droits et par la multiplicité des prohibitions. Le délateur a sa part garantie par la loi et les ordonnances, et on encourage ainsi dans tous nos ports et même dans nos centres commerciaux de l'intérieur une profession ignominieuse, pratiquée par des gens sans aveu. Assurément, de nos jours, le législaleur rougirait d'organiser ou de sanctionner rien de pareil, et la douane ne s'abaisserait pas à le demander. C'est le legs d'un temps où la loi affichait à tout propos des rigueurs draconiennes, et où le législateur employait tous les moyens pour satisfaire la violence des passions publiques. La prime donnée par la douane aux dénonciateurs, de même que le système des prohibitions absolues et l'esprit tracassier des règlements, date de la plus funeste époque de la Révolution1. C'étaient des mesures de guerre contre les nations avec lesquelles la France soutenait une lutte à mort. Aujourd'hui, dans notre époque de paix, avec la douceur qu'ont acquise les mœurs publiques, la douane, malgré la bienveillance connue des administrateurs qui la dirigent de Paris, persévère dans ces déplorables traditions, qui sont sans exemple dans la législation même fiscale des peuples civilisés. Enfin la douane, dans sa pratique, a contracté des habitudes que repousse le sentiment de la liberté individuelle, et contre lesquelles se révolte la pudeur publique : telles sont les visites à corps. C'est ainsi que des barbares, une fois vainqueurs, pourraient se croire autorisés à traiter un peuple conquis; dans un pays libre, c'est sans excuse, et c'est un abus odieux, qu'il devrait suffire de signaler pour qu'il fût supprimé.

Résumé.

En résumé, l'Association déclare que le temps est venu de mettre fin à l'isolement commercial où des intérêts particuliers, se superposant à l'intérêt général, sont parvenus à réduire la France, et de commencer d'une main ferme l'application graduelle du principe de la liberté du commerce, qui, jusqu'à ce jour, avait été écarté, au mépris de la raison et de la justice. Elle proclame hautement qu'en particulier pour les denrées alimentaires, tant du règne végétal que du règne animal, et pour les principales matières sur lesquelles s'exerce le travail agricole ou manufacturier, les intérêts généraux et permanents du pays et les circonstances spéciales de plus en plus graves où les populations sont engagées font une loi de procéder sans délai à un changement de régime ; et que le but à atteindre, soit pour les denrées alimentaires, soit pour les matières premières, est la suppression de toute taxe d'entrée.

Considérant, toutefois, qu'il est convenable d'accorder un délai aux capitaux qui se sont engagés dans les industries réellement protégées ; que le maintien intégral des recettes publiques sera mieux garanti si l'on procède par gradation; que l'opinion publique elle-même se pro

1 La dénonciation est provoquée par le décret de la Convention, du 1er mars 1793, déjà mentionné, qui porte, art. 5 :

« Les objets trouvés en contravention au présent décret seront vendus sous trois jours après la confiscation définitivement prononcée. La moitié du produit net des objets vendus appartiendra et sera remise, aussitôt après la vente, à tous particuliers qui auraient dénoncé lesdits objets ou concouru à leur arrestation. »

noncera avec bien plus d'énergie pour la liberté des échanges, lorsque de premières épreuves en auront fait ressortir les avantages à tous les yeux;

L'Association se borne à demander une loi de douane où son principe serait appliqué dans les limites suivantes :

I. - Dispositions que la loi mettrait en vigueur immédiatement. Toutes les PROHIBITIONS Commerciales à l'entrée seraient levées et remplacées par un droit équivalant à la prime de contrebande, ou, dans le cas où ce terme de comparaison n'existerait pas, par un droit spécifique dont le chiffre serait calculé de manière à ne pas excéder 20 pour cent de la valeur.

Tous les droits d'entrée seraient réduits de même à un taux dont le maximum répondrait à 20 pour cent, à l'exception des droits sur les DENRÉES dites COLONIALES, qui, à titre de droits fiscaux, pourraient rester plus élevés (Voir ci-après, III).

Les CÉRÉALES seraient soustraites au régime de l'échelle mobile, et soumises à un droit fixe de 2 fr. par hectolitre.

Le droit sur les FARINES serait exactement proportionnel.

Pour le BÉTAIL, le tarif de 1816 (3 fr. 30 c. par tête de bœuf) serait rétabli.

Les VIANDES SALÉES de toute espèce seraient exemptes de droit. Les droits sur la HOUILLE et sur la FONTE brute seraient supprimés. Les fers en barres, spécialement destinés à la fabrication de l'acier, seraient affranchis de tout droit.

Le droit sur l'ACIER serait ramené au tarif de l'Empire (99 fr. 1,000 kilog.).

par Le droit sur les GRAINES OLÉAGINEUSES serait ramené au taux où il était avant la loi de 1845.

Les droits sur PLUSIEURS CENTAINES d'articles qui ne produisent au Trésor que des recettes insignifiantes, seraient supprimés.

Les distinctions qui font varier les droits selon les qualités et les formes des objets d'une même nature seraient, dans la plupart des cas, abolies.

Les distinctions de zones et de CLASSES donnant lieu à des différences de droits, selon les frontières de terre ou de mer où les produits se présentent, seraient abolies.

Tout droit à la sortie serait supprimé.

II. Dispositions qui statueraient pour l'avenir.

Tous les droits d'entrée seraient réduits, par voie d'abaissement graduel, de manière à ce que, à l'expiration d'un délai qui serait déterminé d'avance par la loi même de la réforme douanière, aucun n'excédât 10 pour cent, sauf l'exception ci-dessus, relative aux denrées dites coloniales.

Les droits d'entrée sur les principales matières premières, et notamment sur les cotons en laine, les LAINES EN MASSE, les CHANVRES et les LINS bruts, teillés ou peignés, les FERs et les ACIERS en barres, les SUBSTANCES TINCTORIALES, seraient soumis à une réduction immédiate, et ensuite graduellement diminués, de manière à disparaitre à l'expiration d'un délai qui serait déterminé d'avance par la même loi.

A la même époque, les droits sur les CÉRÉALES et sur le BÉTAIL seraient supprimés.

Les PRIMES A LA SORTIE et les DRAWBACHS seraient de même graduellement supprimés.

III.

·Dispositions relatives aux colonies.

Les droits fiscaux sur les DENRÉES dites COLONIALES seraient réduits jusques au taux qui, par l'accroissement de la consommation, serait le plus productif pour le Trésor.

L'égalité douanière serait graduellement établie entre les produits des colonies françaises et ceux de provenance étrangère.

IV. Dispositions concernant la navigation.

Les règlements et les tarifs auxquels l'industrie maritime est soumise seraient changés, de manière à permettre à la marine marchande de s'approvisionner librement des matériaux et des objets de tout genre qui lui sont nécessaires, jusques et y compris les navires tout construits; A laisser aux armateurs toute latitude dans la disposition de leur capital et dans l'organisation de leurs entreprises;

Et à faciliter les rapports avec les marchés extérieurs, et notamment les relations directes avec les entrepôts étrangers, pour l'importation des produits de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique.

Une loi spéciale déterminerait la progression suivant laquelle les droits différentiels de pavillon iraient en diminuant, et le délai après lequel ils seraient supprimés.

V. - Règlements de la douane.

Les règlements de la douane seraient revisés dans le but de simplifier et d'abréger les formalités et de faire disparaître diverses clauses gratuitement vexatoires.

Le Président de l'Association,

DỤC D’HARCOURT.

Le Secrétaire général,

F. BASTIAT.

Avril 1847.

PIÈCE N° 12.

Colbert et le système protecteur jugés par le comte Mollien 1.

Ce n'est pas une question indifférente que celle de savoir quelle est la nature d'assistance et de secours qu'un gouvernement peut utilement donner à chaque industrie.

Sans doute, toute industrie nouvelle mérite d'être protégée; c'est là partout le droit de l'enfance; mais ce ne serait rien moins qu'un privilége protecteur pour une industrie que d'être indéfiniment affranchie de la concurrence de tout produit analogue au sien, venant du dehors;

1 Mémoires d'un ministre du Trésor public, t. IV, p. 245.

rien ne serait plus propre à étouffer en elle le meilleur germe d'émulation, à l'empêcher conséquemment d'acquérir toute sa valeur.

L'acte de navigation de Cromwell a pu avoir son moment d'à-propos; mais, certes, ce n'est pas à cet acte (qui fut principalement dirigé contre la Hollande) que la marine anglaise a dû ses progrès et ses succès.

Et c'est peut-être parce que la France a imité plus tard et moins opportunément cette mesure, qu'elle est encore maintenant réduite à naviguer plus chèrement qu'aucune autre puissance.

On ne citerait pas un seul des travaux humains qui ait acquis tout le perfectionnement dont il était susceptible, sous la tutelle d'une loi de douane qui, pour affranchir ses produits de toute rivalité étrangère, aurait écarté tous les produits de même nature venant du dehors par une taxe de 25 pour 100, de 50 pour 100, et quelquefois de 100 pour 100 de leur valeur.

On en nommerait plus d'un dont l'essor reste encore comprimé par l'effet de ce système soi-disant protecteur.

Et, par exemple, quels établissements industriels peuvent en fournir une preuve plus péremptoire que nos usines de fer? Comme, parmi nos autres industries, il n'en est aucune qui ne fasse un emploi quelconque du fer, toutes devaient naturellement être tributaires des usines françaises, qui avaient déjà le premier avantage du voisinage; mais on n'a pas jugé ce privilége suffisant; on a voulu le fortifier par un tarif qui a rendu (surtout depuis décembre 1816) le fer étranger passible, à son entrée en France, d'un droit souvent plus que double de la valeur de ce fer, qui, conséquemment, a maintenu habituellement le prix du fer en France de 100 pour 100 au-dessus des prix anglais 1; et c'est avec de tels moyens de protection que cette fabrication reste (sauf quelques exceptions) précaire, languissante en France, en même temps que les autres industries françaises qu'elle approvisionne subissent un sacrifice égal à la différence du prix local entre le fer étranger et le fer français; en même temps aussi que la consommation de son fer coûte annuellement à la France 30 ou 40 millions de plus que ne coûte à l'Angleterre la consommation d'une égale quantité du sien; en même temps enfin que, dans un tel état, la France a de moins, chaque année, à capitaliser, à livrer à l'encouragement d'autres travaux, tout ce que lui coûte en plus maintenant la consommation de son fer índigène, c'est-à-dire 30 ou 40 millions".

L'effet est donc bien loin d'avoir répondu à l'intention; le mécompte est grave, et, sans accuser le motif, on ne peut pas s'empêcher de dire que de telles conséquences étaient faciles à prévoir bien avant qu'elles eussent acquis l'autorité d'un fait accompli.

Et, ce qui est bien remarquable, c'est qu'en 1736 un des ministres les plus éclairés de Louis XV (M. Órry) consignait des scrupules et des regrets analogues sur tout notre système de protection commerciale dans ses souvenirs qui remontaient jusqu'à Colbert. Voici le développement de quelques-unes de ses notes sur ces matières. A l'époque qu'il

1 a Deux ou trois usines seulement ont pu rapidement enrichir leurs entrepreneurs, parce que, mieux pourvues de combustibles meilleurs et employant de meilleurs procédés, elles peuvent, à l'aide du tarif des douanes, vendre aussi chèrement que les autres leur fer, qu'elles fabriquent à beaucoup meilleur marché. La consommation française n'y gagne rien. » (Note de M. Mollien.) 2 Ceci a dû être écrit vers 1825. On sait que la consommation du fer a augmenté depuis dans des proportions immenses.

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