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ménager, et de pouvoir dire librement aux Jésuites: Voilà de quoi vous êtes convaincus; justifiez-vous, si vous l'osez. C'est ainsi que la loi parle aux coupables; c'est ainsi que le monarque, qui est l'organe de la loi, devrait leur parler toujours; quand des circonstances malheureuses l'obligent à user de réserve, il est presque aussi à plaindre que ceux qu'il punit.

VII. En attendant ce détail, on a cru pouvoir supposer à Paris que les Jésuites français participent au crime des Jésuites d'Espagne, sinon d'effet, au moins d'intention; peut-être a-t-on cru devoir les traiter avec rigueur, par la seule crainte qu'ils ne soient en France une occasion de trouble, crainte que l'événement d'Espagne a réveillée; peut-être les punit-on seulement, comme la cigale de la fable, pour s'être trouvés en mauvaise compagnie; quoi qu'il en soit, l'édit qui expulse la société d'Espagne vient d'occasioner l'arrêt qui la bannit du ressort du parlement de Paris. Voilà pour les jansénistes un beau sujet de réflexions profondes; voilà une belle matière de lettre à un chevalier de Malte, ou à un duc et pair: car c'est là ordinairement leur bureau d'adresse. On ne sait si les autres parlemens suivront tous l'exemple que le parlement de Paris leur a donné; la plupart semblent vouloir laisser les Jésuites en paix; ce défaut d'uniformité peut avoir de grands inconvéniens; expulser tous les Jésuites est peut-être bien sévère; les conserver tous est peutêtre bien dangereux : mais avoir à leur égard deux poids et deux mesures, est le plus mauvais de tous les partis.

VIII. Les magistrats du parlement de Paris semblent désirer dans leur arrêt que le roi obtienne du pape la dissolution des Jésuites; c'est, dit-on, ce que le pape pourrait faire de mieux pour le bien de l'Eglise, pour la tranquillité de plusieurs Etats de l'Europe, enfin pour son propre repos; cela peut être : mais le S. Pere en aura-t-il le courage? se résoudra-t-il à réformer de sang-froid les meilleures troupes de sa maison? se bornerat-il à gémir sur les pertes et les malheurs du Saint-Siége?

IX. Si l'humanité et la compassion sont un motif assez puissant pour déterminer les hommes d'Etat, surtout quand ces hommes d'Etat sont en même temps hommes d'Eglise, je crois que cette raison seule devrait engager le souverain pontife à relever au moins de leurs vœux tous les Jésuites français, espagnols et portugais; par là il les affranchirait de cette obéissance sans bornes à leur général, si effrayante pour ceux qui ne sont pas jésuites, et aujourd'hui si funeste à ceux qui le sont; il empêcherait, autant qu'il est possible, que par ce motif on n'interdise à tant de malheureux le feu et l'eau, et qu'on ne leur ôte tout moyen de subsister.

X. Je sais qu'en Espagne et en France on leur a assigné des pensions; mais outre que ces pensions sont très-modiques, mille circonstances malheureuses ou forcées ne peuvent-elles pas en retarder, ou même en faire cesser le paiement? On oublie bientôt les malheureux quand on ne les voit plus? que sera-ce si ces malheureux sont membres d'une société proscrite et odieuse? Déjà, si on en croit le bruit public, cet inconvénient commence à se faire sentir pour les Jésuites français; plusieurs, dit-on, n'ont encore rien reçu des pensions qu'on leur avait accordées pour leur subsistance. C'est un fait que je ne suis pas à portée d'éclaircir; je sais seulement que tous les Jésuites de France ne sont pas dans le même cas, et que plusieurs ont exactement touché ce qui leur a été promis. Cet acte de charité, ou plutôt de justice, mérite, ce me semble, d'être rempli avec la plus grande exactitude, et on ne saurait à cette occasion refuser des éloges au conseil d'Espagne, qui, en chassant les Jésuites par l'acte d'autorité le plus décisif et le plus sévère, a cherché du moins à mettre toute l'humanité possible dans l'exécution. Quelle humanité, grand Dieu! s'écrieront les Jésuites, de nous laisser pendant trois mois à la merci des vents et de la mer, sans avoir même pris la précaution de s'assurer d'un port où l'on voulût au moins nous donner l'hospitalité ! Pour répondre à cette triste imputation, il faudrait examiner, je ne dis pas si le roi d'Espagne a eu de justes motifs pour expulser les Jésuites de ses États, car on ne doit pas en douter, mais si, voulant les expulser avec sûreté pour lui, il pouvait s'y prendre autrement qu'il n'a fait, et s'il ne courait pas trop de risque, en leur ordonnant simplement de sortir du royaume; s'il pouvait prévoir que le pape, qui avait reçu sans pension, pour l'amour de Dieu et de la société, quinze cents Jésuites portugais, refuserait de recevoir avec pension deux à trois mille Jésuites espagnols; si le pape de son côté n'a pas été en droit de les refuser, comme souverain par la grâce de Dieu et par celle des puissances chrétiennes ; s'il a bien ou mal raisonné en écrivant au roi d'Espagne : Pourquoi expatrier tant de malheureux s'ils sont innocens, et pourquoi vouloir en infester mes Etats s'ils sont criminels? Voilà bien des questions sur lesquelles il me paraît aussi difficile que délicat de prononcer. Un publiciste allemand trouverait là de quoi faire un gros volume, et le sage d'assez courtes, mais d'assez tristes réflexions.

XI. Il y a quelques jours qu'un de ces hommes, qu'on appelle philosophes, encyclopédistes, matérialistes, un de ces hommes enfin dont le nom seul fait reculer d'effroi à la cour, dans les colléges et dans les couvens de religieuses, déplorait le sort des infortunés Jésuites, qui, n'ayant d'autre crime que ce

lui de l'être, vont se trouver sans asile, sans pain, sans réssource. Vous êtes bien bon, lui dit quelqu'un, de vous attendrir sur des hommes qui vous verraient brûler en riant, et qui met, traient eux-mêmes le feu au búcher. Cela se peut, répondit simplement le philosophe; mais ces Jésuites sont des hommes, ils ne m'ont encore brûlé que dans l'intention, et je ne suis pas janséniste. En effet, monsieur, les magistrats même qui ont chassé les Jésuites de France, voient avec compassion la destinée de la plupart d'entre eux; je n'ai trouvé jusqu'à présent qu'une centaine de prêtres et deux ou trois femmes qui fussent insensibles à leur malheur; et je vous laisse à deviner de quel parti sont ces femmes et ces prêtres. Il est vrai que quand on voit d'un côté les Jésuites d'Espagne réduits à la situation la plus triste, et de l'autre les Jésuites de France abusant de la bonté qu'on a de les y souffrir pour cabaler et pour intriguer comme ils font, on ne sait à quel sentiment se livrer à l'égard des individus de cette société; on ne voudrait pas les voir malheureux, mais on voudrait les voir loin de soi. Les jansénistes les voudraient en enfer, et les philosophes aux Champs-Elysées.

aussi

XII. Que deviendront les Jésuites de Naples et ceux de Parme? est-ce un projet arrêté entre les princes de la maison de Bourbon, de ne plus souffrir de Jésuites dans les États de leur dépendance? Je m'arrête, car j'entends déjà qu'on me répond: Vous lisez de trop loin dans les secrets des dieux. On dit que l'expulsion de ces pères trouvera peu de difficulté dans les Etats de Parme; ces Etats sont petits, le gouvernement y est éclairé, et les Jésuites bien connus; mais on assure qu'il ne sera pas aisé de les chasser de Naples, où ils ont à leurs ordres cinquante mille coquins appelés lazaroni, toujours prêts à se révolter au premier signal: cette canaille avait pour chef, il y a quelques années, un fameux Jésuite nommé le père Peppe, qui présentait à la reine de Naples sa main à baiser, et lui donnait de l'autre sa bénédiction; c'est le même qui, en 1757, prêchait dans les marchés de Naples contre le roi de Prusse, et le comparait à l'antechrist; ce Jésuite, dans une sédition, eut l'audace, à ce qu'on prétend, d'offrir au roi de Naples, aujourd'hui roi d'Espagne, quarante mille hommes dont il se vantait de pouvoir disposer. Si le fait est vrai, la réponse naturelle à cette offre obligeante était de faire pendre le moine; et je crois que s'il ne le fut pas, c'est qu'on n'avait pas cent mille hommes à opposer aux quarante mille. Ce père Peppe est mort il y a quelques années, riche d'environ un million, tant en argent qu'en effets, qu'il avait amassé pour la plus grande gloire de Dieu, et à la très-grande édification de l'Eglise. Le poste était trop bon pour que les Jésuites

aient négligé de lui donner un successeur; et cet Elie a sûrement laissé son double esprit à quelque Elisée. Si le conseil de Naples vient à bout de chasser de tels prophètes, il faudra qu'il soit pour le moins aussi habile que le conseil d'Espagne.

XIII. Voici ce qu'un homme de mérite et très-instruit écrivait de Londres au mois de février 1767. Nous sommes inondés de Jésuites; jusqu'ici le gouvernement n'a pas jugé à propos d'y faire attention, mais on s'aperçoit de leur zèle à faire des prosélytes, et le nombre de ce que les Anglais appellent papistes, est considérablement augmenté depuis la destruction de la société en France; on assure qu'il s'est plus réfugié de Jésuites à Londres qu'à Rome. J'ai peine à croire que les Jésuites fassent en Angleterre autant de prosélytes que cette lettre les en accuse; on ne se convertit plus guère, et je crois les Jésuites moins propres que jamais à être les ministres de cette bonne œuvre ; j'imagine seulement que leur affluence à Londres doit avoir attiré dans cette ville les papistes du royaume, comme le miel attire les mouches. Quoi qu'il en soit, le gouvernement d'Angleterre souffre donc paisiblement dans son sein les Jésuites et leurs adhérens; je n'examine pas s'il a tort ou raison; mais que les Jésuites sentent au moins tout le prix de cette indulgence, si contraire à l'esprit de persécution dont ils étaient animés; qu'ils cessent enfin de prêcher contre la tolérance, qui leur est aujourd'hui si utile; car, sans cette tolérance, que deviendraient-ils en Angleterre et ailleurs?

XIV. Ce qui attire surtout l'attention de l'Europe, c'est le parti que prendront les Jésuites du Paraguai; leur conduite avec l'Espagne nous apprendra s'ils sont en effet aussi puissans dans ce pays que leurs ennemis et leurs amis le prétendent; l'événement fera connaître s'ils sont assez forts pour se maintenir au Paraguai en dépit de l'Espagne; en ce cas, malheur à toute puissance qui ne les chassera pas de chez elle, comme des hommes qui osent partager avec le gouvernement le pouvoir souverain; pour moi, mon avis serait qu'on envoyât au Paraguai tous les Jésuites d'Europe, ils y seraient tranquilles et heureux, s'ils peuvent l'être, et nous aussi.

XV. J'ignore comment les Jésuites du Paraguai se conduiront; mais quel que soit leur projet, j'ai mauvaise opinion du succès, si le même esprit de vertige qui les agite aujourd'hui en Europe, s'est étendu jusqu'aux Jésuites du Nouveau-Monde. Cet esprit de vertige, qui les précipite partout vers leur ruine, est bien contraire à l'esprit de leur institut, et ce n'était pas par là qui fallait s'en écarter. Qu'est devenue cette prudence dont ils se glorifiaient, qui avait tant contribué à leur grandeur, qui

les avait fait échapper à tant de périls? Autrefois leur lançait-on du haut du toit un seul coup de pierre, ils se retiraient à l'écart, faisaient le moins de bruit qu'ils pouvaient, et attendaient pour continuer leur chemin qu'on ne pensât plus à eux; depuis six à sept ans on tire sur eux à cartouche en Portugal et en France, et c'est le temps qu'ils choisissent en Espagne pour cabaler contre le monarque! Oh! que les jansénistes ont beau jeu pour s'écrier que Dieu vient d'aveugler le conseil d'Achitophel, afin qu'il allát se pendre!

XVI. Quelle terrible leçon que le désastre des Jésuites, pour les ordres religieux qui voudraient à l'avenir se rendre puissans, ou même qui se contenteraient de le paraître ! Depuis deux cents ans ces pères luttaient contre la haine, ils pouvaient en apparence se flatter d'en être vainqueurs, ils ont fini par y succomber. Oh! que la haine est active et vigilante! elle est éternelle comme Dieu et terrible comme lui.

XVII. Mais quelle leçon en même temps pour tout souverain, pour tout État, qui voudrait désormais protéger les moines et leur donner de l'existence! Cette espèce d'hommes se présente d'abord avec un air soumis et modeste, elle semble n'avoir pour but que de se rendre utile, elle commence même quelquefois par l'être, elle tâche ensuite de se rendre nécessaire, puis indépendante, et enfin dangereuse; c'est alors que l'autorité, qui l'avait protégée d'abord, se trouve contrainte, pour la réprimer, de s'écarter des formes de la justice; ce qui est toujours un mal dans tout gouvernement, même quand on s'y trouve réduit pour éviter de plus grands maux. Voilà l'histoire des Jésuites en Espagne : aucune puissance ne les avait d'abord traités plus favorablement; aucune puissance ne les a traités ensuite avec plus de rigueur; c'est l'autorité qui les a soutenus, c'est l'autorité qui les chasse.

XVIII. Rien de plus fragile, dit un historien philosophe, qu'un pouvoir qui n'a qu'un appui étranger. Croit-on que les ordres mendians subsisteraient encore, s'ils avaient conservé long-temps l'éclat qu'ils eurent à leur naissance? Que de protecteurs et d'ennemis à la fois! Écoutez d'un côté le bon S. Louis, qui disait que s'il pouvait se partager en deux, il donnerait une moitié de lui-même aux cordeliers, et l'autre aux jacobins. Je ne donne pas cette parole pour ce que S. Louis a dit de meilleur; mais voyez quel respect tous les princes de son siècle. avaient, comme lui, pour l'habit des mendians, puisque tous voulaient mourir avec une robe de frère précheur ou de frère mineur. D'un autre côté, écoutez en même temps les cris redoublés des universités, des évêques, et de toute la chrétienté contre

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