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CHAPITRE PREMIER

LA TRAITE JUSQU'AU CONGRÈS DE VIENNE

La Traite au point de vue du Droit maritime International. - L'ŒEuvre du Cardinal Lavigerie. - Historique de la Traite des Nègres, Ses débuts et la Papauté. Influence de la découverte du Nouveau-Monde. Les Portugais et les Espagnols. - John Hawkins et la Reine Elisabeth. Charte royale octroyée à la Compagnie Anglo-Africaine. Edit de Louis XIII. Compagnies du Sénégal et de Guinée. Traités d'Utrecht. Hécatombes humaines. Les quatre actes de la Traite. Influence de la Révolution française. Bonaparte rétablit l'esclavage. son et Wilberforce. Bill de 1807. - L'Angleterre et l'abolition de la Traite1.

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Clark

En abordant l'étude si intéressante de la question de la Traite des Nègres, nous devons déclarer que nous avons surtout pour but de l'envisager au point de vue du Droit maritime International. Cependant nous serions encore flatté si, dans ces limites, on pouvait estimer que nous avons apporté notre faible concours à l'œuvre si éminemment humanitaire de S. E. Mer le Cardinal Lavigerie.

La Traite, en effet, comme on le verra plus tard,

1. Lettre de Son Eminence le Cardinal Lavigerie faisant hommage à S. M. le Roi Léopold II des Documents sur la fondation de l'Œuvre anti-esclavagiste publiés à l'occasion de la Conférence de Bruxelles (8 Novembre 1889);

Encyclique In Plurimis de S. S. Léon XIII à propos de l'abolition de l'esclavage au Brésil (5 Mai 1888);

Clarkson. Essai sur l'impolitique de la Traite des Nègres ;

Scasez de Laqueneuille. L'Esclavage, ses promoteurs, ses adversaires ;
Ernest Nys. L'Esclavage noir devant les jurisconsultes et les Cours de justice;
Moreau de Jonnès. — Recherches statistiques sur l'Esclavage colonial.

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donna à l'Angleterre, après la chute de Napoléon, l'occasion de tenter de se faire accorder par les Puissances des droits auxquels elles s'étaient refusées si longtemps de souscrire et dont la chute de Napoléon semblait devoir lui permettre d'obtenir facilement l'octroi. Mais d'abord nous allons jeter un coup d'œil en arrière pour mieux faire comprendre l'importance de la question et les développements qu'elle a reçus jusqu'à notre époque.

Pour ne remonter dans l'Histoire qu'à l'aurore des temps modernes, l'on peut dire que la Traite, dont les débuts paraissent commencer au Xe siècle par l'entremise de marchands maures, ne prit du développement qu'au XVe siècle lorsque les Portugais se firent marchands d'esclaves, et lorsque le Pape Nicolas V, emporté par un prosélytisme trop ardent que les actes ultérieurs des Papes ont condamné si éloquemment, eut déclaré (8 Janvier 1454) que la Traite avait du bon puisque l'achat des Nègres procurait des occasions de conversion. Mais l'odieux trafic ne devait recevoir son développement complet qu'après la découverte du Nouveau-Monde.

Ainsi un Monde nouveau ne s'ouvrait à la civilisation et à la colonisation européennes que pour servir de débouché aux produits de l'infâme commerce qui désolait une partie d'un monde ancien.

Le premier débouché qui s'offrit au commerce des Noirs fut l'île d'Hispagnola dont les colons réclamaient des Nègres pour l'exploitation des mines de Cibao. Mais quelques révoltes des Indiens s'étant produites à l'instigation de Nègres qui avaient rompu leurs chaines, le Gouverneur des Indes Occidentales rendit une Ordonnance (1503) pour défendre l'importation de la marchandise noire. Celle-ci malheureu

sement était nécessaire, ou du moins le semblait, et des Ordonnances royales rendues en 1511, 1512, 1513, réglèrent le commerce des esclaves entre la Guinée Hispagnola et Cuba où, en 1517, le Roi Charles autorisa l'envoi de 4000 Nègres.

Tout d'abord le commerce ne se fit que par ou pour les Portugais et les Espagnols qui, les premiers, s'étaient lancés du côté de l'Amérique. Mais les Anglais suivirent bientôt leurs traces abominables et se signalèrent par les excès de John Hawkins et la participation aux bénéfices de la Reine Elisabeth. En 1588 se fondait une Compagnie Anglo-Africaine pour l'exploitation et le drainage du bétail humain : elle obtint en 1631 une Charte royale.

Avec l'édit de Louis XIII commença pour les Français la participation officielle à l'œuvre infernale. « Louis XIII se fit une peine extrême de la loi qui rendait esclaves les Nègres de ses colonies; mais quand on lui eut bien mis dans l'esprit que c'était la voie la plus sûre pour les convertir, il y consentit'. Les Colonies furent donc autorisées à recevoir des esclaves contrairement au glorieux et ancien principe d'après lequel étaient libres tous ceux qui pouvaient aborder une terre soumise au Roi de France; et, sur le modèle de la Compagnie anglaise, se fondèrent les Compagnies françaises du Sénégal et de Guinée qui reçurent une prime de 13 livres par tête à la condition d'importer la première 2000, la deuxième 1000 esclaves par an dans les Colonies d'Amérique.

Il manquait à ces beaux débuts une sanction diplomatique lorsque, enfin, en 1713, par le Traité d'Utrecht, l'Angleterre se fit céder par l'Espagne

1. Montesquieu, - Esprit des lois, XV, 54.

l'aciento confié jusqu'alors aux Français : c'est-à-dire le privilège de fournir des esclaves aux Colonies espagnoles.

De 1680 à 1700, les Compagnies privilégiées d'Angleterre avaient expédié dans les Colonies un peu plus de 140 000 Nègres, et la contrebande en avait introduit près de 160 000: ce qui fait 300 000 en

20 ans.

De 1680 à 1780, les Antilles anglaises en reçurent à elles seules 2 130 000, et la Jamaïque, une des plus grandes mangeuses d'hommes, en recevait pour sa part 7 100 par an.

En 1786, l'on a calculé que 74 000 esclaves avaient été arrachés à leur pays, dont 38 000 transportés par les Anglais, 20 000 par les Français, 10 000 par les Portugais, 4000 par les Hollandais et 2000 par les Danois.

Si, depuis le commencement du XVIe siècle jusqu'au moment de la Révolution Française, l'on évalue à 20 000 par an le nombre des esclaves transportés, on atteint le chiffre d'environ 6 000 000 d'hommes qu'un trafic infâme arracha de leurs foyers. Mais ce chiffre devient plus éloquent encore si l'on songe que pour obtenir 1 000 Nègres il fallait en faire périr environ 1450: ce qui donnerait 8 700 000 têtes de bétail humain sacrifiées pour obtenir les 6 000 000 précédentes, soit au total 14 700 000, ou, en chiffres ronds, 15 000 000 d'êtres humains indignement traqués, chassés, transportés pour le plus grand bénéfice d'immondes négriers.

Malheureusement dans la Traite il ne faut pas considérer seulement les résultats qu'elle donne; son œuvre, tragédie infâme et cruelle, se divise en quatre actes nettement séparés et si bien définis par

S. E. le Cardinal Lavigerie: 1o La Chasse: 2o La Caravane; 3° La Vente; 4° Les Conditions de l'Esclavage. Nous ne pouvons nous laisser entraîner à résumer ces quatre actes si éloquemment et si douloureusement exposés par le vénérable Cardinal. Qu'il nous suffise de rappeier avec lui ces paroles de Livingstone: « Surfaire les calamités de la Traite est une pure impossibilité; le sujet ne permet pas qu'on exagère; et de nous écrier en même temps : « Assez de souffrances, assez de sang, assez d'opprobe, assez d'insultes à la civilisation, à tous les principes dont vit le monde chrétien et qu'il ne peut laisser fouler aux pieds'. »

La Révolution française, avec son caractère si humanitaire, ne pouvait et ne devait pas laisser subsister la honte de ce trafic, du moins en ce qui concernait la France. En effet, la Constitution française du Septembre 1791, dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, reconnut à tous les hommes des droits naturels, inaliénables et sacrés.

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« Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », disait l'Art. Ier; et d'après l'Art. II, «ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. » Plus tard, l'Acte Constitutionnel du 24 Juin 1793 rendit libres les esclaves par son Art. XVIII ainsi conçu: << Tout homme peut engager ses services, son temps, mais il ne peut se vendre ni être vendu, sa personne n'est pas une propriété aliénable. » Ces déclarations se retrouvent également dans la Constitution de la

1. Cardinal Lavigerie. Op. cit., p. 65.

2. La Convention, sur la proposition de Grégoire, avait, en 1793, aboli la prime pour la Traite des Negres. Le 4 Février 1794, elle décréta par acclamation l'abolition de l'esclavage dans les Colonies. (Histoire de la Civilisation contemporaine en France. Rambaud).

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