EPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS, SUR LE THÉATRE DE LA PORTE-SAINT-MARTIN, ÉLÉNA. Elle est assise et brode une écharpe. Une écharpe de deuil, sans chiffre, sans devise! Hélas! triste présent, mais je l'avais promise, Je devais l'achever... Vaincu par ses remords, Du moins après ma faute, il a quitté nos bords; Il recevra ce prix de l'exil qu'il s'impose. Elle se lève et s'approche de la fenêtre. Le beau jour! que la mer où mon oeil se repose, Il n'est qu'une Venise! on n'a pas deux patries!... Elle s'assied et ouvre un livre. Le Dante, mon poète! essayons... Je ne puis Nous le lisions tous deux je n'ai pas lu depuis. Elle reprend le livre qu'elle avait ferme Ses beaux vers calmeront le trouble qui m'agite. SCÈNE II. ÉLÉNA, FERNANDO. FERNANDO. Demeurez! e doge suit mes pas; c'est lui que vous fairez. Près de vous, Éléna, son neveu doit l'attendre. ÉLÉNA. Vous ne me direz rien que je ne puisse entendre, Fernando, je demeure. FERNANDO." Eh quoi! vous détournez Vos yeux qu'à me revoir j'ai trop tôt condamnés! Qu'ils me laissent le soin d'abréger leur supplice. Quelques jours, et je pars, et je me fais justice; Faut-il vous le jurer? ÉLÉNA. Ce serait vainement : Lorsqu'on doit le trahir, que m'importe un serment? FERNANDO. Quel prix d'un an d'absence où j'ai langui loin d'elle ! Cette absence d'un an devait être éternelle; FERNANDO. Ne vous accusez pas, quand je suis seul parjure. Quelque reproche amer qui rouvre ma blessure, FERNANDO. Ah! craignez seulement de vous trahir vous-même! Vos remords sont les miens près d'un vieillard qui [m'aime. Je me contrains pour lui, que la douleur turait, Ses pleurs Brûlaient mon front qui rougissait de honte. ÉLÉNA. Et le tourment qu'il souffre à plaisir il l'affronte, Il le cherche, et pourquoi ? FERNANDO. Pour suspendre un moment, En changeant de douleurs, un plus affreux tourment. Ce n'est pas mon amour,n'en prenez point d'ombrage, Restez, ce n'est pas lui qui dompta mon courage; J'en aurais triomphe! mais c'est ce désespoir Que n'ont pu, dans l'exil, sentir ni concevoir Tous ces heureux bannis de qui l'humeur légère A fait des étrangers sur la rive étrangère. O bien qu'aucun bien ne peut rendre! Que les vôtres déjà n'arrosent-ils ma cendre! Et Et Lui dénonçait son crime à son heure suprême; Mais ce sang que le fer va tarir, Avant de se répandre où Venise l'envoie, A battu dans mon sein d'espérance et de joie. Il palpite d'amour! à quoi bon retenir Ce tendre et dernier cri que la mort doit punir? Je vous trompais; c'est vous, ce n'est pas la patrie, Vous, qui rendez la force à cette ame flétric; Vous, vous que je cherchais sous ce climat si doux, Sur ce rivage heureux qui ne m'est rien sans vous! C'est votre souvenir qui charme et qui dévore. C'est ce mal dont je meurs, et je voulais encore Parler de ma souffrance aux lieux où vous souffrez, Respirer un seul jour l'air que vous respirez, Parcourir le Lido, m'asseoir à cette place Où les mers de nos pas ont effacé la trace, Voir ces murs pleins de vous, ce balcon d'où mes yeux En vous les renvoyant recevaient vos adieux... FALIARO absorbé dans sa rêverie. Tous mes droits envahis! mon pouvoir méprisé! Que n'ai-je pas souffert, que n'ont-ils point ose? Mais après tant d'affronts dévorés sans murmure Cette dernière insulte a comblé la mesure. Qu'entends-je? ÁLÁNA. FERNANDO. Qui? moi. Tu reviendras. La mort, plus qu'on ne pense, épargne le courage. Regarde-moi! j'ai vu plus d'un jour de carnage; Sous le fanal de Gênes et les murs des Pisans, Plus d'un jour de victoire, et j'ai quatre-vingts ans. Tu reviendras. Ce sceptre envié du vulgaire Moissonne, Fernando, plus de rois que la Ecartez vos ennuis! FERNANDO guerre. |