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nistre de la monarchie de Juillet me fit l'honneur de m'écrire le 24 juin 1838. On y reconnaîtra un des plus charmants esprits de ce temps-ci et le plus habile tacticien parlementaire. M. Molé était ministre lorsque cette lettre me fut adressée. L'auteur de la lettre était le chef du centre gauche.

« MON CHER MONSIEUR VÉRON,

« J'avais chargé M. Etienne de vous complimenter sur l'esprit avec lequel est écrit le Constitutionnel. Malheu«< reusement mes lettres ont dû s'enfoncer dans le départe«ment de la Meuse. Je vous adresse donc directement mes compliments. J'y ajoute deux modifications. Vous louez

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trop M. Molé, et vous traitez mal la Belgique. Je sais que « M. Molé a plus d'esprit que ses collègues, mais il est in

capable de les suppléer; il n'a pas assez de talent pour «< cela; leur faiblesse qui les écrase, l'écrase lui aussi. On << ne brille à côté de collègues plus faibles que lorsqu'on les supplée; mais M. Molé ne sait faire qu'une chose, c'est éluder; on élude un moment, mais jamais longtemps les « difficultés. M. Mole reste donc faible de la faiblesse des siens « et de la sienne propre. J'ai toutefois assez de goût pour lui, << je ne voudrais pas qu'on le maltraitât, mais je ne voudrais

<< pas qu'on fît croire que nous nous entendons avec lui. Si vos

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éloges ont pour but de le brouiller avec M. de Montalivet,

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je suis fâché de ne pas être à Paris pour pouvoir vous ra«< conter à quoi servent les éloges de ce genre; on en est « pour ses frais. La situation brouille les hommes; mais les «< éloges donnés aux uns contre les autres est une force qu'on <«<leur donne sans ajouter à la brouille toujours assez grande quand la situation y conduit; nous devrions nous entendre << demain avec M. Molé, qu'il faudrait, pour le louer, attendre après-demain.

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Quant à la Belgique, il ne faut pas oublier qu'avec son désagréable caractère, elle est cependant notre alliée, que << sa dignité, ses intérêts sont les nôtres, qu'il ne faut pas affaiblir notre cabinet, dans une situation très difficile, et << que surtout il ne faut pas, en maltraitant les Belges, l'en«courager à être faible.

« Voilà mes prônes de vieux prédicateur; du reste, je « vous répète que le journal est bien fait, bien écrit, bien « courageux; que je le loue de tous points, sauf deux. Je « voudrais vous envoyer quelque chose, mais je voudrais, « par une lettre de vous, savoir où en est la situation et quels « sont vos calculs!

« Adieu, je vous fais mille compliments.

A. THIERS.

On se tromperait fort si l'on attribuait à des habiletés de stratégie toutes les chances heureuses qui se sont succédé

dans ma vie. Les plans que je me suis tracés depuis ma jeunesse n'ont jamais été menés à bonne fin: le hasard semblait toujours venir me prendre par la main, pour me détourner du but que je voulais atteindre, et pour me faire arriver à une position imprévue et à une situation meilleure.

J'étudie dix ans la médecine et cela me conduit à faire une espèce de fortune à l'Opéra.

Je deviens gérant du Constitutionnel, mais avec la résolution de ne jamais prendre la plume comme écrivain politique, et voilà que la loi Tinguy-Laboulie vient me forcer d'écrire, en les signant, des articles sur les événements du jour, et m'engager, comme malgré moi, dans la mêlée des partis, dans les crises politiques les plus passionnées qui se soient produites en France depuis la fin du siècle dernier.

J'avais fait en 1837 d'inutiles efforts pour être nommé député, et pour obtenir une centaine de voix dans un des arrondissements situés au bout de la France, et, en 1852, presque à mon insu et sans la moindre démarche, je suis, sous le suffrage universel, élu député du département de la Seine, par plus de 24,000 voix.

Il y a pourtant, je le confesse, dans chacune des situations où le hasard vous conduit, à payer de sa personne; il y a des conditions impérieuses et des devoirs incessants à remplir pour toute espèce de succès.

CHAPITRE II.

L'EMPIRE.

Révolutions de l'esprit et de l'estomac français. La danse sous l'Empire.— Forioso et Ravel. -Dépenses de l'impératrice Joséphine pour modes et robes. Les cafés et les restaurateurs. Robert et M. de La Chalandray. - Cambacérès et d'Aigrefeuille. La table de l'Empereur. Un petit roman en correspondance.

Le baron Capelle et la grande-duchesse de Lucques et de

Piombino. Montrond. Mademoiselle Bourgoin.

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quiers.

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Les chevaliers à la

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Les actions de la Banque.

La caisse Jabach. Les ban

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Les lycées de Paris. - Les mystificateurs. Le cabinet noir. Le Palais-Royal. Les fournisseurs de l'armée. Paulée. Ouvrard.Seguin. Ouvrard et Labédoyère. Conclusion.

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Les révolutions dont ce demi-siècle a été le témoin ne furent point seulement des révolutions de gouvernements et de dynasties; elles suscitèrent encore les plus profonds changements dans nos idées, dans toute notre philosophie, dans notre littérature, dans nos mœurs, et jusque dans notre hygiène.

Aussi bien que notre esprit et que nos croyances, notre estomac se prêta avec souplesse à tous ces sens-dessus-des

sous politiques, à toutes les innovations qui s'ensuivirent. Presque à chaque révolution, notre estomac changea de régime.

Cabanis avait dit sous l'Empire: On pense comme on digère. On doit dire avec plus de sens et de vérité : « On digère comme on sent et comme on pense. Dans la pein

ture des diverses transformations de l'esprit et de l'estomac français, j'aurai souvent l'occasion de mettre en saillie cette vérité métaphysique.

L'Empire, que j'ai pu voir passer devant moi pendant les premières années de ma vie, et qui a laissé dans ma mémoire des souvenirs ineffaçables, l'Empire ne fut pas l'époque des Descartes, des Malebranche, des Locke, des Berkley, des Leibnitz, des Condillac. La grande affaire d'alors, c'était le monde à conquérir; on n'avait ni le temps ni le goût de s'écouter penser. Du haut du trône, on raillait même les psychologistes, les métaphysiciens et les libres esprits. On appelait tout cela des idéologues.

Dans cette société on obéissait, presque à son insu, à cette philosophie stoïque, qui faisait mépriser la vie des autres et la sienne propre. La Beauté, c'était la Force. On estimait les formes herculéennes; on faisait cas de larges épaules, d'un ventre proéminent et de mollets luxuriants. Quelques lettrés de l'Empire durent peut-être leur brillant avenir aux lignes d'une jambe puissante et bien dessinée. Dans ces

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