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qu'en face d'une sphère d'influence, l'arbitre n'aurait pas le droit d'user, contre elle, de sa faculté d'amiable composition. Sans parler des traités avec l'Espagne, relatifs au bassin amazonien, de 1750 et de 1770, qui valaient, au sens actuel du mot, sphère d'influence, la découverte, l'exploration, la prise de possession de l'estuaire de l'Amazone en faisaient déjà fonction. Et, sans doute, toutes ces graines de possession n'avaient pas germé, suivant l'arbitre, en territoire contesté. Mais il fallait prouver qu'elles avaient été chassées par des influences contraires : ce qu'en refusant aux Anglais un droit total au contesté, sauf en quelques points seulement, l'arbitre avait lui-même avoué qu'il renonçait à faire. Donc, à défaut de droits formels, le Portugal et son successeur le Brésil avaient tout au moins des germes de droit qu'avant d'exercer la faculté d'amiable composition l'arbitre aurait dû nier, et que non seulement il n'a pas niés d'où défaut de motifs -, mais qu'encore il ne pouvait pas nier d'où erreur de fond.

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Eût-il pu rejeter, d'ailleurs, les droits naissants, que l'amiable compositeur n'eût pas encore trouvé, devant lui, table rase. Et, si des juges américains avaient connu du litige, ils n'auraient pas manqué de faire observer qu'à défaut de droit, ou de germe de droit, restait la maxime en vertu de laquelle «< ne pourront être considérés comme vacants et sans maître les territoires faisant partie d'un continent habité par des nations civilisées possédant des gouvernements établis, alors méme que ces territoires ne seraient pas présentement entièrement occupés; et, par conséquent, serait contraire au droit international la prétention d'un État qui voudrait faire application à ces territoires des principes généraux reçus en matière de colonisation ». Si donc, sur le territoire contesté, l'Angleterre et le Portugal n'avaient pas, en tout ou partie, fondé de droits certains avant 1822, date de l'émancipation du Brésil, celui-ci ne pouvait plus voir discuter par l'Angleterre, comme vacant et sans maître, ce territoire intégré dans ses limites d'État, et toute la partie sur laquelle n'apparaissaient pas des droits certains, antérieurs à 1822, devait être au Brésil. Or l'arbitre affirmait que la plus grande part du contesté n'était pas l'objet de droits certains, ni même de germes, et par

conséquent était vacante et sans maître en 1902, à plus forte raison en 1822 : dès lors, quoiqu'entre deux nations américaines, elle pût être disputée comme territoire national, nulle nation non américaine ne pouvait la réclamer au titre colonial, et l'Angleterre, en conséquence, en devait être déboutée ; l'Angleterre déboutée, le Brésil, qui la revendiquait comme territoire continental, pouvait la garder, et l'on s'étonnera d'autant plus, entre l'Angleterre et le Brésil, de l'amiable composition de l'arbitre, que le passage précité n'est pas entaché, pour les scrupules européens, du moindre soupçon du monroëisme. S'il est proche parent de la doctrine de Monroë, ce n'est pas de la doctrine abusive que, parfois, les susceptibilités de l'Europe ou la timidité de certaines parties de l'Amérique ont justement redoutée ; c'est de la doctrine de Monroë, dans sa première manière, si proche elle-même de la toute moderne théorie de l'occupation effective (1). Mais ce n'est pas sous l'autorité trop retentissante et parfois dénaturée de Monroë qu'en s'appropriant cette formule l'arbitre se fût placé : le juriste éminent, auquel le roi d'Italie devait naturellement demander conseil, l'avait d'avance écrite dans son Droit international codifié (art. 545) auquel nous venons de l'emprunter.

3o Objection tirée de la logique de la sentence. - Enfin, la partie de la sentence où l'arbitre s'attribue la faculté d'amiable composition renferme, au point de vue logique, de flagrantes contradictions.

L'arbitre admet que l'une et l'autre des parties avaient acquis des droits « bien précisés et bien définis » sur certaines portions du territoire litigieux. On est en droit de supposer qu'il ne se prononce pas à la légère et qu'il est, à la suite de l'étude attentive des documents, parfaitement à même de localiser sur la carte les titres particuliers et limités qu'il reconnaît aux parties. Or, loin de donner des indications précises à l'appui de son affirmation, il se voit obligé de faire ce déconcertant aveu qu'il ne saurait dire quelles sont les localités effectivement occupées. La sentence porte, en effet,

(1) TUCKER, The Monroe Doctrine, p. 12; PÉTIN, La Doctrine de Monroë, p. 58 et s.; SALOMON, L'occupation des territoires sans maître, n. 93.

que « la limite de la zone de territoire sur laquelle les droits de souveraineté de l'une ou de l'autre des deux hautes parties doivent être regardés comme établis ne peut être fixée. avec précision ». En lisant ce passage, on est toutefois porté à croire que l'arbitre n'ignore pas les localités occupées, mais que la difficulté de tracer la limite des zones respectivement acquises provient uniquement de l'enchevêtrement des occupations. Mais la même sentence s'empresse de dissiper toute méprise « On ne peut pas, dit-elle, décider sûrement si le droit prépondérant est celui du Brésil ou de l'Angleterre », ce qui signifie sans doute que l'on ne voit pas si les points occupés par l'une des parties sont plus nombreux ou plus importants que ceux occupés par l'autre : ce qui revient à dire qu'on ne sait pas, en réalité, quelles sont les localités occupées.

L'opinion de l'arbitre apparaît ainsi comme une affirmation gratuite dénuée de tout fondement. Ce n'est pas sur des constatations aussi rapides qu'on peut recourir à la clause d'amiable composition. Mais à supposer que ce soit en parfaite connaissance des localités occupées que l'arbitre les déclare égales, pourquoi n'a-t-il pas fait son amiable répartition, alors, sur le pied de l'égalité ?

L'objection est d'autant plus grave qu'il eût aisément trouvé, dans ce sens, une limite naturelle. A défaut de la ligne de partage des eaux, combattue, depuis Schomburgk, pour insuffisance de relief, il trouvait dans les négociations diplomatiques d'autres lignes fluviales, qui eussent permis un partage plus égal, notamment celle qu'en 1898 avait proposée lord Salisbury (16,790 kilomètres carrés à la Grande-Bretagne contre 16,410 au Brésil); puisque les droits constatés certains étaient égaux en étendue, n'était-ce pas l'occasion d'appliquer le partage égal aux droits demeurés incertains? Puisque l'Angleterre elle-même avait accepté cette ligne, en 1898, pourquoi, dans l'absence de droit certain, l'écarter? Et, pour remonter jusqu'au principe, n'est-ce pas un devoir, pour l'amiable compositeur, de rapprocher, autant qu'il le peut, sa transaction de la meilleure de celles qu'antérieurement se sont, spontanément, proposées les parties?

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Pour avoir, sur des droits certains égaux, inégalement réglé des droits incertains, l'amiable répartiteur a dû résolûment descendre au fond du litige, et là, trouver, à son sens, une raison d'inégalité qu'il n'a pas dite, et que nous devons rechercher. S'il constate l'égalité du nombre des occupations faites, au point de vue de l'étendue, l'arbitre ne dissimule pas que, dans son esprit, elles sont inégales au point de vue de la qualité. Les prises de possession portugo-brésiliennes lui paraissent, en utilité sociale, inférieures aux prises de possession hollando-anglaises. Élevant le débat jusqu'à la comparaison de deux méthodes coloniales, il voit, ou croit voir, du côté du Portugal, les tropas de resgate, les grandes mais brèves randonnées, par lesquelles l'occupation, trop souvent, se borne, dans le rayon d'un fort, à réduire les Indiens en esclavage; du côté de la Hollande, l'œuvre des interlopers, des uitloopers, des uitleggers, les courses aventureuses du commerce dans le rayon d'un poste ; d'un côté, la colonisation politique, par une administration de soldats et de missionnaires; de l'autre, la colonisation économique, par une administration de marchands; d'un côté, l'autorité pure et simple d'une organisation de fonctionnaires, ambitieuse et vaine, sans emprise matérielle ou morale dans l'exploitation du sol ou dans l'éducation des indigènes par le travail; de l'autre, l'action, toujours marchande, même quand elle est politique, d'un gouvernement de négoce, insoucieux de l'autorité toute nue, non sans ambition, mais jamais sans ambition vaine, qui, pour développer le commerce, devient, amicalement, par des présents et des subsides, comme ses posthouders, « mainteneur » de paix; d'un côté, la face armée; de l'autre, la face marchande de la civilisation; d'un côté, la face militaire et, de l'autre, la face pacifique. Il voit ou croit voir la première, autoritaire, parfois hostile, passer, brève et rude, en effrayant les indigènes, et la seconde, persuasive, élargissant les sentiers de l'interloper, arriver, amicale et facile, en attirant les Indiens par les perspectives du troc. Les sentiments des Macuxis, des Uapichanas, des Atoraïs, lui paraissent se tourner en reconnaissance

vers les Paranakiri, les hommes de la mer, venus de l'Essequibo, pour le commerce, en défiance vis-à-vis des Cariwas, des hommes de l'Amazone, que, victimes des Caraïbes, ils nomment comme leurs pires ennemis la clause, proposée par le Brésil (1), et finalement insérée dans le compromis (art. 11), en vue de l'émigration des Indiens « vivant dans une partie quelconque du territoire en litige, qui pourra être adjugée par la sentence » lui fait croire que, pour le Portugal et le Brésil, la colonisation ne fut pas, comme pour la Hollande et l'Angleterre, une amitié, ou tout au moins une si grande amitié. L'action lointaine des missionnaires catholiques, appuyée sur des troupes, encadrée parmi des soldats, lui paraît moins forte que l'action proche des missionnaires protestants, pacifique et simple, encadrée parmi les marchands: il n'oublie pas qu'à Pirara la première mission fixe est une mission protestante. La forme agricole de l'expansion brésilienne, par l'élève du bétail au pâturage, lui paraît inférieure à la forme commerciale de l'expansion anglaise, par le développement du troc; la première procède, par randonnées, à cheval, dans la campagne; la seconde, par établissements à demeure, dans les régions peuplées; la fazenda crée plutôt des rapports avec le sol; la factorerie crée plutôt des rapports avec l'homme. Il n'est pas jusqu'à certains faits, de nature à impressionner fâcheusement l'arbitre, comme l'annonce hâtive, à la veille de l'arbitrage, de concessions de terre, de prospection de mines, de construction de chemins de fer (2), qui ne puissent, dans cette comparaison, favoriser la prétention britannique, en la montrant plus énergique, et, par conséquent, plus féconde. Et. finalement, comparant ces deux méthodes de colonisation, l'une, fonctionnariste, faisant de l'autorité pour l'autorité, l'autre mercantile, faisant de l'autorité pour le profit; l'une, agricole, au premier terme, pastoral, de la civilisation, l'autre, industrielle, au dernier; l'une, encore à cheval, l'autre, déjà prête à poser ses rails; l'une un peu molle, l'autre toujours active;

(1) V. suprà, p. 19.

(2) V. le mémorandum du secrétaire d'État Chamberlain, de 1901, et les observations de M. Joaquim Nabuco, suprà cit., p. 22-24.

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