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tout lire, classer, « trier, évaluer », moins attentive, pourtant, à tout comprendre et tout dominer, se sent visiblement impuissante. Accablée par le détail du droit et du fait, elle s'impatiente du joug technique, s'irrite du droit subtil et du fait menu, rejette l'un, renvoie l'autre, aspire à la délivrance, au jugement de haut, ex æquo et bono, suivant une raison d'autant plus large et plus sûre qu'elle sera plus libre (1). Et, d'abord, elle repousse, pour des raisons de droit,

(1) Voici le texte de cette sentence, traduit d'après l'original italien publié par le gouvernement britannique (Livre bleu, Brazil, no 1 (1904), Award of H. M. the King of Italy, etc.) :

Nous, Victor-Emmanuel III, par la Grâce de Dieu et la volonté de la Nation, Roi d'Italie, arbitre pour décider la question de la frontière entre la Guyane britannique et le Brésil.

Sa Majesté le Roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, Empereur des Indes et le Président des États-Unis du Brésil, ayant arrêté par le traité conclu entre eux à Londres, le 6 novembre 1901, de nous inviter à décider, en qualité d'arbitre, la question relative à la frontière entre la Guyane britannique et le Brésil, nous avons accepté de définir cette délimitation.

Les Hautes Parties en litige s'étant engagées par ledit traité, ratifié à Rio de Janeiro, le 28 janvier 1902, à accepter notre décision arbitrale comme un règlement complet, parfait et définitif de la question qu'elles nous ont déférée, dans notre bon vouloir de répondre à la confiance que lesdites Parties ont placée en nous, nous avons attentivement examiné tous les mémoires et tous les documents qui nous ont été exhibés, et nous avons trié et évalué les raisons sur lesquelles chacune des deux Hautes Parties fonde son propre droit.

Ayant dûment tenu compte de tout, nous avons considéré :

Que la découverte de nouvelles voies de trafic dans des régions qui n'appar tiennent à aucun État ne peut pas constituer, par elle-même, un titre d'une efficacité suffisante pour que la souveraineté sur ces régions reste acquise à l'État dont les particuliers, qui ont fait la découverte, sont ressortissants;

Que, pour acquérir la souveraineté d'une région ne se trouvant dans le domaine d'aucun État, il est indispensable d'en effectuer l'occupation au nom de l'État qui se propose d'en acquérir la domination;

Que l'occupation ne peut pas être regardée comme accomplie sinon à la suite d'une prise de possession effective, non interrompue et permanente, au nom de l'État, et que la simple affirmation des droits de souveraineté, ou l'intention manifestée de vouloir rendre effective l'occupation, ne sauraient suffire;

Que la prise de possession effective d'une partie d'une région, bien que pouvant être estimée comme efficace pour acquérir la souveraineté de la région tout entière, lorsque celle-ci constitue un organisme unique, ne peut pas être estimée efficace pour l'acquisition de la souveraineté sur toute une région, lorsqu'à cause de son extension, ou de sa configuration physique, elle ne peut pas être considérée comme une unité organique de facto;

Que, par conséquent, toute considération faite, on ne peut pas admettre comme constant que le Portugal, d'abord, et le Brésil, ensuite, aient réalisé la

vis-à-vis du Brésil, pour des raisons de fait, vis-à-vis de la Grande-Bretagne, leurs prétentions à la totalité du territoire contesté, bien qu'en plusieurs points, localisés, elles lui

prise de possession effective de tout le territoire contesté; mais on peut reconnaître seulement que ces États se sont mis en possession de quelques localités de ce même territoire, et qu'ils y ont exercé leurs droits souverains. Nous avons considéré, d'autre part:

Que la sentence arbitrale du 3 octobre 1899, prononcée par le Tribunal angloaméricain, qui, décidant le différend entre la Grande-Bretagne et le Vénézuéla, a attribué à la première de ces deux puissances le territoire actuellement en contestation, ne peut pas être invoquée comme titre contre le Brésil, qui resta étranger au procès;

Que, néanmoins, le droit du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne, en sa qualité de successeur de la Hollande, à laquelle la colonie appartenait, se base sur l'exercice des droits de juridiction de la part de la Compagnie hollandaise des Indes occidentales, qui, nantie de pouvoirs souverains par le gouvernement hollandais, a accompli des actes d'autorité souveraine sur certaines localités de la zone en litige, réglant le commerce qui, depuis longtemps, y était exercé par les Hollandais, le disciplinant, le soumettant aux ordres du gouverneur de la colonie, et réussissant à obtenir que les indigènes reconnussent partiellement le pouvoir de ce fonctionnaire ;

Que ces actes d'autorité et de juridiction à l'égard des commerçants et des tribus indigènes ont été continués au nom de la souveraineté britannique lorsque la Grande-Bretagne prit possession de la colonie appartenant aux Hollandais;

Qu'une telle affirmation effective de droits de juridiction souveraine s'est graduellement développée, et n'a pas été contredite, et qu'elle en vint à être acceptée peu à peu, même par les tribus indigènes indépendantes habitant des régions qui ne pouvaient pas être regardées comme comprises dans le domaine effectif de la souveraineté portugaise et, dans la suite, de la souveraineté brésilienne;

Que, en conséquence de ce développement successif du pouvoir de juridiction, l'acquisition de la souveraineté de la part de la Hollande, d'abord, et, plus tard, de la part de la Grande-Bretagne, s'est effectuée sur une certaine partie du territoire en litige;

Que les documents qui nous ont été exhibés et qui ont été dûment appréciés et évalués ne fournissent des titres historiques et juridiques sur lesquels on puisse fonder des droits de souveraineté bien précisés et bien définis, en faveur de l'une ou de l'autre des deux puissances en litige, que pour ce qui concerne quelques portions du territoire contesté, et non pas pour ce qui concerne la totalité de ce même territoire ;

Que la limite elle-même de la zone de territoire sur laquelle les droits de souveraineté de l'une ou de l'autre des deux Hautes Parties doivent être regardés comme établis ne peut être fixée avec précision;

Que l'on ne peut, non plus, décider sûrement si le droit prépondérant est celui du Brésil ou celui de la Grande-Bretagne ;

Dans une telle condition de choses, puisque nous devons fixer la ligne frontière entre les domaines des deux puissances, nous avons acquis la conviction

paraissent avoir, en droit comme en fait, des titres certains. Il y a donc, au sein du contesté, pour l'arbitre, une surface sans maître et des parties, les unes brésiliennes, les autres anglaises; mais ces parties, disséminées, ne peuvent, d'après lui, se coordonner en deux zones; elles ne peuvent pas non plus s'additionner et se comparer en vue de fixer, à proportion, les parts des plaideurs. A ce point de la sentence, le litige est, non plus clair, mais plus obscur qu'avant. Dans cette obscurité, l'arbitre, cependant, dégage une clarté : c'est qu'il est libre, en toute équité, de trancher le débat à sa guise, sans plus s'embarrasser, ni des incertitudes du fait, ni des délicatesses du droit. De royal arbitre, il est devenu, dans le plein sens du mot, «< arbitre souverain », et, cette autorité conquise, il n'a plus qu'à juger, ni en archiviste, ni en juriste, mais en politique, à l'esprit droit, à la vue nette, pour qui, d'un coup d'œil à la carte, la question doit se résoudre, les meilleures frontières montagnes ou rivières étant les plus naturelles, et — de montagnes à rivières entre les plus naturelles, les meilleures étant les plus nettes. En conséquence, et vu l'incertitude fatale, en ces plateaux amazoniens, du divortium aqua

qu'en l'état actuel des connaissances géographiques de la région, il n'est pas possible de partager le territoire contesté en deux parties égales comme exten. sion ou comme valeur, mais que la nécessité s'impose d'en faire le partage en tenant compte des lignes tracées par la nature et de donner la préférence à la ligne, qui, étant la plus déterminée dans tout son parcours, se prête le mieux à un partage équitable du territoire contesté.

Pour ces motifs, nous décidons ce qui suit :

La frontière entre la Guyane britannique et le Brésil reste fixée par la ligne qui part du mont Yakontipu; suit, dans la direction de l'Est, le partage des eaux jusqu'à la source de l'Ireng (Mahu); descend le cours de cette rivière jusqu'à son confluent avec le Tacutu; remonte le Tacutu jusqu'à sa source où elle rejoint la ligne frontière établie par la déclaration annexée au traité d'arbitrage conclu par les Hautes Parties en litige à Londres, le 6 novembre 1901.

En vertu de cette délimitation, toute la partie de la zone en contestation qui se trouve à l'Est de la ligne frontière appartiendra à la Grande-Bretagne ; toute la partie qui se trouve à l'Ouest appartiendra au Brésil.

La frontière, le long des rivières Ireng-Mahu et Tacutu, reste fixée par le thalweg, et lesdites rivières seront ouvertes à la libre navigation des deux États limitrophes.

Dans le cas où les rivières se diviseraient en plusieurs branches, la frontière suivra le thalweg de la branche la plus orientale.

Donné à Rome, le 6 juin 1904.

(Signé) VICTOR EMMANUEL.

rum, il s'arrête aux deux cours d'eau, qui, du Nord au Sud, coulant l'un vers l'autre, offrent une séparation inégale mais nette du territoire contesté : la frontière, abandonnant la montagne à la source du Mahu, le descend jusqu'au Tacutu, qu'elle remonte à son tour; les deux rivières sont ouvertes à la libre navigation; la Grande-Bretagne, avec elles, prend accès dans le bassin de l'Amazone, après avoir obtenu l'exclusif contrôle du couloir fluvial, qui, de l'Amazone, conduit à l'Essequibo. Avantagée de six mille kilomètres carrés, elle l'est encore et surtout par la valeur économique et stratégique des territoires. De l'Amazone à l'Essequibo, le contesté comptait deux portes, l'une sur l'Amazone, l'autre sur l'Essequibo: l'impérialisme anglais s'ouvre la première et ferme la seconde.

Telle est, dans son ensemble, la sentence du 6 juin 1904. D'abord indécise, puis brusquement décidée, ses oscillations déconcertent. En lisant, sur le droit, ses critiques au Brésil et ses approbations à l'Angleterre, on ne s'étonne pas qu'en fin de compte elle penche en faveur de celle-ci ; mais on s'étonne qu'elle attende si longtemps pour lui donner, si tard, une préférence à laquelle, sitôt, elle incline. Devant son égal rejet, tout d'abord, des deux thèses rivales, et son égale admission, ensuite, d'un petit nombre de droits territoriaux effectifs, semblablement non précisés, mais vérifiés égaux, on ne s'explique pas son inégalité finale. Enfin son hésitation, soit à reconnaître, soit à nier, sur le tout, les droits des plaideurs, fait comprendre qu'elle paraisse timide, embarrassée, mais non qu'après tant d'indécisions elle s'achève, d'un mouvement soudain, par une détermination brusque. Curieuse sentence qui, de détour en détour et de surprise en surprise, arrive, par des voies déguisées, au but qu'elle n'a pas un instant omis de considérer et vers lequel, orientée dans le secret ou l'inconscience, elle n'a jamais cessé de tendre.

Visiblement, elle est dominée par un obscur désir de l'arbitre d'arriver à la conquête, hors du fait et du droit, de la totale liberté de son jugement, puis, à l'abri de cette conquête, à la souveraine décision du litige, suivant l'aspect de justice et de raison qu'indépendamment des nuances du fait et du droit, ce litige a revêtu dans son esprit. Mais pressé d'écarter

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l'argumentation compliquée des parties, l'arbitre a-t-il assez pesé les raisons par lesquelles il a tenté de s'en débarrasser ? Même si ces raisons sont justes, est-il, par elles, totalement libéré ? Même libre, fait-il de sa liberté le juste usage inspiré par la vraie raison de décider du litige? Dans la sentence, il y a, pour ainsi dire, trois moments: au premier, elle raisonne pour se libérer des moyens des parties; au second, elle se déclare libre; au troisième, elle fait l'emploi de cette liberté. Mais, à chacun de ces trois moments, l'argumentation est-elle solide, l'affirmation exacte, la tendance juste?

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Dans la première partie, l'arbitre impatient des lenteurs de la controverse, accablé d'objections et de détails, essaie d'échapper des lisières mises à son indépendance par la complication du fait et du droit.

Suivant, prudemment, successivement, en deux réfutations distinctes, les mémoires des parties, c'est par une critique sévère de leurs thèses ou de leurs preuves qu'il s'achemine vers ce résultat, d'abord inaperçu de lui, mais de plus en plus attirant et dominateur, à mesure qu'une critique attentive lui paraît révéler, dans l'argumentation brésilienne, la faiblesse du droit, et, dans l'argumentation anglaise, la faiblesse du fait. Tant de matériaux juridiques ont été, dans cet arbitrage, employés par les parties qu'il est nécessaire de voir, après l'épreuve du litige, quelle force ils ont, chacun d'eux, conservée. L'examen, utile au point de vue monographique, est seul capable de révéler comment - par quelle nature et quelle valeur de moyens - l'arbitre a libéré son jugement de la rigourouse tutelle du droit.

I. Examen de la thèse du Brésil. Le Brésil prétendait avoir, avant Orellana, le premier connu l'estuaire de l'Amazone, avec Pedro Texeira, le premier remonté le Rio Negro, le premier découvert le Rio Branco, puis (quoiqu'ici moins affirmatif) le premier pénétré dans le contesté. Mais il n'invoquait pas directement ces découvertes en titre parfait, immédiat et total. Il est donc regrettable que, dès le début de la sentence,

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