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affaires étrangères, M. Aureliano, ne cache pas son étonnement qu'en dépit de l'attitude conciliante du Brésil, la Grande-Bretagne ait cru devoir ordonner l'occupation violente. du territoire contesté, alors que l'expulsion de Youd n'a fait l'objet d'aucune réclamation immédiate, alors que l'inspecteur Crichton a lui-même qualifié la région de « terrains neutres », alors enfin que le Brésil, en ayant depuis longtemps la possession bona fide, ne devait pas pouvoir la perdre avant d'être condamné sur la question de la propriété. « C'est au demandeur, dit Vattel, à prouver son droit... Le possesseur peut donc demeurer en possession jusqu'à ce qu'on lui fasse voir que sa possession est injuste » (1). Et cependant, toujours conciliant, M. Aureliano propose, avec l'inspecteur Crichton, de considérer Pirara comme « en état de neutralité jusqu'à l'issue de la négociation sur les limites définitives entre le Brésil et la Guyane anglaise », « les ecclésiastiques des deux religions et les sujets (sans caractère militaire) de chacune des deux couronnes, qu'il serait nécessaire d'employer à l'entretien des propriétés particulières, à des mesures de juridiction ou de surveillance, pouvant seuls y pénétrer». Satisfait, le gouvernement britannique retire ses troupes à Demerara (1er septembre), pendant que le ministre anglais Hamilton et le secrétaire d'État brésilien Aureliano considèrent (29 août3 septembre) (2) le territoire de Pirara conformément au mémorandum du 8 janvier 1842.

Ayant ainsi, régulièrement, mis fin à la possession bona fide, que prétendait le Brésil, la Grande-Bretagne avait, convenablement pour ses vues, aménagé le litige. Entre elle et le Brésil, par cette neutralisation, la situation était égale, à Pirara du moins. Il ne restait qu'à étendre à tout le contesté le régime du mémorandum Aureliano. Schomburgk, parti de Pirara (mars 1842), pour accomplir son mandat de commissaire délimitateur, gagne, à travers les savanes, l'embouchure du Tacutu qu'il remonte jusqu'à sa source, en inscrivant sur des arbres de la rive droite les initiales de la reine Victoria comme signe matériel de la frontière de la Guyane, revient à Pirara, en

(1) Sec. Mém. brės., Ann., I, p. 164-172; Mém. brit., Ann., II, 2, p, 3-6. (2) Sec. Mém. brės., Ann., I, p. 181 et 182; Mém. brit., Ann., II, 1, p. 61-62.

mai, repart en septembre, arrive à la jonction du Cotingo et du Tacutu où il marque son passage (1). Ces procédés soulèvent à tous les degrés, à Pirara, à Para, à Rio, des protestations unanimes, qu'à Londres M. Lisboa porte à lord Aberdeen, auquel il demande l'enlèvement des bornes (2). Lord Aberdeen déclare qu'elles n'ont qu'un caractère scientifique et provisoire, mais ne s'oppose pas à leur enlèvement, réserve faite du droit de la Grande-Bretagne au territoire qu'elles marquent. Il suffit à M. Lisboa de renouveler sa demande et les bornes sont enlevées (mars 1843) (3). Mais le régime de neutralité, proposé pour Pirara et ses environs immédiats, aux termes de la note Aureliano, s'étend désormais sur tout le contesté, dont la note Ouseley, fidèle reproduction du mémoire Schomburgk, avait antérieurement dessiné les contours.

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La note Ouseley fixait au contesté ses limites, et la note Aureliano son régime. C'est autour de ces deux textes que l'évolution du litige allait désormais se dérouler, l'un pris comme base à venir du régime définitif, l'autre pris comme base actuelle du régime temporaire, à l'abri duquel il était tentant de lutter, indirectement, d'influence. Par la force même des choses, le régime temporaire de neutralité ne pouvait être rigoureusement respecté que si le régime définitif de délimitation était promptement établi.

Au cours de pourparlers relatifs à la conclusion d'un traité de commerce, un plénipotentiaire spécial, M. J. de Araujo Ribeiro, soumet à lord Aberdeen le 3 novembre 1843, une ligne passant par la chaîne de Pacaraima jusqu'aux sources du Mahu, puis jusqu'à sa rencontre avec le Rupununi, à l'endroit le plus proche du mont Annaï, enfin le long du Rupu

(1) Acte de revendication de la rive droite de la rivière Tacutu, dressé par Schomburgk, 5 avril 1842 (Sec. Mém. brés., Ann., I, p. 96); rapports de Schomburgk au gouverneur Light, 30 mai 1842 (ibid., p.104-111; Mėm, brit., Ann., III, p. 103), 25 août 1842 (Sec. Mém. brés., Ann., I, p. 117; Mém. brit., Ann. III, p. 133) et 23 janvier 1843 (Sec. Mém. brés., Ann., I, p. 122; Mém. brit., Ann., III, (2) Sec. Mém. brés., Ann., I, p. 113, 115, 184 et 189.

(3) Sec. Mém. brés., Ann., I, p. 191 et 193; Mém. brit., Ann., III, p. 139.

P. 136,

nuni jusqu'au deuxième degré de latitude Nord, et de là vers l'Est, à cette même latitude, jusqu'au confin occidental de la Guyane britannique. Lord Aberdeen accepte la chaîne de Pacaraima jusqu'aux sources du Mahu, mais, de là, propose (15 novembre 1843) de descendre avec cette rivière jusqu'au Tacutu, puis de remonter le Tacutu jusqu'au deuxième parallèle, à raison de la protection promise aux Indiens de Pirara, qui, par cette nouvelle ligne, passent du Brésil à la Guyane anglaise. Vainement le Brésil offre-t-il soit de laisser émigrer les Indiens de Pirara dans la Guyane, soit de promettre à l'Angleterre, par une clause formelle, de les bien traiter. Après avoir pris l'avis du Colonial Office, lord Aberdeen informe M. Ribeiro que le gouvernement britannique est dans la nécessité de consulter le lieutenant-gouverneur de la Guyane anglaise « quant à la condition des Indiens dans le voisinage immédiat de Pirara et quant à l'état actuel de cet établissement » avant de formuler une opinion: défaite courtoise par laquelle la conclusion du traité de commerce subordonnée à celle du traité de limites devient improbable, et M. Ribeiro comprend que sa mission à Londres a pris fin (1). Si le soin des Indiens de Pirara eût été le seul mobile de la Grande-Bretagne, une entente eût été possible. Mais il n'était pour la Grande-Bretagne qu'un simple titre au riche couloir qui, par la Quatata, le lac Amucu, sert de liaison, du Rupununi au Tacutu, de l'Essequibo à l'Amazone. La prompte solution du litige, par voie d'accord direct, était donc inaccessible de part et d'autre, on devait tâcher de vivre, tant bien que mal - et plus mal que bien - sous le régime pro

visoire de la note Aureliano.

Comment, de part et d'autre, eût-il été rigoureusement possible de respecter la neutralité ? Tour à tour (1844-1858) le gouvernement anglais se plaint des incursions, dans le territoire contesté, de Brésiliens qui s'emparent des Indiens, pour les réduire à l'esclavage, puis (1861) le gouvernement brésilien de l'envoi de soldats anglais à Portata, entre le Tacutu et le Rupununi. Mais ce ne sont que de brefs inci

(1) Sec. Mém. brés., Ann., I, p. 203 et s. ; Mém. brit., Ann., II, 2, p. 10 et s.

dents, sans action profonde sur le sort du territoire contesté. C'est par le rayonnement pacifique de leur influence que le Brésil et surtout l'Angleterre tentent de s'assurer, l'un sur l'autre, une avance. Des commerçants anglais (William de Roy, Bracey) s'installent sur la rive gauche du Rupununi; des explorateurs anglais (Brown, en 1869; Im Thurn, en 1878) (1) parcourent le contesté. Des Brésiliens, propriétaires, éleveurs, y pénètrent, et portent leurs établissements sur la rive droite du Tacutu. Mais le gouvernement britannique se montre particulièrement actif à développer son autorité. La simple annonce d'une commission de limites vénézuélo-brésilienne (1879-1884) lui sert de prétexte pour envoyer (1888) (2) un agent, Im Thurn, à la recherche de renseignements dans le territoire contesté. Un colonel, le président de la province de l'Amazone, fait-il une brève excursion, toute privée, jusqu'à Pirara, le gouvernement britannique, qui y entretient deux agents, ainsi qu'un instituteur chargé d'apprendre aux Indiens l'anglais, rappelle, immédiatement, le gouvernement brésilien au respect de l'accord de 1842, qui s'oppose à la présence de tout sujet militaire en territoire neutralisé (3). Vainement le Brésil offre-t-il de nommer une commission mixte de délimitation: aux ministres brésiliens, le baron Penedo (1888), M. de Souza Corrêa (1891), qui la proposent à Londres (3), le marquis de Salisbury répond ou fait répondre qu'il convient d'arriver, d'abord, à une entente sur le principe de la ligne, sauf à nommer ensuite une commission mixte pour la jalonner exactement, et quand, sur le principe, le Brésil reprend son projet par la Pacaraima, le mont Annaï et le Rupununi, la Grande-Bretagne reprend le sien par la Pacaraima, le Mahu et le Tacutu (12 sept. 1891) (5).

A l'ombre de la neutralité, les luttes sourdes d'influence persistent et les réclamations continuent. En 1896, dans un projet de règlement relatif à l'exploitation des gisements d'or,

(1) BROWN, Canoe and Camp life in Br. Guiana; IM THURN, A mong the Indians of Guiana.

(2) Mém. brit., Ann., II, 1, p. 97.

(3) Mém. brit., Ann., II, 1, p. 102.

(4) Sec. Mém. brės., Ann., II, p. 173 et s.

(5) Sec. Mém. brės., Ann., II, p. 176.

le gouverneur de la Guyane britannique la divise en cinq districts, dont le second comprend l'«< Essequibo et ses tributaires >>, parmi lesquels le Rupununi; M. Corrêa demande, et lord Salisbury lui donne, l'assurance que le règlement s'applique aux seuls tributaires de l'Essequibo, qui, en tout ou partie, se trouvent dans les limites de la Guyane anglaise (1). En 1897, lord Salisbury (2) se plaint de l'occupation par des Brésiliens de terrains situés à l'Est du Tacutu et de la présence de leur bétail en « territoire anglais »; « à raison des négociations en cours », il demande au Brésil d'arrêter toute expansion ou tout mouvement dans le territoire en litige, et d'y assurer le status quo. Les progrès de la colonisation brésilienne sont surveillés de près par les autorités britanniques. Au moindre incident entre Anglais et Brésiliens ou Indiens, elles s'empressent d'envoyer dans la zone litigieuse des enquêteurs chargés de protéger les intérêts anglais. En 1897, le commissaire du district de l'Essequibo, M. Mac Turk, fonde deux postes, l'un à Quimata, sur le Rupununi, l'autre à Dahdaad (ou Arara), sur le Tacutu, arbore le pavillon anglais et force les habitants à promettre obéissance aux lois britanniques. Aux plaintes de M. Corrêa, lord Salisbury répond en rejetant sur les empiétements brésiliens la cause première de ces incidents, mais en promettant la suppression du poste de Dahdaad (3). Vaine assurance: car, suivi d'une escorte, et sous prétexte d'enquêter sur l'empiétement du Brésil, le même fonctionnaire, en 1899, revient sur le contesté, menace de sévir contre les habitants dont les sentiments sont brésiliens, ose même arborer, en marque d'autorité, le pavillon britannique, non sur toit britannique, mais sur toit brésilien. Le chargé d'affaires du Brésil à Londres, M. de Oliveira Lima, s'en plaint. Lord Salisbury, qui croit les faits exagérés, promet «< plus de discrétion » de la part des agents anglais, mais déclare nécessaire, jusqu'à la conclusion d'un traité de limites, qu'ils continuent à visiter, de temps en temps, dans un but de surveillance et d'observation, ces régions « depuis

(1) Sec. Mėm, brės., Ann., II, p. 87 et 88; Mém. brit., Ann., II, 1, p. 108 et 109. (2) Sec. Mém. brés., Ann., II, p. 91; Mém. brit., Ann., II, 1, p. 111. (3) Sec. Mém, brés., Ann., II, p. 94; Mém. brit., Ann., II, 1, p. 123,

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